La journée est aux festivités colorées, aux robes et aux costumes bien taillés, aux ribambelles de fleurs et aux verres de cristal. Le bonheur de ces vies qui s'unissent sous l'œil attendrit des proches et des amis, Rain n'en perçoit que les nuances de gris, mais ça ne l'empêche pas de se tenir droite et de sourire aimablement aux gens qu'elle croise, car elle a appris à se fondre dans l'image, veillant particulièrement à ce que personne ne remarque qu'elle est différente. Le ciel est clair à travers les vitres de l'Umeda Sky Building, spécialement privatisé pour l'occasion, c'est bien la seule chose qui lui indique que la journée est belle. Marchant le bras enroulé autour de celui de son père, elle ne s'étonne pas de l'attention qu'on leur réserve, car c'est le fils couronné de succès, celui à qui on doit la réussite et sa famille qui entrent en scène pour rejoindre les côtés des mariés. Rain a toujours été d'une grande observation, sûrement à cause de sa différence d'ailleurs, elle sait pertinemment que sa tante ne peut pas les saquer, pourtant elle les accueils à bras ouverts, le visage faussement joyeux, à rendre l'accolade de son frère et à embrasser ses deux nièces. Chacun se place alors à l'endroit indiqué, relevant dos et mentons afin de se faire capturer par l'objectif braqué sur eux. Une photo des plus formelles, certainement pas le genre qu'elle aimerait avoir de son propre mariage, probablement le genre qu'elle aura de toute manière, car elle est élevée dans ce monde Rain, un monde de paillettes et d'artifices dissimulant des réalités navrantes.

Les corps se détendent, Rain, Rael et leur mère sont priées de s'écarter, seul le père reste, avant d'être rejoint par d'autres oncles et tantes que la plus grande des filles ne cherche pas à reconnaître. Trop de monde, tous en noir et blanc, la mémoire des visages n'a jamais été son fort, elle a arrêté d'essayer. Ses yeux se posent plutôt sur la cadette, peut-être bien pour la première fois depuis qu'ils ont quitté l'ambassade. Comme d'habitude, elle la jauge, la trouve trop habillée, pour décider ensuite qu'elle n'apparaît pas assez sophistiquée. Rain a toujours quelque chose à reprocher à sa petite sœur, mais elle décide d'omettre sa pensée, pour le bien des festivités. « Regarde tata, on dirait qu'elle va exploser. Je suis sûre qu'elle a bouillonné en nous voyant arriver. » Et pour ne pas médire sur Rael, Rain décide de médire sur la mariée, car elle ne sait pas vraiment faire autre chose que critiquer les autres, tout comme leur mère a pris l'habitude de faire avec elles, finalement. « Tu as révisé le discours, j'espère, t'as pas intérêt à nous embarrasser. »

Si on aime les festivités, ce serait se tuer le moral d'essayer de deviner tous les sous-entendus dans les regards d'un cercle familial qu'on voudrait parfait. Les conversations se font en petit groupe le temps de quelques minutes et quand on voit un nouveau visage on s'y approche parce qu'eux, en bas de tout, doivent s'accrocher à leur relation. Rael ne s'embête pas à s'émerveiller du beau temps et des décorations, quand on a le privilège de voir en arc-en-ciel on perd de ce bonheur d'apprécier le reflets des lumières mais on prend toujours le temps d'avoir en horreur les punis. Leur entrée pourrait faire oublier l'heureux événements d'aujourd'hui. Rael, elle, est au côté de sa mère et se plaît de recevoir toutes les attentions bien qu'elles soient plus dirigés vers le géniteur. C'était donc presque automatiquement que les plus proches des mariés soient invités à immortaliser un moment que l'on voudrait heureux et chaleureux. Mais en les voyant planter là, malgré leur sourire, on aurait peine à y croire. Rael prend soin de passes ses quelques mèches de cheveux derrières son épaule avant de se tenir droite, imitant son aînée comme on lui avait appris. C'était quelque chose qu'elle détestait tout particulièrement mais dont elle taisait l'avis. Après quelques flashs et des sourires figés comme tous le corps, les figures féminines sont mises à l'écart ( papa absorbe bien la lumière et la gloire ) alors Rael en profite pour se détendre un peu. La parure de bijoux autour de son cou la gratte et sa robe en bustier la serre un peu mais la demoiselle ne semble pas bouger d'un pouce. Le regard noble mais au fond assassin s'amuse à observer tout ceux qui pressent le pas vers leur père.

Seule la voix de sa soeur l'oblige à quitter ceux qui discutent ( ceux qui profitent ) pour s'intéresser à elle, un sourcil haussé. Le regard ensuite est naturellement posé sur sa tante qui aurait sûrement préféré qu'ils aient une excuse pour ne pas être là. ( quelle hypocrite ) Elle les déteste, mais elle profite de l'argent de son frère, un peu comme tout le monde ici alors évidemment qu'ils avaient le droit de faire de l'ombre à l'heureux événement.

- Ce soir elle va saouler tonton en nous insultant c'est sûr. quand les masques pourront tomber sans aucune honte. Parce que même en famille, il ne fallait laisser passer aucun écart, aucune faute. Tout était bon pour voir quelqu'un fléchir et faire pression jusqu'à le voir tomber. Tout le monde dans leur cercle aimerait un peu plus de pouvoir, être plus proche d'eux. Rael n'a pas conscience d'ô combien c'était compliqué de s'attirer les faveurs de son père, car encore naïve de tout ce qui faisait sa puissance. La remarque de Rain la coupe dans ses moqueries à l'encontre de leur tante et ses sourcils se froncent immédiatement. - Pourquoi ? T'as peur qu'on te fasse des remarques ? ( elle qui doit paraître si parfaite ) Rael déteste ses tons condescendants encore plus quand il lui était naturellement dirigé. - Mêle-toi de ce que tu dois dire tu veux ?

Rael favorise déjà les hostilités et Rain ne peut pas dire qu'elle en est étonnée, car la plus jeune n'a jamais su passer outre la moindre remarque venant de son aînée, un trait que la plus grande s'amuse trop souvent à exploiter. L'écraser un peu plus chaque jour par peur de finir dans son ombre à elle plutôt que le contraire, Rain a beau rejeter la faute sur sa cadette, elle ne fait pas plus d'effort qu'elle pour essayer d'arranger la relation désastreuse qu'elles entretiennent depuis toujours. Les yeux de la plus vieille se plissent à l'entente de ces venins qu'elle lui réserve tout particulièrement. Gamine sans cesse sur la défensive, à chercher le conflit dès que les lèvres se séparent, Rain soupire et détourne son regard pour le poser sur la scène qui se déroule sous leurs yeux. « Tiens-toi bien et arrête de jouer les offensées, tu n'as plus dix-sept ans. » La réprimande-t-elle avant de sourire poliment à ses grands-parents qui s'avancent vers elles, suivis de leur père ; la séance photo ne les concernant plus désormais. Les échanges cordiaux commencent, Rain glisse un bras autour de celui de son grand-père qui se réjouit bien plus de la voir elle que de savoir qu'une de ses filles se marie. Elle envoir une oeillade à sa petite soeur, vérifiant qu'elle joue son rôle correctement tout en entrant dans la conversation de la famille qui se met à bouger, suivant le mouvement afin de rejoindre les tablés.

Chacun rejoint la place qui leur est attribuée. Rain se retrouve entre Rael et son grand-père. Son père lui fait face, sa mère se trouve à ses côtés, sa grand-mère, à ceux de son mari. La hiérarchie est ainsi établie, jamais contestée, toujours respectée. Les filles Im jouissent d'un statut des plus particuliers, en tant que seules femmes à qui on s'apprête à donner du pouvoir, elles sont privilégiées, et ça, Rain l'a compris depuis des années déjà. Son besoin d'être parfaite et de tout contrôler lui vient vraisemblablement de cette vérité accablante, celle de la place de la femme dans la société. Élevée à ne jamais faire de faux pas, elle sait qu'elle doit redoubler d'efforts pour que ses oncles, son père et son grand-père cessent de la prendre de haut.

Perdue dans ses pensées, elle oublie de faire attention aux mariés qui s'avancent au milieu de la salle pour rejoindre leur place. Rain a l'air tout à fait impassible, sa mère lui assène un coup de coude discret afin de lui rappeler d'avoir l'air un minimum intéressée. Le discours d'invitation au repas commence déjà à lui donner la nausée. Elle jette un coup d'œil furtif à sa sœur, pour s'assurer que la plus jeune ne devine pas son inconfort. S'il y a bien une chose qui l'embête plus que le regard des hommes de sa famille, c'est de savoir que Rael pourrait simplement franchir le voile derrière lequel elle dissimule sa détresse pour comprendre à quel point elle ne maîtrise pas sa situation.

Rael détestait ça. Elle détestait quand sa soeur commençait à allumer ses colères et lui imposait de se calmer quand elle osait lever la voix. Si d'habitude ça ne ferait qu'alimenter un peu plus ses mauvaises humeurs, cette fois la plus jeune est obligé de se résoudre à se contenir. ( frustration qui ne cesse de grandir ) Parce que si les filles se voient privilégier de cette position en or, de l'autre côté tout le monde ose espérer apercevoir une tâche au tableau que cette famille ne cache que trop bien. Les sourcils haussés, elle finit par claquer sa langue contre son palais en simple réponse puisqu'elle ne pouvait rien dire d'autre. La remarque sur son âge reste en travers de la gorge, ici on grandit trop vite. On a pas le temps d'avoir dix-sept ans qu'on doit déjà jouer les jeunes femmes. Condamnée à se taire quand les plus vieux approchent, son sourire revient dessiner ses lèvres dans un automatisme appris depuis trop longtemps. En parfaite copie qui désirait simplement le regard d'un paternel, elle profite qu'il soit enfin libre de la plus grande pour l'imiter. Ainsi, son bras s'enroule autour de celui de son père, ravie d'avoir sa place à ses côtés le temps de quelques secondes. La conversation ne l'intéresse pas particulièrement mais elle fait l'effort de paraître attentive et d'hocher la tête quand il le faut. Il n'y a pas un moment où elle voudrait sembler mise de côté.

Assise entre sa soeur et sa mère, Rael ne peut s'empêcher de jeter un coup d'oeil au reste de la salle. Elle se dit que même les mariés faisaient tâche à leur propre cérémonie et ainsi elle a la satisfaction de se complaire dans son statut pour aujourd'hui. Parfois elle se demande s'ils n'auraient pas préféré avoir deux fils, ça éviterait les regards hautains des figures masculines de cette famille. Et à cause de ça, elles doivent être parfaites quand d'autre peuvent s'autoriser des écarts. Rael déteste devoir faire autant d'effort pour ne pas avoir la joie de jouir de la place de sa soeur, plus haute que la sienne. ( ils parlent trop ) Les yeux rivés sur les mariés, la posture droite, il lui arrive parfois de poser ses yeux sur Rain pour voir ce qu'elle faisait. ( toujours l'imiter ) Connaître les maux de cette dernière pouvait être cruel. Alors quand les premières assiettes sont posées, elle attend dans une politesse qu'on lui a longtemps répété avant de pouvoir enfin mettre quelque chose dans son estomac, ce dont elle rêvait depuis ce matin.

Dans un jeu toujours bien répété, sa main se glisse devant ses lèvres et ses yeux pétillent d'une joie faussement naïve. Si Rael est la deuxième, elle se permet de paraître plus chaleureuse, les côtés attachants des derniers nés qu'on pardonne.

- C'est délicieux ! Tu as goûté papa ? elle s'exclame dans des sourires. L'air de rien, elle se tourne juste assez vers Rain pour l'observer. - Tu ne trouves pas Rain ? Tu devrais essayer avec la sauce.

Et ses sourires cachent une méchante envie de lui pourrir cette soirée alors qu'elle de l'extérieur, elle semble juste vouloir l'approbation de sa soeur. Alors Rael la regarde avec ses grands yeux, battant des cils.

Les chariots défilent, les voix se lèvent, cohésion d'ensemble, les visages s'illuminent bien souvent à l'arrivée d'un repas. Et pour Rain, il n'y a pas pire supplice, que de voir se poser devant elle, une assiette fumante qu'on a préparé avec soin et délicatesse, d'entendre le tintement des couverts qui s'affaissent sur les porcelaines, le bruit désagréable des mâchoires qui déchiquettent, mastiquent et avalent sans aucune élégance, juste parce qu'on a faim et qu'on se régale. Si elle a toujours réussi à contenir son mal-être et à finir au moins un tiers de son assiette, récemment, le moindre aliment refuse de se faire une place dans son estomac, mais personne ne semble l'avoir encore remarqué, du moins du côté de ses parents. Le sourire de la belle est moins assuré, elle fixe son assiette, dégoûtée, serrant ses baguettes bien trop fort alors que le brouhaha lui monte à la tête. Bourdonnement intrusif dans le creux des oreilles, la crise d'angoisse se déclare sans qu'elle ne demande quoi que ce soit, mais elle maintient un visage d'une froideur impassible, serrant les dents pour ne pas flancher sous les pressions environnantes.

Rael se saisit déjà de l'opportunité, ayant probablement remarqué depuis longtemps que quelque chose tracasse son aînée, elle qui passe tout son temps à garder les yeux rivés sur elle, à analyser ses moindres faits et geste, la moindre micro-expression qui vient casser la façade de titane qu'elle s'efforce de conserver. Ironiquement, la personne qui la déteste le plus, s'avère être celle qui la connaît le mieux, et c'est bien souvent le genre de chose qui est dangereux, pour une famille pareille.

Délicieux...

Le mot résonne, il grésille horriblement, de cette voix si agaçante qui vient titiller sa raison. Elle redresse son regard, d'abord vers Rael, puis vers ses parents qui se sont arrêté de parler pour se concentrer sur elle. Elle n'a pas encore touché à son assiette, et tous se permettent de la juger en silence. « Ne me dis pas que tu vas faire la difficile ce soir, encore. Rain, c'est le mariage de ta tante, tout ça coûte une fortune... » Ce qu'il y a de pire, c'est que la voix de sa mère est loin d'être dure et cassante, au contraire, elle l'encourage avec cette bienveillance habituelle, et Rain se sent terriblement coupable face à eux, terriblement stupide, aussi. « Bien sûr que non. Pardonnez-moi, j'étais juste ailleurs. » Le sourire est forcé, elle lance un regard furtif en direction de sa sœur, imprime l'image horrifiante de ce sourire malveillant avant de tourner ses yeux vers la figure de son père, qui lui envoie, lui, un sourire rempli d'amour, mais d'attentes qu'elle sait déceler trop aisément. « Voyons chéri, tu sais bien que Rain est un peu fatiguée ces jours-ci. Ne t'en fais pas ma fille, mange, ça va te redonner des forces. » Elle déglutit, poupée, ne répond que d'un rictus maladroit avant de baisser son nez sur son assiette. Ma fille... Des années qu'elle est appelée Im Rain, le sentiment de ne pas être réellement à sa place est toujours aussi présent. Elle ouvre la bouche, lève son bras, tremblante, avant de refermer ses lèvres sur ses baguettes. Elle represse un relent, se sent déjà bien trop nauséeuse. Elle mâche lentement, avale difficilement, le tout sous le silence oppressant de ceux qui attendent son verdict. Elle place une main devant sa bouche et redresse son visage, souriant. « C'est vrai que c'est délicieux... »

Comme le reste de la table, la demoiselle attendait sagement que sa soeur se décide à goûter à quelque chose. Quand leur mère souffle dans une bienveillance qui fait mal, Rael surenchérit simplement en hochant la tête après ses dires. Mais quand leur père tente de rassurer la plus vieille, ses doigts se crispent autour de ses baguettes et son sourire manque de se faner si elle n'avait pas autant appris à le contrôler. Encore sauvée Rain, encore vue comme précieuse par celui qui devrait tout lui donner. Ces quelques mots qui se voulaient innocents, qui ne faisaient qu'exposer une famille parfaite à la gueule de tous, à la place agissait comme charbon au feu de sa colère.

Effectivement, à force d'observer ses moindres faits et gestes, à force de vouloir l'imiter sur de trop nombreux points, Rael commencer à remarquer les failles sur son visages. Avec le temps, elle peut de suite capter les traits qui se crispent ou qui se détendent, la moindre chose qui détruit le visage impassible de sa soeur est une raison pour Rael d'intervenir. Alors quand Rain se force à manger, quand sa main semble retenir tout le poids du monde mais qu'elle assure que le plat est à son goût ( délicieux ), elle ne peut s'empêcher de sourire un peu plus. La comédie était trop belle que Rael se devait de cacher un semblant de rire moqueur en prétextant boire une gorgée d'eau. Les lèvres collées au rebord de son verre, le sourire se brise enfin.

- Papa a raison ! Manger te redonnera des forces puisque tu travailles trop. elle assure alors.

C'est cruel, mais elle aimerait qu'elle se gave. Rael aurait souhaité à cet instant que Rain ruine ses allures de princesses en recrachant tout ce qu'elle avait supporter entre ces simples baguettes. Elle aurait aimé qu'elle tâche ce dégoûtant tableau qu'ils représentaient, qu'elle se ruine à se tordre l'estomac. ( étouffe-toi ) Ô rien qu'une fois, si Rain pourrait quitter ses allures parfaites. Elle donnerait tout pour ça.
Dans ses airs d'éternelles saintes, Rael se remet à manger d'une facilité absolue et les adultes reprennent leur conversation qu'elle s'efforce d'écouter pour quelques fois hocher la tête. Mais Rain n'échappait pas à son attention quand parfois, elle l'observait du coin de l'oeil, les regards lourd pour l'inciter à continuer le repas.

Le regard vide, presque penaud, elle fixe celle qui se réjouit bien trop de la situation, toujours aussi désarmée face à la cruauté dont Rael fait parfois preuve. Capables des pires inepties, juste histoire de lui pourrir la vie, au fond, Rain se demande ce que ça lui ferait si elle la retrouvait morte après tant d'années passées à la tourmenter. Serait-elle soulagée ? Heureuse ? Délivrée ? Rain ne souhaite en aucun cas la mort de sa petite sœur, mais elle ne sait pas vraiment si derrière ses épines à elle se cache un cœur. Le haut de sa lèvre tressaille tandis qu'elle ne trouve pas quoi répondre à la plus jeune. Si ses parents la soutiennent ouvertement, ce n'est pas forcément le cas du reste de la famille qui sait pertinemment que l'aînée des Im n'est pas une enfant légitime. Rael jouit des faveurs de ses grands-parents, qui posent, à l'instant, un œil presque aussi mauvais que le sien sur elle, comme s'ils attendaient que Rain craque et révèle un visage qui la condamnerait.

L'étau se resserre tandis que ses tripes s'affolent, elle ne peut plus baisser son nez sur sa nourriture, la simple odeur suffit à entretenir ses nausées. Rain n'a presque aucune faille, elle s'efforce à tout parer, armure de titane qu'elle s'est forgée au fil des années, mais il aura suffi d'une micro fissure pour que Rael y plante son épée.

Verrais-je un jour la couleur de ton sourire ?

Spectacle devenu obsolète, son grand-père se désintéresse le premier de la scène et accapare l'attention de leur père. Les tensions s'éloignent, mais Rain ne se sent pas soulagée pour autant. Elle détourne les yeux de la figure mesquine de la cadette et abandonne sa fourchette dans le creux de son assiette. « Excusez-moi deux minutes, je dois aller aux toilettes... » Glisse-t-elle en se levant soudainement. Sa grand-mère fronce les sourcils face à son impolitesse, son père ne répond rien et sa mère soupire avant de lui indiquer d'y aller d'un signe de la main. Sans un regard pour Rael, elle s'éclipse, s'enfuit, se dépêchant de rejoindre les toilettes les plus éloignées de l'étage.

La porte est poussées dans un élan de panique, elle trébuche presque en chemin, se rattrapant de justesse à la poignée de la cabine qu'elle envahit. Un relent la prend de court, elle s'effondre et se met à vomir dans la cuvette des toilettes, perdant en un instant toute la droiture de son être. Les larmes se prêtent au jeu sans qu'elle ne demande rien, son battant tambourinant dans sa poitrine alors que le dégoût la prend.

ou bien choisiras-tu de me faire souffrir ?

Elle se demande aussi Rael, dans les rares insomnies qui l'empêchent de fermer les paupières : et si Rain meurt ? S'il n'y avait plus que son cadavre à ses pieds ? Est-ce qu'elle aura la satisfaction de pouvoir prétendre à la place qu'elle déclare mériter depuis toute petite ? Est-ce que ses parents seront tristes ? Comme pour se rassurer des horreurs qu'elle inflige, comme pour se dire qu'elle a bien raison, elle ne réfléchit jamais plus longtemps que ça, s'assure que sans Rain tout irait mieux sans s'attarder à ce que son coeur désire vraiment. Malheureusement la satisfaction de l'avoir un peu plus écrasé auprès de leur famille l'emporte et la voilà bien contente de ses vices. Alors son visage d'ange, on y retrouve les sourires de jeune fille sage et on ne douterait pas des démons qui' l'habitent depuis toujours.

lequel de nous deux se noiera en public ?

Dans sa fuite, Rael l'observe du coin de l'oeil ne dit rien. Un regard échangé à sa grand-mère, Rael hausse simplement les épaules. ( je n'ai rien à voir avec ses caprices ) Le silence à la table, avant même que son grand-père ne puisse se plaindre, la demoiselle repose également ses couverts, venant briser un silence rempli de jugement. Le sourire se dessine de nouveau sur ses lèvres, mais ses sourcils se arquent et lui donnent des airs plus inquiets face au départ soudain de sa soeur.

- Je vais aller voir si tout va bien, on ne sait jamais. elle souffle d'un ton particulièrement calme, puisqu'elle se veut calme malgré la situation. D'un hochement poli de la tête pour les saluer, elle se lève à son tour pour quitter la salle.

Les couloirs sont longs, et Rael a le temps de penser: où est-ce qu'elle peut bien se cacher ? Où est-ce qu'elle bien se débarrasser de tous ses maux ? Puisque personne ne se trouve dans ses allées trop grande, ses épaulent se détendent. Elle ne prête pas attention aux serveurs qui passent, ne prend pas la peine de garder son port de tête princier. Les portes sont poussées quand elle le peut, et elle ne s'attarde pas quand elle n'entend pas les chaos de la plus vieille. On aurait dit une vilaine partie de cache-cache. Dommage que ce soit Rael qui s'en retrouve gagnante.

qui de nous deux finira pathétique ?

- T'as fini ton cinéma ? elle ose se plaindre.

Le spectacle n'est même pas amusant. Avancée dans la pièce, elle a les bras croisés et son bassin se repose contre les lavabos. Le regard assassin observe les courbes brisés de sa soeur. Elle n'a pas plus le dos droit et les traits neutres mais même comme ça, Rain arrive à l'énerver. Fallait-il que si elle n'était pas parfaite, elle soit à plaindre ? Encore une fois, ça semblait injuste pour la plus jeune.

- T'en as pas marre de vouloir te faire remarquer comme ça ? A croire que ça va te tuer de finir de manger avec nous. et sous l'agacement de la situation, un rire nerveux sort d'entre ses lèvres. - Tu fais ça pour qu'en rentrant papa s'intéresse encore un peu plus à toi ?

Il était plus simple de minimiser les douleurs de Rain, même si Rael les sait maintenant réel. Si elle pouvait encore lui faire mal, lui rappeler qu'elle n'était pas la bienvenue, elle piétinerait chaque souffle que sa soeur laisserait échapper.

Démon se glisse à sa suite, comme si elle n'en avait pas déjà assez fait, Rael revient la tourmenter de ses poisons douloureux. Vipère acharnée, elle a les crocs plantés dans sa nuque et ne lâchera pas sa proie jusqu'à ce qu'elle gise, inerte. Rain vide le peu de ressources qu'elle a en elle dans la cuvette des toilettes, disgracieuse et misérable sous les yeux dictateurs de sa petite sœur. Son estomac se tord et sa poitrine se compresse pour ne presque rien régurgiter, douleur abominable à laquelle elle ne s'habituera jamais, car elle déteste perdre le contrôle d'elle-même Rain, il n'y a rien de pire pour elle.

Elle se calme finalement, subissant dans son dos les médisances de sa cadette, gamine insupportable qu'elle pourrait étrangler si elle n'était pas un minimum sensée. Elle revoit ces nuits solitaires où elle restait debout cachée derrière la porte à épier Rael et sa mère construire ce lien auquel elle n'a jamais pu prétendre en tant que fille adoptive. Au fond, elle avait toujours su que leur entente serait impossible, car dès les premiers souffles de la petite, la maison s'est chargée de jalousie, et même si Rael est plus direct, Rain ne pense pas forcément mieux qu'elle. L'aînée pivote, s'effondrant contre la paroi des toilettes, le visage en bazar. Elle fixe un point devant elle tandis que les paroles de sa sœur résonnent, titillant sa patience. Ses prunelles se tournent lentement vers ce visage qu'elle hait tant. Elle se force à se relever, titubant sur ses talons avant de s'approcher d'elle. Elle lève un bras sans prévenir et abat sa paume contre la joue de la plus jeune, lui assenant une giffle qu'elle retenait depuis longtemps. « T'en as pas marre de jouer les connasses, Rael ? » À l'abri du public, diamant accepte de perdre de sa valeur, elle ne pèse plus son langage ni ses gestes, déterminée à la blesser autant qu'elle la blesse. « Tu te demandes encore pourquoi papa t'écarte des affaires de la famille ? Regarde-toi deux minutes dans un miroir, t'es pathétique, tu sais que faire des caprices et attaquer les autres, t'as pas l'étoffe d'une vraie femme, encore moins d'une Im ; t'es qu'un cafard que j'aurais dû écraser à sa naissance. » Elle ne pèse pas ses paroles, lui lance un regard aussi mauvais que le sien, dans lequel brille toute la colère qu'elle a pour elle. Et Rael n'a sûrement jamais vu sa sœur perdre autant le contrôle d'elle-même.

S'il le faut, je te ruinerai

S'il le faut, je te piétinerai.

Elle s'écarte finalement, rejoignant le lavabo d'à côté afin de retrouver un semblant de fraîcheur. « Faisons un truc, Rael. » Commence-t-elle, visiblement épuisée. « Restons loin l'une de l'autre un moment. Je n'ai pas de temps à accorder aux parasites dans ton genre. » Elle l'observe à travers le miroir, déçue de devoir en arriver là, déçue de ne pas avoir réussi à rester droite et digne face à son traitement, en colère contre Rael, mais surtout contre elle-même, car elle aura perdu le contrôle deux fois en peu de temps. « T'es capable de contrôler tes obsessions, ou même ça, c'est trop dur pour toi ? » Si vipère est si tenace, le chat n'hésite plus à sortir ses griffes, à montrer que sous ses airs de noble se cache aussi, parfois, l'instinct d'une bête sauvage.

S'il le faut, je te ferai goûter à l'enfer.

C'est que Rael semblait trop sûre d'elle, de ses grands airs qui ne font peur qu'à ceux qui ne partageaient pas leur nom. Alors quand elle s'approche, elle n'hausse que les sourcils. L'insolence évidente sur le visage, elle ne s'attend à rien de plus, juste des mots durs comme d'habitude. Rael, enfant choyée et trop gâtée, toujours cajolée et jamais frappée. La gifle assassine, c'est comme une brûlure qui irrite sa joue. Le visage tournée sous la violence du geste et les yeux ronds rivés sur le sol, pour une fois la gamine manque de mots. Leur père ne l'avait jamais frappé et les seuls violences sont celles mentales quand il semble déçu de ses comportements.

Colère évoluant avec sa haine, ses doigts tremblants, elle serre les points assez forts pour qu'une fois détendue on y retrouve les marques en demi-lune de ses ongles contre ses paumes. Rael, elle a les joues rougis par la douleur, la honte et la colère, les yeux brillants d'une frustration de pas pouvoir la noyer là maintenant. Elle l'écoute d'une oreille, elle écoute Rain lui cracher des mots que son inconscient savait déjà et qu'elle se refusait d'admettre par elle-même. Même si chouchoutée par ses géniteurs, Rael avait encore du mal à savoir se tenir, à contenir ses frustrations et ne pas piquer là où tout le monde peut voir. Rael a le sang d'une élite dans les veines, alors pourquoi sa soeur en inconnue passe mieux sur le tableau.
Si elle passé des nuits à écouter les histoires de sa mère, à s'accrocher aux vestes de son père, pourquoi elle n'a pas le droit à cette place qu'elle a toujours voulu. Alors au contraire de la calmer, les mots et les gestes de sa soeur n'ont fait que creuser le gouffre où elle voudrait plus que tout l'enterrer.

tu nous tues, jalousie.

Lors de ce silence qui dure quelques secondes, elle retient ses larmes d'enfant pourrie gâtée, qui n'a jamais été exposée à la moindre violence aussi minime elle pouvait être. Ca ne la rendra pas plus sage, Rael, même quand Rain propose une trêve d'un instant, elle a l'air toujours arrogante quand elle veut jouer les plus matures.

jalousie ce n'est pas rien, tu nous rends malade.

Rael relève la tête, de ses doigts elle se recoiffe et dégage les quelques mèches parasites pour les remettre derrière son épaule. Elle a encore la joue brûlante, mais se résout quand même à se tourner vers sa soeur.

- Quoi, t'es pas capable de supporter des pauvres histoires de famille ? ses caprices à elle. - Tu devrais la fermer non ? On est assez gentils de t'offrir un toi et une vie alors que tu pourrais pourrir je sais pas où, d'où tu viens. nulle part, Rain n'est jamais la bienvenue. - Je fais ce que je veux, la paix ou la guerre, c'était à Rael de décider. - alors tu devrais vite retourner à table, ça m'éviterait de raconter tout ça à papa.

Un rictus vient tordre le visage de la plus vieille qui a les yeux rivés sur sa cadette à travers la vitre des toilettes. Rire nerveux qui s'échappe d'entre ses lippes, chaque moment passé avec elle lui fait perdre un peu plus foi, car elle a beau se dire que c'est de l'immaturité, Rael n'a jamais fait preuve d'une once d'empathie vis-à-vis de personne, et c'est ce qui la rend si terrifiante auprès de ceux qui la subissent, car Rael est une personne qu'on se doit de subir, même si on voudrait réussir à l'aimer. Rain termine de se laver les mains en écoutant les inepties de sa sœur, le cœur à peine apaisé suite à la violence qu'elle s'est permis de monter. Ô, qu'elle regrette tout de même son geste, car aussi libérateur qu'il fut, l'idée qu'elle puisse ainsi se laisser aller ne l'enchante guère.

Le filet d'eau s'épuise, Rain a baissé le nez sur ses mains, elle conserve ce mal-être dans le creux de la poitrine, cette profonde angoisse qui l'empêche de se nourrir comme il le faudrait, et elle déteste que l'autre puisse avoir été témoin de cette faiblesse, car c'est une nouvelle carte qu'elle a placée dans ses mains, et plus le jeu de Rael est fourni, plus la vie de Rain est difficile. Les venins continuent de se déverser sans mesure, l'aînée ferme ses oreilles, elle n'a plus envie d'écouter les discours haineux d'une gamine pourrie gâtée. Elle dispose ses paumes en dessous du séchoir qui se déclenche aussitôt, couvrant les mots de Rael un court moment.

Une fois remise sur pieds, le visage à peu près présentable, elle se tourne à nouveau vers la source de ses ennuis, retrouvant ce regard arrogant et jugeur qu'elle lui réserve tout particulièrement. Elle fait un pas vers elle, menaçante, comme si elle s'apprêtait à lui asséner un nouveau soufflet, mais elle garde le bras baissé, souriant méchamment face à la calamité. « Va donc jouer les pleurnichardes auprès de papa. Vas-y, vois ce qu'il te dit, qu'est-ce qui te retient, gamine ? » Si Rael n'est pas capable de grandir, alors Rain s'alignera sur son échelle. Elle lève finalement le bras, ses doigts frais caressant la joue de la plus jeune, elle replace ses cheveux derrière son oreille, admirant la marque qu'elle a laissée sur sa peau immaculée. « Ça doit être dur d'être toi... » Souffle-t-elle, la voix redevenue calme. « Mh ? » Elle sourit, les lèvres s'étirent, mais le regard demeure meurtri. « Je me demande bien si un jour, tu parviendras à apaiser ton cœur, personne ne t'a jamais voulu du mal Rael, mais continue comme ça, et tu pourrais bien perdre les faveurs de tout le monde ici. » Murmure-t-elle alors avec condescendance, sa main trouvant sa place sur l'épaule de la plus jeune. « Ça serait bien dommage, je pense. » Elle perd son sourire, se redresse, et rompt le contact, dépassant la demoiselle pour s'éloigner d'elle et de cet enfer.

Rael se pensait grande et toute puissante malgré tout. Si Rain pensait s'en sortir après avoir brûlé sa joue sans difficulté, c'était mal la connaître. La plus jeune pourrait pleurer auprès du père de famile en effet, ce serait briser son coeur de ne pas croire celle avec qu'il partageait son sang et pourtant elle avait peur. Rael avait peur qui la pousse sur le côté en étant fatigué de ses caprices, préférant la figure étrangère que représentait Rain à ses yeux. Parce que la plus vieille semble être une poupée trop sage, on lui donne des rôles importants et une affection plus mature que Rael a toujours voulu. Alors si son père ne pouvait rien régler, elle se fera justice elle-même.

Rael ne la quitte pas des yeux, ses sourcils froncés venant briser ses airs de sainte si le public était témoin des choses qui se passent en coulisse. Alors quand Rain s'approche, elle ne détourne pas le regard mimant une indifférence et une arrogance qu'elle connaît bien. Pourtant le bout de ses doigts se crispent contre les tissus de sa robe, parce qu'elle est trop proche. La soeur à une distance où elle pourrait encore lui faire mal. Ses doigts se lèvent et elle a peur de la même sensation contre sa peau, celle qui brûle et qui pique comme des milliers d'aiguilles. Ses yeux se plissent dans l'attente pathétique mais rien de tout ça. Rael pense que c'est même pire quand la pulpe de ses doigts la caresse avec une douceur assassine. Elle déteste ça, son attention dérivant sur la main de Rain ( si je pouvais lui briser les doigts, juste maintenant ) avant de retrouver son visage quand elle la recoiffe trop sagement.

Si Rael continue, on ne prendra plus la peine de l'écouter. Si elle n'arrête pas de s'épuiser à être pourrie gâtée, on la laissera derrière. On finira par ne plus essayer de lui donner le sourire et de la voir comme un joyau à choyer. C'était quelque chose d'impensable pour la demoiselle et le fait que tout ça sorte de la bouche de Rain lui semblait encore plus horrifique. Jamais un monde ne pouvait exister dans lequel la plus grandes seraient enfin le total centre des attentions.

- Tu dis de la merde. elle rétorque, pour se rassurer plus qu'autre chose. - Qui va me laisser derrière ? C'est pas moi qui a été récupéré je ne sais pas où, ils pourraient très bien te jeter d'où tu viens sans remord. elle assume, croyant que le même sang qui coule dans ses veines étaient plus fort que son mauvais caractère.

Rael seule maintenant dans la pièce, attend que la porte claque signifiant le départ de Rain. Sous la pression et l'angoisse de sa haine, elle se laisse tomber. Accroupie et ses doigts qui s'acharnent sur ses cheveux. Il lui a fallu quelques secondes pour que ses colère maladives se calment, quelques minutes pour se remettre sur pied et prétendre de rien. Il lui a fallu juste un joli mensonge quand elle revient à table. Quelqu'un d'autre qui se sentait mal aux toilettes, et elle aurait eu l'âme bienveillante de l'aider à nettoyer des méfaits inconnus.

De toutes la soirée, elle aura ignoré Rain, ne se sentant pas de jouer les petites soeurs modèles. Elle se tenait simplement à côté d'elle quand il le fallait car les colères grondent encore dans son estomac, menaçant les violences à chaque regard porté accidentellement sur elle.