Depuis son arrivée, Taesoo ne s’est jamais réellement fondu dans la masse. Tout d’abord, son apparence de Coréen n’attire pas les plus jeunes, et les plus anciens crachent encore sur ses origines. Il n’en voit pas le problème cependant, il ne cherche pas non plus à les apprécier. Ce qui compte aujourd’hui, c’est faire son boulot et rentrer chez lui, même si cela doit prendre encore des années. Malgré tout, ironie du sort, l’homme a tout de même fait la rencontre de plusieurs coréens et coréennes – son scepticisme le pousse à penser que tout est intentionnel, ou qu’il attire indéniablement son peuple. Toutefois, jusqu’à maintenant, ces rencontres n’étaient pas des plus pacifiques. Il est vrai que sa personnalité parfois rustre instaure un certain malaise chez les plus timides. Il y a quelques courageux qui en ont fait l’expérience et sont tout de même restés. Notamment Sanha, qu’il a croisé à la sortie d’un bar – un pur hasard, au bon endroit au bon moment. Aussi violent peut-il être, Taesoo peut faire preuve d’altruisme. En l’occurrence, après avoir aidé Sanha – en pensant que c’était une femme – leur relation n’a fait qu’évoluer. D’abord partie sur un rejet constant : étant Probe, les saignements de nez et la colère du plus âgé n’arrangeait pas la situation. Or, petit à petit, leurs conversations en premier lieu superficielles, devinrent de plus en plus profondes.
Taesoo a alors compris que Sanha n’était pas une femme – ni un homme en fait, la découverte des genres, du ressenti des uns et des autres sur les genres et la sexualité. Il se l’avoue, c’est encore difficile de concevoir toutes ces idées et de faire la part des choses. Les « pronoms » sont encore nouveaux pour lui, alors il essaie tant bien que mal de s’adapter. De plus, ses saignements de nez sont moins récurrents avec Sanha – même si les lunettes de soleil ne sont pas en option pour supporter les interactions.

Ce soir, après un verre partagé dans le café du coin, les deux coréens sortent dans la nuit. L’heure tardive les presse, notamment à cause du couvre feu imposé suite aux tensions augmentant de jour en jour entre probes et monos. Sanha, toujours aussi doué dans ses plaisanteries – taesoo ne l’admettra jamais – réussi à faire esquisser un rictus chez le policier. Les mains dans les poches, ils s’avancent dans des rues peu fréquentées. L’homme n’a pas peur de faire une mauvaise rencontre – il est bien trop tôt, n’est-ce pas ?
Un souffle s’échappe de ses narines, lorsqu’il croise soudainement le regard de deux hommes non loin. « attends je crois qu’on nous fixe là. » il murmure, le regard alors posé sur le petit groupe d’individus venant vers eux. Dans ces moments-là, plusieurs réflexes sont possibles : fuir, ne rien faire et ignorer, ou se battre. En fonction du premier geste de l’autre, la situation peut prendre une tournure dangereuse. De plus, la frontière entre la défense et le prémédité est très fine – Taesoo est le mieux placé pour savoir qu’une fois la limite dépassée, la justice peut en décider autrement. Là, son instinct le trompe rarement ; à travers ses lunettes de soleil, on pourrait facilement comprendre que l’un des deux a le pouvoir de donner vie aux couleurs. Son pas s’accélère, incitant l’autre à faire de même. « bouge, c’est pas le moment d’attirer l’attention. » surtout en tant qu’infiltré, plus il se fait remarquer, plus sa couverture en pâtira – que ça soit auprès du clan ou de la police.

Sauf que malgré la vitesse de leur enjambée, les inconnus insistent diligemment. Les poings serrés, l’homme se contient de lâcher le premier coup. Une remarque, les japonais les arrêtent, le sourire en coin. Le brun sait, malgré son manque de vocabulaire, qu’ils en veulent au plus jeune. Aux apparences féminines, ils se doutent que la capturer serait bien plus facile – il suffirait simplement de neutraliser le plus grand. Or, l’ignorance porte bien défaut. « Partez. » déclare Taesoo, à travers ses vitres teintées. « On veut rien. » ajoute-t-il, s’écartant des deux malfrats. Ces derniers ricanent, lâchant probablement des jurons en japonais, avant de bousculer le policier, le faisant reculer. Ce n’est absolument le moment, ni le lieu de provoquer un combat – mais c’est trop tard, l’impulsivité fait effet chez le coréen. « Bande petites merdes- » jure-t-il en coréen avant de lâcher quatre phalanges dans la mâchoire du plus proche. Celui-ci râle en faisant un pas en arrière, mais l’autre vient à sa rescousse. Un dernier regard jeté vers Sanha avant de lui crier dessus. « Barre-toi Sanha ! C’est pas le moment d’aller chez l’hosto, on se retrouve chez moi ! » et les poings volent, volent, volent.

Il se souvient encore très bien de leur rencontre, même si elle remonte à de longs mois maintenant. D’abord une attirance, un Sanha qui comme d’habitude trouve un homme magnifique, qui donc très logiquement essaye de le séduire pour partager quelques baisers, peut-être même un peu plus. Un Sanha qui a bien trop tendance à oublier qu’ils ne sont pas comme lui tous attirés par les garçons, mais qui s’accroche quand même à l’espoir, tente d’user de ses charmes jusqu’à accepter la fatalité. Taesoo n’aime que les femmes et même s’il l’a d’abord pris pour l'une d’entre elles, il ne se passera jamais rien entre eux. Pas grave, ils peuvent au moins être amis. Leurs différences s’éclipsent lorsqu’ils rient ensemble, et puis il est toujours agréable de pouvoir communiquer dans leur langue maternelle, pour eux les étrangers dans ce pays à l’alphabet parfois complexe à comprendre. Aujourd’hui Sanha ose le qualifier d’ami, une de ces rares personnes assez proches de lui pour connaître beaucoup de choses sur sa vie, sur son passé. De toute façon, depuis ses sentiments naissants pour son colocataire, séduire qui que ce soit n’est plus vraiment d’actualité.

Et lui qui passait encore récemment toutes ses soirées dans les bars du coin pour finir dans des lits d’inconnus s’est bien assagi depuis quelques semaines. Depuis qu’il est amoureux de Minki certes, mais aussi et surtout depuis qu’il appartient à un mafieux, doit venir comme un chien dès qu’on le siffle. Toute cette histoire ne lui donne plus du tout envie de sortir seul, a transformé son courage téméraire en la crainte des autres, des hommes. Et plus que jamais, il préfère passer du temps avec des gens en qui il a confiance. Taesoo est l’un d’eux, alors il a accepté très volontiers de passer la soirée avec lui, sait qu’il est en sécurité en compagnie de son ami -et ce n’est pas que parce qu’il a l’audace de faire deux têtes de plus que lui-. Après tout, même s’il ne se souvient pas de grand-chose, Sanha sait qu’ils se sont rencontrés parce que le plus âgé l’a protégé un soir où il était bien trop alcoolisé. C’est un peu son héros, en quelque sorte. Alors aucune angoisse ne lui tord le ventre lorsqu’il le rejoint en ville si peu vêtu, et les minutes filent en sa compagnie, les heures aussi même, jusqu’à ce que le soleil n’éclaire plus du tout le ciel, que les gens s’empressent de rentrer chez eux. C’est vrai, il y a ce nouveau couvre feu. On raconte que les rues sont dangereuses la nuit, l’illustrateur le sait mieux que personne évidemment, lui-même victime de ces ombres malveillantes. Mais ce soir il est avec Taesoo, alors il n’y a rien à craindre.

Ou peut-être que si. Peut-être qu’effectivement, ce petit groupe les fixe. Que ce n'est pas anodin s’ils s’avancent vers eux. Quelques mois plus tôt, Sanha les aurait observés en retour, le regard fier et déterminé à ne jamais se détourner ou se baisser. Pas ce soir. Pas alors que ses enjambées se font plus rapides, qu’il serre nerveusement la mâchoire. Ça va aller, ça va aller. « Fais chier » Il ne veut pas vivre ça, pas encore, espère si fort qu’ils ne vont pas insister, que le ton de son aîné suffira à les dissuader. Quelle naïveté stupide de sa part. Évidemment qu’ils ne s’en vont pas, qu’ils provoquent, bien déterminés. Mais déterminés à quoi même ? Est-ce qu’ils veulent leur argent ? Le pouvoir de ses yeux ? Ou autre chose ? Qu’importe au final, ce n’est pas comme s’il avait le temps de demander avant que le premier coup vienne heurter le visage d’un de ces hommes, et que d’autres s'enchaînent encore et encore. « Non non » Il panique un peu Sanha, recule instinctivement mais ne peut se résoudre à s’enfuir en laissant son ami ici, tout seul. Il devrait pourtant, plutôt que de rester planté là, tétanisé. Et les secondes défilent comme les coups, une petite éternité se passe avant qu’il ne reprenne ses esprits et sorte un taser de son sac, n’hésitant pas à l’utiliser sur l’ordure qui s’approchait de lui et qui s’effondre immédiatement au sol. « Cassez vous ! Laissez nous partir ou j'vous grille tous ! »

Evidemment, belliqueux et colérique, Taesoo se jette dans la masse et fait voler les poings. Il n’en perd pas une miette, éprouver un tel plaisir à défoncer le visage malsain de ces hommes cherchant le conflit à la nuit tombée. L’homme en oublierait presque la présence de Sanha, quand son cri résonne dans la rue : instrument de défense sorti, un corps tombe à terre. Le policier esquisse un rictus, voyant la réaction, et se relève difficilement. « depuis quand t’as ça toi ? » pouffe-t-il avant d’assener un coup de botte dans la cuisse de l’autre toujours debout. « il est coriace, lui. » crache Taesoo en plongeant son regard dans le sien. Pourtant, le combat étant aussi court qu’intense, quelque chose cloche. C’est facile, trop facile. Quelques coups et c’en est fini ? Non, au moins un des deux cache un objectif bien précis. Le coréen est vif, juste assez pour comprendre que ce n’est pas lui la cible. Ses lunettes noires – signe d’une sensibilité à la couleur – trahissent sa situation. Dans la nuit, au milieu de nulle part, seuls leurs cris animent cette rue ignorée de la population. « merde, sanha... » il marmonne, car sa peau frissonne. L’instinct policier pourrions-nous appeler ainsi, ce sentiment de grave danger imminent. « merde ! » parce qu’un objet brille – là, hors de la poche de l’ennemi, scintillante sous l’astre blême. « san- »

Les corps s’entrechoquent, les mouvements sont fluides : Taesoo s’empare d’un geste rapide du taser, avant de tendre le bras vers le japonais. Ce dernier sourit, oui, parce que l’objet a atteint son objectif. Un râle de douleur s’échappe des lèvres du brun, ayant juste assez de force pour électrocuter l’agresseur. L’homme tombe à genoux, sonné, la main appuyé contre son flanc droit. « aah putaaiin... » la mâchoire crispée, la sensation de honte prend le dessus. Un couteau, évidemment. C’était prévisible. Mais, d’un manière ou d’une autre, Taesoo n’a pas voulu (( osé )) s’inquiéter davantage en voyant les japonais utiliser leurs mains uniquement. La tête baissée, le policier se pince les lèvres, se redressant avec difficulté. « aller on se casse. » il ne cherche pas à épiloguer – à tout instant, les deux inconnus se réveillent. « on va chez moi, où je t’ai précisément dit d’aller... » souffle-t-il en boitant. « faut que je me soigne parce que ça saigne pas mal là. » dit-il, n’affichant pas une once d’émotion, autre que la douleur. Inquiétude ? Peur ? Certainement pas. Pas devant Sanha. Pas devant qui que ce soit : angoisse, de montrer une partie qu’il ne contrôle pas. Même en arrivant, par chance, devant chez lui. Même en arrivant à la porte, même en l’ouvrant : parce qu’il s’écroule, proche de l’évanouissement, dans ce hall aussi vide que son esprit.

Taesoo, ivre mort d’une bataille perdue.

Ils voulaient juste passer une soirée tranquille. Partager un moment ensemble à rire de tout et discuter de n’importe quoi, et c’était plutôt réussi jusque là. Jusqu’à ce que ces inconnus décident de s’en prendre à eux sans la moindre sommation ni même daigner s’expliquer, dire ce qu’ils voulaient d’eux. Et peut-être qu’au final, c’est parce qu’ils ne veulent rien d’autre que de la violence gratuite, cherchent juste à faire pleuvoir les coups sans d’autre raison que parce qu’ils en avaient envie. Peut-être oui que c’est à cause d’eux que la ville est sous couvre feu, que c’est eux, les assassins recherchés. Et à vrai dire, Sanha ne préfère pas essayer de savoir si c’est le cas, le temps n’est plus aux questions lorsque son ami est occupé à se battre avec eux. Tout ce qu’il sait, c’est qu’ils doivent se sortir de cette situation et vite, car personne ne viendra les sauver. C’est en partie pour ça qu’aucune hésitation ne retient son geste lorsqu’il se sert de son taser contre une de ces brutes, espérant à la fois le mettre hors d’état de nuire, et en même temps dissuader les autres de continuer à se battre. « T’imagines même pas tout c’que j’ai dans mon sac » Pas grand chose à réalité, mais Sanha s’autorise cette quasi plaisanterie en voyant qu’ils reprennent le contrôle de la situation.

Enfin, non, pas vraiment. Parce qu’il sent d’un coup la nervosité de Taesoo, même s’il n’en comprend pas l’origine. « Quoi quoi ? Quoi merde ? » Ils étaient en train de gagner pourtant, non ? Ce n’était plus qu’une question de secondes avant qu’ils soient sortis d’affaire, alors pourquoi cette panique soudaine ? Le détail de la lame échappe totalement au regard pourtant censé être plus affûté de Sanha et il sursaute un peu en voyant leurs corps se percuter aussi fort, bien loin d’imaginer ce qui est réellement en train de se passer. Lui ne voit que le japonais tomber sous le choc de la décharge électrique, pense naïvement que son ami a gagné. Jusqu’à ce qu’il le voit à genoux, qu’il entend ses râles de douleurs. « Hey tu… ça va ? » Il ne peut que constater la blessure lorsque Taesoo se redresse. « Putain ! » L’illustrateur s’empresse de se rapprocher pour lui servir d’appui, sa main pressant doucement la plaie. « Ta gueule, j’ai bien fait de pas t’écouter ! T’aurais fait comment tout seul sinon ? Idiot » Il a toujours été comme ça, à retranscrire son inquiétude par des mots agressifs. Et le trajet jusqu’à l’appartement du plus vieux lui semble interminable même s’ils vont aussi vite que possible, et lorsque ce dernier s’effondre une fois arrivé, Sanha utilise toutes ses forces pour le redresser. « Non non allez juste encore un peu, on va dans la salle de bain okay ? T’as de quoi soigner ? De quoi recoudre ? » Il le traîne comme il peut, fouille déjà les placards à la recherche d’une trousse de secours. « On devrait vraiment appeler les secours, ça te fait très mal ? »

Et le corps ne répond plus : Taesoo - enfin, Shigeo s’est écroulé d’épuisement. Il entend au loin la voix de Sanha qui s’inquiète. Ah ! Il fait comme il peut pour se tenir éveiller, il imagine toutes les choses qui lui sont arrivées depuis qu’il a posé les pieds au Japon. Taesoo, coréen pure souche à la vie bien agitée. Les pensées fusent et s’entrechoquent dans son subconscient : le coréen lutte pour ne pas sombrer plus bas, il en a peur ! Oui, c’est un fait, peur de retrouver des démons dans cet inconscient, peur de croiser des souvenirs qu’il pensait enfouis depuis des années. L’homme marmonne dans sa peine, des gémissements d’angoisse tandis qu’il sent cette blessure comme un gouffre creusé dans l’abdomen. Il n’en est rien cependant : appeler les secours n’est pas urgent : les premiers secours doivent être appliqués quoi qu’il en coûte. Son ami, lointain dans l’esprit, l’appelle et demande de l’aide. C’est vrai, ils sont chez lui. Les dernières forces de ses bras lui servent à indiquer la salle de bain, avant de laisser tomber sa main sur la blessure. Le carrelage froid lui fait un bien fou sur le visage ensanglanté ! Ah ! Il rechute, davantage exténué.

Le corps, le langage, rien ne fonctionne, alors le policier se sert des légers sons qu’il parvient à laisser échapper. Oui, il a de quoi recoudre : agent belliqueux qu’il est, la moitié de ses cicatrices superficielles ont été en premier lieu soignées dans cette même pièce. Rares étaient réalisés les appels auprès des professionnels : honte inavouée de se montrer vulnérable. Dès lors, Taesoo se laisse trainer dans la salle d’eau, l’esprit embrumé, la tête oscillante, il soupire. Il ne faut surtout pas appeler les secours, il râle. Il faut le soigner, c’est tout. L’homme repense aux sermons de son ami quand il s’est retrouvé blessé - évidemment ! Comment aurait-il fait sans sa présence ! Un rire lui échappe, un soupçon d’énergie lui permet de soulever le pull où se trouve l’importante coupure. Le coréen exhibe la zone : tâchée de sang, d’autres cicatrices sont pourtant apparentes sur cet abdomen - il faut le dire - très bien sculpté. « ici…» l’on penserait cet homme invincible ! Lorsqu’il marmonne, un rictus sur son minois, plongeant son regard dans celui de Sanha.

Sanha n’a pas l’habitude d’être celui qui prend soin des autres, celui qui veille et surveille. D’ordinaire c’est plutôt l’inverse, tant à cause de son apparence frêle que parce que sa maladie le rend tout particulièrement vulnérable au point de nécessiter qu’on s’assure régulièrement de son état. Mais ce soir il ne réfléchit pas, l’urgence de la situation le presse et l’incite à s’occuper de son ami. Même s’il ne sait pas faire, même s’il panique un peu, nerveux à l’idée de ne pas être assez rapide, assez compétent. De toute façon Taesoo semble trop dans les vapes pour ressentir sa peur, ce qui le rassure autant que ça le terrifie. Il n’est pas médecin, ne pourra pas faire de miracles. Il essaye de ne pas trop y penser cependant, au moins pour ne pas céder à l’anxiété. Il est pourtant évident qu’elle est déjà bien installée pourtant, car il ne fait aucun doute qu’en temps normal les gémissements du plus grand l’auraient fait réagir. Mais non, il doit rester concentré sur sa tâche. Surtout quand Taesoo n’aide pas, à peine conscient. Surtout quand il se met à rire et qu’il dévoile son torse digne des sculptures grecques. « Putain » Ça lui échappe malgré lui, malgré le sérieux de la situation. On dira que c’était une réaction à la blessure, rien de plus.

« Okay euh… ouais non faut qu’tu retires entièrement ton pull, ça va retomber dessus sinon » Il ne lui demande pas s’il est capable de l’enlever tout seul, ne lui demande pas non plus son autorisation pour le faire à sa place, de toute façon Taesoo n’est à priori pas trop en état pour parler. Et Sanha se déteste de poser un peu trop longtemps son regard sur le torse face à lui, secouant la tête pour se forcer à se concentrer sur la blessure. « Va falloir désinfecter, ça risque de faire mal, enfin j’crois » Il n’y a clairement pas de pire infirmier que lui qui ne peut pas ressentir la douleur, car il est incapable de s’imaginer ce que son ami peut ressentir, et ce qu’il faut faire pour lui faire le moins mal possible. Trousse de secours trouvée, il sort un flacon d'alcool et en verse une grosse quantité sur une compresse. « Okay bg euh, serre les dents, paraît que ça aide » Et il tapote doucement le produit sur la blessure, concentré sur sa mission. « T’as niqué ma jupe préférée, j’espère que tu m’en rachètera une »

Dans les vapes, oui, Taesoo s’est souvent retrouvé dans cet état. Un trou dans l’abdomen en moins cependant : ce soir, c’est sans doute la première fois qu’il lui est impossible de se soigner seul. Là, Taesoo se retrouve à moitié nu devant son ami coréen - probablement le seul avec qui parler coréen ne l’angoisse pas. Madee et lui ont un passé commun, mais leur relation actuelle n’est pas des meilleures. Eiri sait parler coréen, certes, mais la dernière fois que c’est arrivé, l’homme a fini seul assis sur le goudron devant une épicerie. Bref, pour dire, le policier vit bien des aventures dans toutes les langues possibles ; seul Sanha semble supporter cet homme au caractère autant doux que changeant. Son état d’ébriété lié à la fatigue et la douleur le rendent bien plus fragile qu’il ne veut le laisser paraitre. C’est d’ailleurs lorsque son ami lui retire le pull que le brun râle, comme un animal qu’on oserait sortir d’un sommeil profond. Pourquoi l’enlever ? Taesoo entend à peine ce qu’on lui murmure : un frisson lui parcoure l’échine tandis que son torse nu est mis à découvert. Ah ! S’il se voyait, le dit policier fier et indomptable. Le voilà à moitié écroulé, en sang, shooté à l’adrénaline de la survie.

Le front penche, petit à petit, chute jusqu’à l’épaule frêle de Sanha. Celui-ci, bien sûr, avertit l’homme de son futur geste : mais que faire ! Taesoo est un grand garçon, il ne va tout de même pas chouiner pour un peu de désinfectant ! « Ah putain ! »
Le réveil est soudain, la douleur est différente : transcendante, vive, comme un bouquet d’aiguilles creusent sa peau déjà amochée. Par réflex, ses dents se plantent dans le t-shirt tâché du garçon ; serrer les dents pour mieux supporter cette sensation. Un coup de jus dans son esprit lui permettant d’ouvrir les yeux, de gagner un semblant de conscience pour s’accrocher d’une main à ce qu’il peut. En l’occurence, l’homme parvient à agripper le tissu de la jupe de Sanha. Les gémissements de douleur s’intensifient, et cette fois, l’homme entend clairement la remarque de l’autre. Entre deux souffles saccadés, Taesoo esquisse un sourire. « Ouais, mets-la sur mon ardoise. » Il relève la main, consciencieux du sang coagulé sur celle-ci, avant de la poser sur la partie exposée de la taille du plus jeune. Là, le coréen tente de relever la tête : impossible, il sent que l’euphorie s’évapore, sa joue s’écrase sur l’épaule encore une fois. Le coréen marmonne encore dans sa confusion, le souffle chaud caressant la peau nue du cou de Sanha. « Désolé, la prochaine fois je jouerai pas les héros… »

Sanha se rend bien compte qu’il parle dans le vide, que son aîné n’est pas en état de lui répondre et probablement même de comprendre ce qu’il lui raconte, mais à vrai dire s’il parle autant, c’est surtout pour se rassurer lui-même et rester aussi concentré que possible sur sa tâche sans céder à la panique. Parce qu’il sait se soigner lui-même, évidemment il est bien plus simple de s’occuper d’une blessure parfaitement indolore plutôt que de traiter la plaie de quelqu’un d’autre en souffrance évidente. Et même si sa maladie est loin d’être un cadeau, plutôt que de transmettre les couleurs, ce soir le probe aurait préféré pouvoir lui partager son insensibilité à la douleur pour l’immuniser au moins le temps de pouvoir le soigner. Sauf que ça ne fonctionne pas comme ça, et que Taesoo n’aide pas en s’écroulant à moitié sur lui, limitant grandement ses mouvements. Heureusement -enfin, de façon relative-, la sensation de l’alcool à désinfecter sur la plaie le tire hors de sa léthargie et le rend au moins assez conscient de tout ce qui se passe, même si c’est au prix des si jolis vêtements d’un Sanha qui ne peut retenir une grimace en voyant toutes les traces de sang sur cette jupe qu’il aime tant. Évidemment il y a plus grave dans l’immédiat mais quand même, cette jupe était un véritable aimant à hommes, quel gâchis.

« Fais gaffe la facture va être chère hein, faut payer mes skills d’incroyable infirmier aussi » Essayer de distraire Taesoo de la douleur en parlant d’autre chose, en plaisantant comme ils le font toujours. Frisson lorsque la main remonte sur sa taille dénudée où le sang qui coule chatouille son épiderme, un peu comme celui de son cou qui subit les assauts de la respiration du plus grand. En distraction, on ne fait pas pire dans le milieu. « C’est clairement moi le héros ici » Une fois la plaie nettoyée, il donne un léger coup d’épaule pour l’inciter à relever le visage qu’il prend en coupe pour pouvoir croiser son regard. « Hey Shigeo, focus. Comment tu te sens ? T’as mal ? Si tu sens que tu vas perdre connaissance faut me prévenir okay ? On va éviter que tu t'exploses le crâne en tombant, tant qu’à faire » Non parce que des points de suture encore il peut faire, mais recoller un crâne fendu par contre, ça non. « Garde ton regard sur moi, j’veux pas te voir regarder la blessure. » Il fouille la trousse de secours, habitué à toutes ces choses. « T’as pas un truc contre la douleur ? Non pas que j’ai pas kiffé t’entendre gémir, mais tant qu’à faire je préférerais que ce soit à cause d’autre chose. J’vais être jaloux de l’aiguille si j’te recouds et que tu gémis encore comme ça, ptite coquine »

C’est vrai, Taesoo devra payer cher de sa poche les vêtements détruits de Sanha. C’est vrai, ce dernier met les dernières sorties à la mode, dans les mêmes teintes pastels et colorées ; c’est vrai ! Que le plus jeune s’habille bien, quelque soit le style, toujours là pour attirer le regard, et Taesoo n’en a jamais manqué une miette. Il se souvient même de cette période où l’autre lui tournait autour, l’homme a du rapidement poser les bases pour éviter toute déception. Enfin, c’était il y a un moment maintenant. Aujourd’hui, leur relation a évolué. Aujourd’hui, le policier ne se pose plus réellement de question ; sa mission lui prend bien plus de temps qu’il ne se l’avoue. Ce soir, pour la première fois depuis des années, il semblerait que le coréen lâche du leste et se laisse prendre en charge par son aml. Ce n’est pas du tout le héros de la soirée en effet. Enfin si, seulement quand il a servi de bouclier et a fini troué par une lame. La plaie est d’ailleurs soigneusement nettoyée, et le policier profite de cet instant pour reprendre légèrement ses esprits - en vain. Ce n’est que lorsque que le probe prend son visage entre ses mains, forçant le contact visuel, que le second coup de jus secoue son corps.

Le sang coule, mais plus de la blessure. C’est son nez cette fois-ci qui s’y met : les effets de la rencontre entre deux êtres à la vision différente. Ah ! Avec tous ces évènements, le brun avait oublié ce détails assez important. Si bien que même lorsque son faux nom est appelé, il reste confus. « Shigeo ?  Hein ? » l’abrutissement de la douleur, et maintenant les effets nocifs des regards échangés. Les couleurs fusent ! Les oreilles bourdonnent, et Taesoo perd la tête. Il ricane, comme drogué par cette nouvelle scène s’offrant à lui. « Aaah oui, moi-même. » il serre les dents cependant, car le rire résonne dans son torse déjà amoché. Taesoo a, lors d’un instant, oublié que même Sanha n’est pas au courant de sa réelle identité. Si bien qu’il se tâte, dans un élan de folie, à tout dévoiler. Observant les moindres faits et gestes du plus jeune, le policier garde les yeux légèrement ouverts, profitant de toutes ces couleurs et sensations lui provoquant un semblant d’euphorie. C’est vrai, les cheveux de Sanha sont longs et roses. C’est vrai, cette tenue attire l’oeil, et c’est vrai, Sanha est bien attirant. Le dernier commentaire de son ami est comme un déclencheur, parce que Taesoo perd toute notion de principe. « Tu vas m’entendre plus souvent alors. » murmure-t-il d’une voix rauque, avant de prendre d’une main le visage de son ami et forcer leurs regards. Sans hésiter, le coréen pose ses lèvres sur les siennes, laissant échapper - comme par hasard - un énième gémissement. Doucement, il se recule pour poser délicatement son front contre celui de Sanha. « Faut pas être jaloux, ça donne des rides. »

Même s’il accepte de le soigner, Sanha continue de croire qu’il serait bien plus raisonnable et judicieux d’appeler les secours qui sauront s’occuper de cette plaie infiniment mieux que lui. Sans doute est-ce parce qu’il est habitué à devoir se rendre à l’hôpital à la moindre blessure, même s’il lui est arrivé plus d’une fois de se débrouiller seul, en témoignent certaines cicatrices bien disgracieuses à cause de ses compétences plus que restreintes. Mais raisonner Taesoo semble relever de l’impossible, même s’il pourrait aisément appeler les secours sans même que ce dernier ne le remarque tant il semble planer ailleurs. Est-ce qu’il s’en rendrait compte ? Probablement pas, et même s’il décidait de lui en vouloir plus tard, le probe n’aura qu’à rétorquer qu’il a fait ça pour lui sauver la vie. Oui ce serait bien plus simple, mais pour une telle blessure la police serait probablement impliquée, et Sanha n’a vraiment pas envie d’être interrogé ou bien que tout ça se retourne contre eux car ils sont des étrangers et que, comme le plus grand a donné le premier coup, la faute leur reviendrait. Il ne veut pas rentrer en Corée, jamais. Alors il n’a pas le choix, au péril de ses beaux vêtements. Au péril des précautions aussi de toute évidence, puisqu’il oublie totalement le pouvoir de ses yeux sur ceux de Taesoo, et les effets secondaires qui l’accompagnent. Encore plus de sang.

« Wow mec t’as pris un coup sur la tête ou quoi ? Nan parce que si tu te mets à oublier ton propre nom, ça craint un peu là » Et sans doute que l'illustrateur devrait prendre ça bien plus au sérieux, mais il a cette capacité à rester stoïque qui n’est, au final, ni une qualité ni un défaut. Mais ça a au moins le mérite de le garder concentré sur sa tâche, dans sa recherche vaine de morphine ou tout autre anti douleur assez puissant pour l’empêcher de trop souffrir lorsqu’il va le recoudre. Évidemment sa recherche ne mène à rien, ce genre de produits ne se trouvent pas dans les trousses de secours d’une personne lambda mais après tout ce n’est pas comme s’il pouvait savoir, lui qui se fait même opérer sans la moindre anesthésie. Et pendant qu’il fouille tiroirs et placards il se permet une petite plaisanterie sur les gémissements qui ont chatouillé ses oreilles encore et encore, le genre de remarque provocante qu’il fait souvent sans vraiment avoir pour but de provoquer une quelconque réaction autre que le rire. Il y a bien longtemps qu’il ne cherche plus à séduire Taesoo, ne dit ce genre de choses que par habitude. Cependant d’ordinaire ils en rient. Aujourd’hui, ce n’est pas exactement ce que ça provoque. Aujourd’hui, son ami l’embrasse. Et Sanha est si choqué qu’il n’arrive même pas à réagir, mains qui se posent doucement sur le torse -dénudé, merde- de son aîné lorsqu’il s’écarte. « Okay euh… ouais t’as vraiment pris un coup sur la tête. » Il essuie sommairement le sang sur ses lèvres et s’éloigne pour chercher à nouveau un anti douleur (pour fuir la situation, surtout) « J’sais pas si t’es amnésique ou quoi, mais t’es hétéro hein, et j’suis pas une fille. En plus ! J’ai aucune ride »

Lorsque les lèvres de Taesoo rencontrent celle de Sanha, l’aîné ressent comme un coup de jus dans l’intégralité de son corps. Non pas comme si la lumière sacrée lui était parvenue, mais plutôt comme la découverte inattendue d’un monde longtemps rejeté. Il sourit, le jeune brun, avant d’être repoussé par l’autre qui semble pris de court. Celui-ci essuie le sang, et le policier se lèche la lèvre inférieure, le nez toujours ensanglanté. Maintenant qu’il voit le monde sous un autre jour, tout ce sang répandu dans la pièce, le policier reprend un soupçon de conscience pour se redresser. Mais la douleur ! Ah, le coréen vacille jusqu’à se rattraper au lavabo de la salle de bain. Il sait pertinemment qu’il n’est pas lui-même. Pourtant, pour la première fois depuis des années sans doute, il semble prendre plaisir au jeu qui s’offre à lui. « J’ai peut-être pris un coup sur la tête mais je sais reconnaitre un ami, qui plus est avec un beau faciès comme le tien. » Le sourire en coin rend l’individu presque ridicule, même si sa tentative de séduction n’est pas brusque, l’on peut remarquer que Taesoo n’a pas eu de relation depuis un moment. Il est rouillé, c’est le terme. « Et oui je suis blessé mais pas amnésique. Je pourrais te montrer les yeux fermés comment recoudre cette entaille. » Il fait un signe de la tête vers la blessure en question avant de regarder le placard sur lequel il est appuyé. « Regarde là dedans, y’a de quoi faire le taff. »

Et puis Sanha, à son habitude, se montre imperturbable. Les remarques ! Sur l’orientation de l’ainé, ainsi que sur le fait qu’il n’a pas de ride, et que c’est une fille. Il n’a pas tort, le policier l’observe attentivement, un sourcil arqué, le rictus toujours présent. « Fille ou pas, ça t’empêche pas d’être attirant. Et franchement, je doute, à ce train là, d’être totalement hétéro… » Un petit héhé lui échappe, le rendant plus crédule qu’il ne l’est déjà. Taesoo ne boit pas d’alcool - enfin, il n’en a pas bu depuis très longtemps. Il ne sait même plus comment il se comporte une fois alcoolisé ; eh bien voilà le résultat. Ivre d’une adrénaline qui dure depuis plus d’une heure, le policier sent comme pousser des ailes. Si bien qu’il ose, grand fou, se rapprocher de son ami cherchant refuge dans n’importe quel objet pouvant lui faire éviter de croiser le regard du plus âgé. Ah, inutile ! Car l’homme pose délicatement sa main sur la joue du visage du probe, avant de s’en approcher une nouvelle fois. « hmm… » Taesoo plisse les yeux, zieutant en détail les traits de Sanha, et penche la tête. « Je crois voir des rides aux coins des yeux, non ? Et sur le front, à force de froncer les sourcils. » Il hausse les sourcils, l’air naturel. « Ouais, y’a moyen de régler ça, en relaxant un peu plus cette mine crispée. Ce que je pourrais facilement t’aider à faire. » Il dit cela, comme une évidence : le sous-entendu ne passe pas inaperçu - Taesoo a vraiment perdu la tête.

Jamais Sanha ne se serait attendu à ça. Ils se connaissent depuis de longs mois maintenant, et le probe se souvient parfaitement de son attirance envers celui qui depuis est devenu son ami. À cette époque, il en rêvait de ce baiser. Rêvait de bien plus même. Nombreuses tentatives de séduction qui se soldaient toutes par des échecs, jusqu’à ce qu’il accepte sa défaite. Taesoo n’était absolument pas attiré, pas intéressé. Probablement même que seules les filles pouvaient obtenir ce genre d’attention de sa part. Et ce n’est pas si grave après tout, de cet échec est née leur amitié et l’effet papillon les a conduit jusqu’à cette soirée mouvementée. Et ça ne sonne pas si bien au final, compte tenu de l’attaque dont ils ont été victimes. Attaque que l’illustrateur semble totalement oublier dès la seconde où ils se sont embrassés. Rares sont les occasions où on peut le surprendre, et pourtant le voilà tout pantois, à fuir la situation, le rouge aux joues qui, il l’espère, est caché derrière les traces de sang. Taesoo l’a embrassé. Taesoo l’a embrassé et c’était doux, et c’était bon. Il l’a embrassé et Sanha bégaye presque, parce qu’il se retrouve projeté des mois en arrière, quand il rêvait de goûter à ces lèvres charnues.

Sauf que le temps a passé, que leur relation a évolué et que, merde, il en aime un autre. Et c’est le chaos dans son esprit, un mélange d’émotions et de questions, d’hypothèses et de doutes. La conclusion lui semble logique : le plus grand ne sait plus ce qu’il dit, ce qu’il fait. Peut-être un coup sur la tête, une montée d’adrénaline, la douleur qui le fait délirer. Dans tous les cas, son geste ne peut pas être conscient, voulu, réfléchi. Pourtant ses mots semblent affirmer le contraire et Sanha est totalement déstabilisé, le visage rougi par les jolies paroles. « Tu viens seulement de découvrir que j’suis beau ? » Comme à son habitude il tente de ne rien montrer, fait tout pour ne pas perdre la face et se montre imperturbable -et pourtant oui, il est très perturbé. Mains qui fouillent encore les placards pour enfin récupérer le matériel dont il a besoin, grâce auquel, qui sait, Taesoo sera trop dépassé par la douleur pour continuer de lui faire cet effet. Oui bientôt tout ça sera fini, oublié, effacé.

Ou peut-être pas, quand l’aîné va jusqu’à remettre en question sa sexualité. « Quoi ? » C’est lunaire. Et puis d’abord, comment sont-ils passés d’une blessure avec hémorragie à un baiser qui s'enchaîne sur une sorte de jeu de séduction sorti de nulle part ? Rien de tout ça n’a de sens. Bordel, ils étaient juste sortis prendre un verre au départ ! Il s’apprête à attaquer Sanha, sortir une blague stupide faussement blessante pour mettre fin à cette discussion mais ah, comment garder son assurance quand la main revient caresser sa joue, que leurs regards se verouillent avec une proximité telle que le souffle de son ami (ami, vraiment ?) s’échoue sur son visage ? « Tu- » Il panique un peu l’illustrateur, détourne le regard et le repousse à nouveau doucement. « J’suis pas crispé ! Juste… inquiet, voilà ! Tu viens de te faire planter, c’est normal que j’sois pas détendu ! » Excuse plutôt plausible alors qu’il déballe tout le matériel nécessaire pour le recoudre. « T’es en plein délire à cause de la douleur, fais pas des choses que tu regretteras demain, sinon après tu vas me détester de pas t’avoir repoussé. »

Feu le temps où Taesoo se pavanait dans les rues japonaises, la casquette vissée sur le crâne, fier d'intégrer l'unité spéciale d'investigation. Feu le temps où Madee, son ex, réchauffait ses draps et occupait son quotidien. Feu le temps où la haine et la peur des probes hantaient ses nuits. Feu un temps où Taesoo était inatteignable, notamment lorsque Sanha avait tenté une approche auprès du policier - qui avait, à ce moment là, refusé toute avance, en insistant bien sur son attirance pour les femmes cisgenres et hétéros uniquement ! Feu le temps, où Taesoo réfléchissait avec ses poings seulement. Car aujourd'hui, entre quatre murs, blessé, sous l'emprise d'une adrénaline dont lui seul à le secret, l'air satisfait. Le coréen observe son ami comme il observerait un de ses chats en train de dormir paisiblement. Un félin, oui, voilà pourquoi le policier se sent aussi relaxé - voire trop - auprès de l'illustrateur. Sérotonine offerte sur un plateau d'argent, l'homme s'en délecte ! Il sourit, satisfait. « bien sûr que t'es beau, j'ai jamais dit le contraire. Même quand on s'est rencontré, je me souviens pas avoir critiqué une fois ton visage ou tes tenues. » Oh ! C'est bien vrai. A la place, il critiquait son pouvoir de probe. Les saignements de nez à répétition, le stress par anticipation, ces éléments étaient source de rejet. Mais au diable tout cela ! Le pouvoir de l'ouverture d'esprit a fait effet. Comme quoi, il suffisait de plusieurs d'amitié, d'une altercation et d'un coup de couteau pour lui remettre les idées en place. La psychologie ? Que faire ! La violence est là pour l'aider.

Et la panique ! Dans le regard du plus jeune, qui ne se fait que plus embarrassé face aux gestes du policier, lui-même fier de ce qu'il parvient à lui faire ressentir. « Oui oui t'es crispé oui. » Il oserait presque lui faire un massage. « J'ai déjà eu des blessures similaires, et j'suis toujours en vie, t'as pas à paniquer comme ça, trésor.  » Et le surnom voltige, audace ! D'un individu qui n'a rien à perdre, et se laisse faire gentiment. « Je vais écrire une attestation pour déclarer que mon état actuel sera totalement assumé demain. Enfin, je risque sans doute de remettre ma vie en question. » il hausse les épaules, puis reprend. « mais regretter, non. Je regrette peu de choses, et ce soir, je ne regrette absolument rien. » Fait énoncé, sincérité au creux de ses pupilles sombres, Taesoo dégage un semblant de lucidité - le vrai taesoo - avant de retomber dans l'euphorie. Le matériel et sorti puis déballé, et Taesoo ne veut plus perdre de temps à regarder ce trou sanglant. D'un geste fluide, ses doigts saisissent les ciseaux, le fil, et l'aiguille. Entre ses dents, l'homme glisse son tshirt, et s'occupe de sa blessure. Cette fois-ci, le coréen se concentre le temps de faire un travail plus que convenable, surtout dans cet état. « ah putain... » il râle, l'adrénaline peu à peu dissipée. « j'la sens passer celle-là. » commente-t-il, avant de lever les yeux vers Sanha, puis sourit. « là tu vois, tu passes le fil comme ça pour que la cicatrice se voit moins, c'est une petite technique qu'on m'a montré un jour. » il dit cela comme s'il montrait la recette d'un gâteau. Rapidement, l'homme secoue sa tête, quelques mèches humides tombant sur son visage. En un rien de temps, la blessure est complètement fermée. Un dernier coup de nettoyage, un pansement large, et le tour est joué !

Taesoo jette les outils usagés dans le lavabo, dans l'attente de les laver le lendemain. Car ce soir, impossible de faire autre chose que dormir. Et emmerder Sanha, évidemment. Il peut désormais se lever - doucement tout de même - de toute sa haute et le regarder dans les yeux. Le menton du plus jeune entre ses doigts, il dépose un rapide baiser, avant de sourire. « aller ma belle, faut prendre la douche. Hors de question de dormir dans tout ce sang, hm ? A moins que tu ne veuilles faire autre chose ? » Clin d'oeil, car le plus âgé retrouve peu à peu ses esprits, mais reste toujours quelque peu crédule. Fou, insolence, imprudence !

Autant dire que ce n’est absolument pas dans les habitudes de l'illustrateur de repousser quelqu’un qu’il trouve si attirant, de ne pas répondre à de telles avances, surtout lorsqu’il a tant voulu mettre cet homme dans son lit, il y a quelques mois de ça. Et ce n’est pas facile, il doit même utiliser tout son self control pour ne pas laisser la situation dégénérer. Parce qu’il est amoureux d’un autre, et que même si les sentiments ne sont pas réciproques et qu’ils ne sont pas exclusifs, Sanha s’en voudrait d’imaginer le visage de son colocataire s’il venait à coucher avec Taesoo. Et puis surtout parce que ce dernier n’est de toute façon absolument pas en état, que sa blessure est toujours ouverte et que le sang partout donne des airs de boucherie à cette pauvre salle de bains. Autant dire que le contexte n’est pas optimal, au minimum. Puis il y a également autre chose : la probabilité que tout ça n’arrive que parce que le plus grand soit tellement shooté à l’adrénaline qu’il n’ait pas vraiment conscience de ce qui se passe, du fait qu’il soit littéralement en train de flirter avec un garçon. Et Sanha refuse d’être ce genre de connard qui profite d’une telle situation pour obtenir ce qu’il veut.

Son rôle ce soir c’est de prendre soin de son ami qui s’est blessé en le protégeant, rien de plus. Et cette mission serait infiniment plus simple si cet idiot de Taesoo arrêtait de le distraire sans cesse et l’aidait plutôt à trouver tout le matériel nécessaire. S’il a assez d’énergie pour flirter, il pourrait au moins lui indiquer où trouver ce qu’il cherche, mais c’est apparemment beaucoup moins fun. « Je panique si je veux ! Puis tu dis ça maintenant, mais je sais que tu vas regretter demain. De t’être fait planter à ma place… » Pause, regard qui se détourne « et de m’avoir embrassé » C’est certain. Peut-être même qu’il ne voudra plus le revoir après ça, qu’il lui en voudra trop de ne pas l’avoir repoussé plus que ça. « Maintenant si tu veux bien, le seul trou qui compte là tout de suite, c’est celui que t’as dans le flanc, alors ça suffit de faire ta chaudasse là » Mais avant que Sanha n’ait pu faire quoi que ce soit, son aîné décide de se soigner tout seul, et plutôt que d’insister, il abdique et le regarde simplement faire, grimaçant par moments devant cette scène peu glamour avant de rire à sa remarque sur les cicatrices discrètes. Il retire alors sa veste pour lui montrer une ancienne blessure sur son bras, encore très visible. « J’ai refermé celle-là avec une agrafeuse le temps d’aller à l’hôpital, faire ça proprement c’est pas ma spécialité » De toute façon son corps porte tellement de marques qu’il ne prend pas la peine de faire attention à leur apparence.

« Ça te fait mal ? » La réponse est évidente, mais pour quelqu’un qui ne ressent pas la douleur, il est légitime de s’interroger sur ce que peut ressentir une personne qui vient de se prendre un coup de couteau. « Ou alors t’es juste une grosse chochotte ? »  Probablement pas, il paraît que la plupart des gens souffrant d’une telle blessure sont plutôt du genre à s’effondrer au sol en hurlant, mais ça ne l’empêche pas d’emmerder un peu Taesoo. Surtout quand ce crétin recommence encore avec ces taquineries. « Ouais je voudrais faire autre chose… genre t’étouffer avec un coussin si t’arrêtes pas bientôt de dire n’importe quoi » Au moins il n’aurait plus à l’écouter le provoquer encore et encore. Excédé, il retire ses bottes et son haut, ne gardant que sa jupe avant de s’arrêter. « Tu veux te doucher en premier ? Par contre s’te plait évite juste de mourir ici, j’ai vraiment envie de me rincer là mais j’pourrai pas si y’a un cadavre à côté et c’est un peu chiant » Chacun ses priorités. « Et j’te vois venir, si tu me demande de te frotter le dos et de te laver les cheveux je te broie les burnes, d’accord trésor ? »