C’était comme ça que tu les passais, tes soirs de repos. A t’enfiler tellement de verres que tu pourrais en oublier ton propre nom. T’avais besoin de tout ce bruit, que la musique fasse trembler tes tympans. T’avais pas le choix. C’était le seul moyen pour ne plus entendre les voix qui gangrénaient ton esprit disloqué. Tu supportais plus le son incessant de tes traumatismes qui raisonnaient toujours plus fort au fond de toi et qui te rappelaient à quel point t’étais dégueulasse. Tu tapotais sur ta poche au milieu de la piste de danse, juste pour vérifier que le sachet de poudre était dans ta poche. Junkie que t’étais, tu trouvais ça réconfortant, de savoir que t’avais ta dose à portée de main. Si t’étais venu accompagner t’avais perdu ton acolyte. Tu pouvais pas dire ami. Des amis t’en avais pas. Juste un seul. Parce que pour ça, fallait donner sa confiance. Et la tienne elle avait volé en éclat quelques années plus tôt. Aujourd’hui, t’avais plus rien à offrir que ta déchéance et la présence de tes démons qui te poussaient un peu plus loin dans la profondeur des abimes de ton mal. Un putain de mal qui te mettait à genoux. Un secret tellement lourd à porter que tu préférais sombrer plutôt que lutter. Alors tu restais là, ton sixième (neuvième ?) verres à la main, au milieu de tous ses inconnus qui ne sauraient jamais ce que t’avais vécu. Tous ceux qui te jugeaient sans imaginer la cicatrice qu’on avait laissé sur ton âme. Ton innocence volée et bafouée par celui qui aurait dû te protéger. T’étais perdu. Le regard voilé par l’ivresse et le cœur à l’abandon. Et c’était l’esprit embrumé que t’attrapais le bras du type à côté de toi. Un mec qui avait sûrement pas demander à subir le poids de ton chagrin. T’étais persuadé que ton compagnon de soirée était revenu. « Hey Hikaru ! Tu me payes un autre verre ? J’ai la gorge sèche. » Et le porte-monnaie à sec. C’était pas comme si ton job de barman te permettait de vivre la grande vie quand tu dilapidais tes économies dans la drogue et l’alcool. Tu mangeais même pas. Toi, t’avais fait ton choix. La coke avant la bouffe. Parce que les nouilles, elles calmaient pas tes angoisses. Tu t’accrochais à son bras en lui offrant ce que tu pensais être un sourire charmeur. Tu l’étais pas avec tes joues rouges. Encore moins avec ton parfum masqué par la tonne de Wiskey que t’avais ingurgité. « Dis oui s’te plait ! » Tu clignais des yeux pour battre des cils. Sauf que t'étais loin d’avoir l’air innocent de Bambi.

tw. drogue, mort, suicide

Ren n'avait rien demandé.

Le jeune homme essayait de noyer désespérement son chagrin. Les regrets ne semblaient pas le quitter une seule seconde, le coeur terriblement lourd, écrasé sous le poid de la culpabilité.

L'alcool mélangé au black pills aurait presque tendance à presque l'éblouir. Si l'idée d'oublier le visage coloré de sa bien-aimée lui faisait terriblement peur, il se détestait également de dépendre d'une drogue qui lui permettait de voir les couleurs. C'était un cercle vicieux où il s'empêchait d'oublier les moments douloureux. C'était insupportable de se rappeler, de manière extrêmement vague en plus, la mort de son âme soeur. Se voir s'approcher d'elle, se précipiter, pour finir effondré à côté d'elle, avec la sensation de mourir à son tour. Et puis il avait lâché prise – il se souvient exactement de ce moment, où il a abandonné, lui-même, en la voyant rendre son dernier souffle.
Et régulièrement, il se dit qu'il aurait peut-être mieux valu que son overdose le tue — parce que crever aurait été clairement une délivrance. Il aurait mieux valu qu'il meure avec elle, même si c'était quand même ridicule de mourir d'une crise d'asthme.

Mais le pire dans tout ça, c'est qu'il n'a pas le droit d'honorer sa mémoire, et ça, ça déchire son âme un peu plus. Et en plus de ça, il se sent coupable, alors qu'il n'a absolument rien fait pour qu'on le désigne comme tel – il fallait simplement un bouc émissaire pour les parents, pour qu'ils puissent soulager leur peine et aller de l'avant, au détriment du jeune homme.

Et bien que Ren ait décidé de se rendre en boîte pour boire quelques verres et essayer d'oublier, son humeur n'était clairement pas à la fête.

Ren il boit son verre tranquillement, le visage aussi sombre qu’à l’accoutumée, quand quelqu’un lui attrape le bras. Naturellement, le jeune homme est un peu surpris, après tout, il ne connaît personne ici, il est venu seul, et il avait coupé les ponts avec la plupart des gens de son entourage, s'était totalement isolé, coupé de tout pour s'enfermer dans sa souffrance.

Pensif, son doigt retrace la cicatrice sur son poignet, celle qui aurait dû lui coûter la vie. Elle a bien cicatrisée depuis le temps, mais elle est encore rouge, signe qu'elle n'est pas encore assez vieille.

Rien qu'un mec un peu trop émêché – il sent l'alcool à plein nez, clairement.

— Je ne suis pas Hikaru, il répond froidement.

Il se tourne vers la personne, baissant à nouveau sa manche pour que l'autre personne ne voit pas, puis marque une pause, hausse un sourcil, avant de prendre une mine presque dégoûtée quand celui-ci commence à lui faire les yeux doux.

— Non, il répond du tac au tac.

Et Ren, il est loin de pouvoir subir le poids de la souffrance de quelqu'un d'autre, quand il n'est pas lui-même dans la capacité de porter la sienne. Il était tout aussi détruit, même si c'était bien différent.