novembre 2022

Un râclement de gorge. C'est tout ce qui vient briser le silence de sa petite chambre où trône un simple matelas. Debout devant le grand miroir sommairement posé contre l'un des murs, Chinmae observe son reflet. Il a sorti ce qui semble être son plus bel habit. Quelque chose d'assez sobre, mais propre. Il a récemment repéré un petit café qui lui a rappelé son pays d'origine. Le garçon espère donc pouvoir être embauché et enfin commencer à amasser de l'argent. La nervosité lui tord l'estomac. Évidemment, il espère faire bonne impression, c'est pourquoi il a sorti ses plus beaux vêtements. C'est un soupir qui s'échappe d'entre ses lèvres alors qu'il passe ses mains sur son haut pour lisser le tissus. Comme pour retirer des plis qui n'existent même pas. Ses prunelles remontent jusqu'à son visage et ses pulpeuses s'étirent en un sourire. Ça va. Le rictus n'a pas l'air aussi forcé qu'il l'est. En vérité, y a-t-il même un seul sourire qui lui vient naturellement? Depuis tant d'années, il sourit pour cacher les cicatrices intérieures. C'est l'unique raison pour laquelle ses lèvres s'étirent. C'est d'une tristesse... Un sursaut pour ne pas s'enliser dans ses pensées, alors qu'il prend enfin la direction de la sortie. Un trajet qu'il fait en marchant et en utilisant les transports en communs. Un retour chez lui à mi-parcours est nécessaire lorsqu'il se rend compte qu'il a oublié la partie la plus importante de sa petite sortie : son curriculum vitae. Non pas qu'il contienne grand chose, puisqu'il n'a jamais travaillé jusqu'à maintenant, mais c'est la base, non? Une fois au petit café, il remarque que très peu de gens s'y tiennent, si bien qu'il se demande si c'est ouvert. Regarder autour ; sortir le téléphone pour s'enquérir de l'heure. Peut-être est-il trop tôt? Non, non, c'est sensé être ouvert depuis une bonne demi-heure, au moins. Une petite gifle mentale pour se donner du courage avant d'entrer dans l'endroit. S'avancer doucement vers le comptoir, alors qu'il ne dénote aucune réelle présence. En vérité, il est même le seul "client" à l'intérieur. La nervosité grimpe soudainement en flèche et il est tenté de rebrousser chemin. Au lieu de quoi, il laisse entendre sa voix. ━ Bonjour? Je viens postuler pour un emploi...

novembre 2022

Avoir de la confiance en quelqu’un était une bonne base pour faire grandir et progresser l’individu en question. Dans la plupart des cas, cela se terminait pas une avancée notoire ou non, mais un début de quelque chose qui mènera à un accomplissement en soi-même. Pas pour Tonghyon. Parce que le laisser seul, c’était s'exposer à une possible soirée mousse à huit du matin, ce qui n’était plus une soirée, mais une matinée mousse. Enfin bref, tout cela pour dire qu’il était bien au café, seul, à avoir ouvert les portes avec la clé que Yuki et lui partageait. Avant de partir, son coloc’ la lui avait bien mise dans les mains, lui disant de la serrer très fort pour ne pas la perdre sur la route. Une bonne idée qu’il allait appliquer tous les jours maintenant. Dans le vestiaire, il enfila son uniforme de serveur, muni de sa chemise blanche, de son pantalon noir et de ses baskets propres et bien cirées. Il se fixa dans la glace, testant plusieurs positions toutes plus élaborées les unes que les autres. Jojo aurait été fier de lui. Normalement, d’ici quelques minutes, l’université non loin allait ouvrir et déjà des étudiants et plus particulièrement des étudiantes, allaient se presser pour prendre leur café matinal de survie. Tonghyon les trouvait vraiment distingués, ces gens. Ils semblaient tellement intelligents, ça l'impressionne.

Des écouteurs vissés dans les oreilles, il allumait tous les spots, machine à café et plaça sur les étagères et promontoires ce qui devait l’être. Les gauffres de Yuki brillaient encore sous les colories noirs et blancs qu’il arrivait à percevoir. L’odeur lui rappelait l’un des desserts de l’école primaire : un petit gâteau qu’il percevait d’un gris profond, au goût qu’on appelait chocolat. C’était une couleur apparement aussi. Mais il ignorait bien à quoi « chocolat » correspondait, si ce n’est le goût. Tonghyon avait commencé à travailler dans le café il y a quelques semaines à peine, mais déjà on lui confiait l’ouverture. En même temps, il était le seul serveur, assez sportif et agile pour rester debout toute la journée avec le sourire. Tous les autres membres du staff arriveront dans plusieurs minutes, de quoi laisser le temps au café d’ouvrir sans grand problème. Il repassa derrière le lavage d’hier - Akira le faisait, alors il copiait le mouvement -, tenta de bien aligner les tasses, rangeait les tables et mis les chaises sur le sol. Toujours de la musique se déversant dans ses oreilles. Après tout, on n’arrêtait jamais le générique de Kilari. Et alors qu’il farfouillait sous le comptoir, il crut percevoir une voix au-dessus de lui. Se redressant trop vite, il se cogna contre le rebord, déclenchant une bourrasque de verres et de porcelaines tintant les uns contre les autres.

« Ayaaaaaaa ! » s’exclama-t-il en se frottant la tête, de son plus bel accent de Busan.

Ses cheveux encore très courts ne l’avaient absolument pas protégé du bois dur. Mais la douleur était vite passée, plutôt remplacé par un « il y a quelqu’un au comptoir et je dois me lever et servir cette personne parce que c’est littéralement ma raison d’être ici sinon je serais en train de me taper une session d LOL dans le meilleur cybercafé du coin » qui le força à se redresser. Les yeux encore fermés, la tête penchée en avant, à se frotter frénétiquement à l'arrière du crâne d’une main, il dégagea ses oreilles encore occupées de ses écouteurs de l’autre.

« Désolé, dit-il enfin, affichant un de ses splendides sourires honnêtes, avant de redresser la tête, les yeux ouverts. Que puis-je po- »

La phrase mourut sur ses lèvres. La bouche ouverte, il crut défaillir. Mais avant que son esprit ne s’éteigne, Tonghyon retint deux choses : tout d’abord, le mec devant lui était canon, avec un visage incroyablement attirant, des yeux à faire chavirer les bateaux en papiers de sa vie, et ensuite, l’afflux surnaturel qui lui combla les pupilles. Des éclairs, des myriades, d’il ne sait quoi, tournaient dans tous les sens, remplissant ses iris, le comblant d’informations qu’il ne connaissait pas. Il voyait des choses inconnues, qu’il ne comprenait pas, que son esprit n’arrivait pas à décrypter. C’était beau, aussi resplendissant que le visage qu’il avait devant les yeux, les lumières aux couleurs… couleurs… Alors, pour faire dans la délicatesse, tout s’éteignit et son corps s’effondra en arrière, tel le pire personnage de cartoon jamais écrit. Quand on vous dit qu’il ne faut pas le laisser sans surveillance…

novembre 2022

Il est terriblement nerveux, à se demander ce qu'il fait là. Pourquoi est-il debout devant ce comptoir, dans ce décor unique et presque enchanteur, à attendre qu'on lui réponde? La vérité, c'est qu'il a peur, Chinmae. S'engager sur une nouvelle voie ne cesse de lui ramener son passif en pleine figure. Oh, il recommence, pour s'offrir une vie meilleure, mais la pensée qu'il pourrait à nouveau subir la même chose qu'à l'école de ballet le hante. Il tente de se convaincre que ce n'est pas une généralité, mais son estomac est douloureusement noué. Le fil de sa pensée ne s'aventure pas plus lorsqu'un bruit sourd, suivit de tintements, le fait sursauter. Une complainte lui parvient et il sait que cette personne vient de méchamment se cogner la tête en tentant probablement de se relever. Le jeune homme se penche légèrement pour tenter de voir l'autre côté du comptoir et s'enquérir de l'état de celui qui s'y cache, mais s'arrête lorsqu'un éclat de voix se fait à nouveau entendre. Les paroles le font d'abord froncer les sourcils avant qu'un mince sourire ne vienne se percher sur ses pulpeuses. C'est pour le moins amusant. Puis Chinmae recule d'un pas quand la silhouette se redresse et le laisse poser ses yeux sur celle-ci. Leurs regards ne se croisent pas encore et ça lui laisse le temps d'analyser celui à qui il a affaire. Une beauté sans équivoque, qui ne le laisse pas tellement indifférent. Et puis, leurs prunelles s'accrochent enfin, interrompant l'employé dans sa question. Lui ne ressent pas grand chose, si ce n'est une boule qui se forme dans son ventre. Ses iris foncés l'ensorcellent complètement et il n'arrive pas à détourner le regard. Il se sent soudainement bien petit face à lui, avec ce physique qui le percute. Sans même s'en rendre compte, le gamin retient son souffle, ne sait pas quoi dire. C'est l'effondrement inattendu de son vis-à-vis qui le sort de sa torpeur, mais pour y insérer une panique grandissante au creux du ventre. C'est comme s'il revenait à lui, alors qu'il expire et reprend son souffle comme s'il venait de faire un effort physique assez considérable. Il ne bouge pas encore, cligne des yeux à plusieurs reprises ; rapidement. Et son cerveau réalise finalement ce qu'il vient de se passer. L'autre s'est évanoui devant lui! Un mouvement interrompu ; il ne sait pas quoi faire. ━ Whaaaat. Qu'il laisse échapper en contournant le comptoir pour y trouver l'accès menant derrière afin de rejoindre le malheureux étalé au sol. Chinmae a un moment d'hésitation. Peut-il vraiment mettre les pieds de ce côté? Après tout, il n'est pas un employé... Et puis merde, il en assumera les conséquences, s'il se fait prendre. Il rejoint donc l'autre jeune homme et pose les genoux près de lui. Les mains qui entament le chemin vers sa personne avant de s'arrêter en plein vol. Il n'est pas à l'aise de le toucher. D'un coup qu'il empire la situation en le bougeant? Alors il se penche, pose une main sur le sol, près de sa tête pour pouvoir avoir son visage à hauteur du sien. ━ Hey, ça va? Quel idiot, l'évidence-même lui donne la réponse. ━ Pourquoi est-ce que ça doit m'arriver à moi? Réveille-toi! Doucement, avec une seconde hésitation, il tapote doucement sa joue de sa main libre. ━ Ouaaah, je fais quoi, moiiii. Excepté attendre qu'il se réveille, il ne peut pas faire grand chose. Ou alors, doit-il appeler les secours? Non, ils ne le comprendront sans doute pas, de toute façon...

novembre 2022

Tel un disque rayé - oui, il a des disques et il sait ce que c’est, arrêtez de croire qu’il y connait rien - la même image tournait dans son esprit inconscient. Des yeux en amandes, d’une couleur brune, qu’il voulait croire de celle du ce goût sucré et amer. Le chocolat… Il les voyait s’allumer, s’illuminer, prendre des couleurs. Une peau pâle, mais plus simplement blanche. Des lèvres différentes de la teinte de gris qu’il connaissait. Ce n’était plus la lune qui se couchait sur les environs, mais une chaleur, quelque chose de joli, de nouveau. Un inconnu au visage coloré, pour cette première fois à découvrir l’univers tel que beaucoup d’autres le connaissait. Il pouvait capter l’étrange nouvelle texture qui s’ajoutait à tout le reste. Le gris devenant autre. Comme tous les enfants, les couleurs étaient du vocabulaire courant, mais le bleu n’était qu’un gris moelleux parmi tant d’autres pour lui. Et là, il voulait savoir si le bleu était la couleur des lèvres de l’autre homme.

La première chose qu’il vit en se réveillant fut les yeux de celui qui avait pris place dans son coma. Les iris chocolats qu’il souhaitait connaître. De nouveau, Tonghyon sentit son cerveau s’excitait, remplis de couleurs, d’informations, de réactions chimiques. Même sa meilleure partie de jeux vidéo n'avait jamais réussi à lui procurer cette euphorie. Il pouvait voir les couleurs, sans les connaître certes, mais il les voyait. Un instant, il était allongé, l’autre, Tonghyon se redressa brusquement, portant les mains autour de lui, paniqué et surpris, évitant de justesse le front de l’autre. Ah non, hein ! Pas deux fois dans la même journée ! Déjà que son neurone solitaire avait dû mal à tenir la baraque, ce n’était pas non plus pour l’abîmer. Et puis, il ne pouvait pas faire mal à un visage tel que celui de l’autre jeune homme. Le regardant toujours dans les yeux, aussi surpris et paniqué que lui, il ne put s’empêcher de crier.

« C’EST PAS MOI, J’AI RIEN FUMÉ D'ILLÉGAL ! »

Technique d’auto-défense encore à personnaliser, je sais. Surtout que Tonghyon n’avait jamais touché à aucune substance illicite. Alors qu’il avait des camarades de classe qui fumaient derrière les bâtiments du lycée et même durant son service militaire. Non lui, il se fourrait des sucettes dans la bouche à l’époque et continuait de collectionner les figurines d’Anpanman. Deux salles, deux ambiances. Au moins, ses camarades de chambre de service avaient apprécié qu’il ramène son tamagotchi avec lui. C’est que ça vous faisait des soirées incroyables, ces trucs. Il est difficile de dire si Tonghyon se rendait compte de ce qu’il venait de dire. Après tout, il parlait beaucoup, et se souvenir de tout ce qu’il avait pu dire dans sa vie prendrait trop de place. Autant ne pas surcharger la bête, comme on dit ! La seule chose à savoir, c’est qu’il était fasciné par la lueur brune dans les pupilles de l’autre homme.

« Je vois les couleurs… » chuchota-t-il enfin, épris de sa torpeur.

Soudainement, il se leva sur ses deux pieds, regardant l’ensemble du café avec ses nouveaux yeux comblés. Les plantes n’avaient plus les ombres noires de leurs veines, il découvrit les affiches des tableaux qui comblaient les murs sans connaître les noms, remarqua la couleur du ciel du matin. Les mains à plat sur le plan de travail, il vibrait presque de joie de la découverte, d’excitation alors que son cerveau était en surchauffe. Et alors qu’il se retourna vers le jeune homme, son sourire n’avait jamais été aussi grand, aussi rayonnant, aussi contagieux qu’aujourd’hui, à ce moment précis. Il y avait cette histoire de probe et de mono, qu’un individu pouvait lui faire voir les couleurs un jour. Pour tout avouer, cela lui semblait tellement confus comme concept à l’époque, qu’il avait oublié. Mais, s’il ajoutait bien deux et deux, ce garçon aux yeux chocolat et aux lèvres bleues est son probe. Ce qui le poussa à faire une chose aussi irréfléchie que de se jeter dans ses bras pour le serrer avec émotion. Yuki l’aidait à travailler sur la question d’espace personnel et de barrières.

novembre 2022

La situation est vraiment incompréhensible pour Chinmae qui ne peut que rester là, impuissant, à espérer que ce jeune homme se réveille bientôt. Il n'a pas envie d'avoir de problèmes. Puis la nervosité lui tord les tripes, son palpitant se débat à une vitesse folle. Il retient la nausée qui l'éprend, tente de se rassurer en se disant que ce n'est qu'un évanouissement. Et s'il s'était fait mal en tombant? La soudaine réalisation le fait paniquer un peu plus et comme il s'apprête à l'examiner, l'autre ouvre les yeux et leurs regards se croisent encore. Ou plutôt, ils restent accrochés. Il ne sait pas pourquoi ses prunelles sont aussi fascinantes, mais il n'arrive pas à s'en détacher. Des iris d'un noir profond, captivant. Encore une fois, son souffle s'est interrompu. Pourquoi le moment est-il aussi intense? Chinmae n'a encore jamais expérimenté telle chose et ça le déstabilise. Heureusement qu'aucun client ne fait son apparition dans le petit café pendant ce moment. Il n'aurait pas su gérer tout ça. Déjà qu'il ne parvient pas à détacher ses prunelles de celles de ce jeune homme complètement inconnu. C'est d'ailleurs ce dernier qui émerge le premier en se redressant brusquement. De justesse, il s'écarte, leur évitant de se cogner la tête l'une contre l'autre. L'autre semble en panique et le plus jeune ne s'en sent pas rassuré. Ils devaient d'ailleurs afficher la même expression en cet instant sans même que leurs orbes ne se quittent. L'affirmation hurlée le fait sursauter méchamment. ━ T-tu ne sens pas, de toute façon, alors... Il ne sait pas tellement quoi dire, en vérité. Sa bouche s'est simplement ouverte sans même qu'il ne la contrôle. Se faire regarder aussi fixement aurait dû le mettre mal-à-l'aise, mais étrangement, ça n'était pas du tout le cas. Il se sentait comme apaisé par ses iris foncés. Comme si c'était quelque chose qu'il avait connu toute sa vie et ça le rendait perplexe. Déjà, parce qu'ils ne se sont jamais rencontrés avant aujourd'hui et parce qu'il n'arrivait pas à expliquer pourquoi ça le rendait aussi confus. Les mots lâchés le rendent encore plus perplexe, à vrai dire. L'autre garçon se lève subitement et Chinmae prend un instant pour reprendre son souffle et tenter de comprendre ce qu'il a voulu dire par là. S'il voit les couleurs maitnenant, ça veut dire qu'il n'a pas l'habitude de les voir... Se relevant doucement tandis que l'inconnu contemple les alentours, il comprend soudainement deux choses. Celui qui lui fait présentement dos ne peut être qu'un mono. Il en avait brièvement entendu parler, mais sans jamais réellement y croire. Et puis, réaliser que s'il peut distinguer les subtilités des couleurs, maintenant, c'est seulement parce que le nouvel arrivant ne peut être que son probe? La confusion ne fait que grandir dans son esprit, mais ses pensées sont interrompues par le sourire qu'arbore celui qui vient de se retourner vers lui. Son souffle se coince dans sa gorge. Il est si lumineux, en cet instant. Chinmae y est attiré comme l'est un papillon de nuit par la lumière. Dans sa tête, il est un soleil resplendissant, ajoutant du charme à ses traits déjà si bien dessinés. Une beauté qui le chamboule complètement. Pourtant, il se crispe lorsque ce dernier se jette contre lui pour l'étreindre. Des signaux d'alertes se déclenchent en son for intérieur, lui qui n'apprécie pas particulièrement être touché. Qui plus est par des inconnus. Néanmoins, les bras sont confortables et rassurants, il se sent presque en sécurité, sauf que ses mains viennent le repousser. Pas de façon brusque, non. Juste pour lui faire comprendre que ça ne le met pas à l'aise. Et puis, quelques rougeurs habitaient maintenant ses joues. ━ Je comprends pas ce qu'il se passe... Dit-il, cette fois, en baissant les yeux au sol.

novembre 2022

Se sentant pousser doucement, Tonghyon s'exécute sans réfléchir, ne prenant même pas mouche du rejet. Yuki lui avait dit que tout le monde n’était pas aussi à l’aise que lui avec les contacts physiques et qu’il fallait savoir faire attention. Il ne perdit pas son sourire, son expression joyeuse, alors qu’il s’impressionnait du visage de l’autre homme. Qui pouvait avoir cette forme de lèvres sans sortir d’un dessin ? Elles étaient plus pulpeuses que les siennes, presque en fleur. Et ses yeux, même baissés, étaient d’une finesse adorable. Glissant ses mains dans son dos, le serveur tenta de se secouer un peu. Certes, le bleu était joli, il comprenait pourquoi autant de personnes l'aimaient - surtout s’il s’agissait de la couleur qu’il percevait sur le visage de l’inconnu - mais le jeune homme semblait perdu et mal à l’aise. Il était donc du devoir de Tonghyon de remédier à cela.

« Non, ne baisse pas les yeux, demanda-t-il un peu plus doucement, se penchant pour capter son attention. Regarde-moi. »

Le serveur était plus petit que son probe, alors, ainsi positionné, il avait le visage de l’autre bien au-dessus du sien. Un nouveau sourire naquit, plus rassurant encore. Il pouvait sentir le frétillement du color rush qui continuait de se propager autour d’eux. Les couleurs étaient successivement plus ou moins vives, donnant des impressions de paillettes géantes dans tout son champ de vision. Heureusement, ce n’était plus la même explosion d’informations que tout à l’heure. Même le regard logé dans celui de l’autre, il n’allait pas tourner de l'œil dans la seconde. Enfin… On est à l'abri de rien, parce que c’est ce qu’il avait dit en prenant le ferry de Busan direction Osaka avant de finir la tête par-dessus bord pour s‘expier de son sandwich.

« Enchanté, mon cher probe, je m’appelle Eoh Tonghyon, se présenta-t-il. J’ai vingt-et-un ans, je suis serveur ici même, j’aime les animes, la musique, les jeux vidéos et je suis ton mono. »

Avait-il un jour pensé dire ça à quelqu’un ? Non. Jamais même. Parce qu’il n’avait cru rencontrer son probe, parce qu’il se plaisait dans son noir et blanc. Deux membres de sa famille proche sont monos, le ressentant comme lui. C’était un fait de la vie, comme on pouvait être n’importe quoi d’autre. Mais maintenant, il ressentait un nouveau regain d’énergie. C’était un début d’aventure qu’il voulait absolument vivre avec le bel inconnu en face de lui. (On a rien vu. Qui est beau ? Personne n’a rien vu, okay ?) Même s’il voulait se rapprocher de lui, il maintint sa position. Espace personnel, ne pas mettre mal à l’aise. Bon, ça ne devait pas aider qu’il le fixe comme si c’était la… On en est à combien de merveilles du monde, là ? Au moins, il avait fait une introduction, claire, précise, et pas totalement chaotique comme celle qu’il avait sorti à Yuki, avec un joli : “fraîchement largué, et toi ?” munis de son sourire et des mochis qu’il lui avait ramenés.

Ils avaient peut-être un peu de temps avant qu’un autre membre du staff n’arrive - préférable, un de ceux qui savaient faire du café pour lui éviter des catastrophes lorsque l’armée d’étudiantes allait arriver. Alors, il pouvait encore un peu, juste un peu, profiter de voir les couleurs dans leur intimité à tous les deux. A deux doigts quand même de lui demander son numéro et s’il était en couple ou pas.

novembre 2022

Il se sent si nerveux, en cet instant. Parce qu'il comprend soudainement qu'il est un probe. Un fait qu'il ignorait complètement jusqu'à maintenant. C'est pour ça que ce jeune homme s'est effondré au sol. Il venait de vivre un color rush. Son premier, peut-être? Chinmae n'en est pas certain. Comment pourrait-il le savoir, alors qu'il connait si peu ce monde dans lequel il évolue pourtant depuis un peu plus de 21 ans. Il se rend compte qu'à cause du ballet, il a raté son existence. Enfin, ça aurait pu être le contraire s'il n'avait pas dégringolé comme il l'avait fait à cause d'une seule personne. Sa confiance? Détruite. Son estime? Détruite aussi. C'est aussi à cause d'elle qu'il n'aime pas qu'on le touche. Ça lui rappelle trop de mauvais souvenir. C'est d'ailleurs l'unique raison pour laquelle il repousse le serveur du petit café. L'étreinte est chaleureuse, presque sécurisante, il aurait bien voulu s'y nicher pour ne plus jamais s'en défaire, mais le fait est qu'ils ne se connaissent pas le moindrement du monde. C'est probablement ce qui le trouble le plus, dans cette histoire ; se sentir aussi bien dans les bras d'un parfait inconnu. Il ne sait comment digérer l'information, alors il l'ignore. Les yeux baissés, Chinmae se demande ce qu'il doit faire. Il n'a pas pour habitude d'être ainsi, lui qui possède naturellement presque la même énergie que son vis-à-vis. En étant loin de se douter, qu'en fait, ce dernier est bien pire que ce qu'il pense à cet instant. Puis le plus jeune est loin d'être aussi lumineux. Non, lui, il est sombre et fade. Parfois, il se demande qui il est et à quoi est destinée sa petite existence. Il estime ne pas apporter tant de réconfort à ceux qui l'entourent. Il lui est ordonné de ne pas baisser les yeux et avant même qu'il relève ses orbes, il croise celles de son vis-à-vis. Enfin, il finit par relever la tête pour le regarder confortablement en face. Il n'a pas réellement peur de l'observer franchement, il a simplement l'habitude de déceler des choses qu'il n'aime pas dans un certain regard. L'enfant se doit de se ressaisir. Il n'a pas affaire à cette personne qui l'a laissé se fracasser pour ne devenir qu'une infime fraction de celui qu'il était. Non, cet homme est différent, il le sent bien. Chinmae est simplement subjugué par sa présence et les rougeurs sur ses joues s'accentuent légèrement. Le jeune homme s'introduit donc et il peut enfin mettre un nom sur ce magnifique visage. Il donne probablement un peu trop d'informations pour une première rencontre, mais ça le fait sourire doucement. ━ Enchanté... Je m'appelle Cha Chinmae et j'ai aussi vingt-et-un ans! Il se garde bien d'en dire plus, car le gamin n'aime plus grand chose dans ce monde. L'amour qu'il avait pour la danse classique s'est éteint depuis un trop long moment et sa dépression l'empêche de savourer la vie comme il le devrait pourtant. ━ Je suis vraiment content que tu parles coréen, j'ai trop du mal à apprendre le japonais. Il parle un peu pour détourner le sujet. Dire ce qu'il (( aimait )) ne l'enchante pas. Il ne veut laisser personne voir son mal-être. Encore moins quelqu'un comme Tonghyon, qui brille si fort. Et aussi pour se laisser le temps d'assimiler cette histoire de mono et de probe.

novembre 2022

Cha Chinmae. Les syllabes sonnaient aussi douces et vives que le propriétaire de ce prénom. Tonghyon le note dans un coin de sa tête, imaginant les hangeul qui correspondent pour pouvoir l’assimiler. C’est comme ça qu’il avait appris à écrire et à lire, alors c’était devenu une sorte de réflexe. Visualisation… Compréhension ! La deuxième information était tout aussi simple, il a le même âge que lui. Pas très difficile à retenir pour le coup. Tonghyon se demanda s’il était quand même plus jeune que lui ou non. Tous les autres membres du Sinsa Café étaient plus âgés, le traitant parfois comme le bébé à ne surtout pas quitter des yeux sinon personne n’était à l'abri. Ils n’avaient peut-être pas tort, mais ça, Tonghyon ne pouvait pas s’en douter, parce que tout ce qu’il faisait était tout à fait calculé, bien sûr. (Qui y croit ?) Si l’autre jeune homme était plus jeune, ne serait-ce que d’une semaine, Tonghyon pourra enfin asseoir son autorité d’hyung. Enfin, ça, c’est si on dépasse le fait qu’il arrive au niveau des yeux de l’autre. Un front de différence, c’est beaucoup quand même. Il arrive au niveau du nez de Yuki. Même Akira est plus grand. Et manager-nim, n’en parlons pas, s’il vous plaît. Un petit complexe sur sa taille ? Nah. Ça lui permet de passer dans les petits trous pour que les autres le perdent quand ils sont en sorties.

« Oh, vingt-et-un ans ! répéta-t-il. Tu es né en début ou en fin d’année ? »

Pas du tout bizarre comme question, pas du tout. Mais Tonghyon ne noyait jamais le poisson lui, il demandait toujours directement. Jusque là, cela ne lui avait jamais vraiment porté préjudice. Ou alors, pas qu’il le sache. Il n’était pas vraiment doué pour faire attention à ce qui se passait autour de lui après qu’il soit passé. Pas que cela ne l’intéressait pas. Au contraire, il aimait rencontrer et en apprendre plus sur les autres. Il n’était tout simplement pas très bon pour capter les petits messages. Puis, il n’arrivait pas à comprendre les gens qui parlaient en mots-clés, ce genre de gens qui utilisent des styles littéraires pour te faire comprendre qu’ils vont se chercher des sashimis. Pour ses examens, on lui avait fait apprendre par cœur des définitions à la pelle, et il les avait toutes retenues. Mais sans réellement les comprendre. Ce n’était pas très important maintenant, de toute façon, il est serveur dans un café coréen, au Japon. Sûr que l’un de ses potes avait parié sur cette débouchée de carrière pour lui.

C’est vrai qu’ils parlaient en coréen. Tong ne l’avait même pas remarqué. Il lui arrivait parfois d’arriver à une table et de lancer la conversation dans sa langue maternelle. Aussitôt, les clients et clientes le regardaient avec de gros yeux, ce qui lui faisait comprendre son erreur et il passait aussitôt sur son japonais un peu bancal et maladroit, qui faisait bien rire ceux et celles qui venaient prendre leur café de la journée. Il avait appris quelques mots avec son ex-petite-copine, et puis avec Yuki. Il devait gérer la langue, assez bien pour s’en sortir et comprendre quand on parle autour de lui. Les animes, son colocataire lui avait clairement fait comprendre qu’il ne fallait pas l’appliquer à la vie de tous les jours. “Tu peux pas dire “meurt” à tout le monde, Tong.” “Mais Bakugo, il le fait !” “Oui, mais Bakugo, il est problématique.” “C’est pas faux…” (Nan mais on t’aime, Bakugo, tu mérites de l’amour justement, fufu !) Enfin, cela lui faisait plaisir de faire plaisir à Chinmae, alors, il lui sourit en retour, heureux de savoir que l’autre jeune homme avait trouvé quelqu’un avec qui parlait. Que ce soit lui est un plus, parce qu’il s’agit tout de même de son probe. Déjà, ils étaient reliés. Pour le meilleur et pour le pire.

« Oh vraiment ? (Il l'a sorti dans son meilleur accent de Busan celui-là.) Je suis sûr que Yuki ou Akira pourront t’aider, ils parlent super bien japonais ! En même temps, ils sont japonais, ce serait bizarre s’ils parlaient pas japonais… »

Un petit génie, lui, c’est sûr. Au moins, il a trouvé le moyen de placer son colocataire et son chef dans la discussion, et ça, c’est de l’or. Enfin, Tonghyon se réveilla, comme si on lui avait de nouveau branché un câble électrique en espérant que celui-là soit le bon pour la création de neurones ou alors, pour allumer l’instinct de survie. (Chose qu’il ne possède pas, je précise.)

« Au fait, tu es venu pour quelque chose ? Un café ? Désolé, mais le color rush ça m’a wouaw ! J’ai l’impression d’avoir changé de monde ! Ça t’a rien fait, toi ? »

Il pouvait tout voir maintenant, et c’était fou ! Sa tête avait dû mal à tout emmagasiner et il se demandait si c’était comme ça pour tout le monde. Est-ce que les gens vivaient avec autant d’informations tout le temps ? Comment faisaient-ils pour survivre ? Lui ne voyait pas les couleurs et il avait pris presque trois ans pour comprendre comment lacer ses chaussures. Surtout qu’à la fin, il le faisait avec une musique apprise par cœur. Bref ! Elles vibrent encore un peu, n’étant pas très stables. Mais sa vision était concentrée sur le visage de l’autre garçon. De Chinmae. Il était la première personne qu’il voyait en couleurs. Il pouvait enfin comprendre le concept de teintes de la peau, de reflet dans les yeux, d’ombre sur le coin du nez. Il voyait les mèches un peu plus claires dans ses cheveux bruns. La première personne qu’il voit en couleur est belle.

novembre 2022

Il semblerait que Tonghyon possède une aisance particulière à dire ce qu'il pense et à questionner directement lorsque sa curiosité se manifeste. Chinmae le comprend lorsqu'il lui demande dans quelle partie de l'année il est né et ça le fait sourire. Lui qui est passé maître dans l'art des rictus qui semblent monter jusqu'aux yeux sans pourtant le faire. Les pulpeuses qui se ourlent dans le simple but de berner autrui. Pour qu'on ne l'interroge pas. I'm fine. Son plus gros mensonge. Qui risque de le rester pour longtemps, surtout en l'absence de consultations psychologiques. L'intérieur de ses cuisses prouvent parfaitement ce mal-être qui l'habite en permanence. Qui lui donne cette impression constante d'étouffer. Il pense toujours que le bonheur est inatteignable pour lui. Mal depuis trop longtemps. ━ Je suis né le 20 août! et toi? Autant en profiter pour se montrer tout autant curieux que son interlocuteur. Leurs prunelles ne se quittaient pas et ça lui faisait étrange d'observer quelqu'un aussi longtemps de cette façon. Il obéissait à son ordre de ne pas baisser ses orbes colorés, ne pouvant soupçonner un seul instant tout ce que vivait présentement le jeune homme. Ça devait être beaucoup d'informations à assimiler pour lui qui n'a jamais pu voir le monde qu'en teintes de gris. Chinmae n'ose pas imaginer ce que ça devait être de voir tout ce que lui a toujours eu l'habitude de voir depuis sa naissance. Le bleu, le rouge, le jaune, le vert. Toutes les couleurs qui n'avaient rien d'autre à offrir qu'une appellation pour les monos. Alors les discerner soudainement, ça doit exploser dans sa tête. Quelque part, il est heureux d'apporter enfin quelque chose de bien à quelqu'un. Quelque chose de significatif. Ça repousse un peu cette idée qu'il ne sert à rien et qu'il ne va nulle part. Juste un peu, mais suffisamment pour que son coeur se serre doucement à cette pensée. Le cadet porte sa main à sa bouche alors qu'il laisse un gloussement lui échapper devant les propos de Tonghyon. Décidément, il est divertissant, mais aussi très gentil en plus de sa beauté physique naturelle. ━ T'as raison, ça serait bizarre autrement. Il n'a aucune idée de qui sont Yuki et Akira, mais il en déduit que ce sont probablement ses amis. Peut-être d'autres employés de ce petit café? Il ne saurait dire. Chinmae se trouve dans l'incapacité de dire pourquoi son vis-à-vis lui arrache des réactions qu'il n'a pas besoin de forcer. Ce petit rire doux qui lui a échappé il y a quelques instants, il est venu de façon naturelle. Et ça fait un bien fou. C'est l'employé qui les ramène au but premier de sa visite au Sinsa Café. ━ Oh! S'exclame-t-il simplement en portant son regard sur le comptoir où il ne se souvenait pas réellement avoir laisser la petite chemise contenant son cv. ━ Je viens postuler pour un emploi! Commence-t-il en faisant mine de s'avancer pour prendre ce dont il a besoin. Néanmoins, il suspend son geste alors que Tonghyon lui pose une question tout à fait pertinente. Ses prunelles se posent alors à nouveau sur le visage qui lui fait face et il garde le silence un moment. Avant de finalement secouer la tête. ━ Non, pas vraiment. Il a seulement noté cette étrange attirance pour les iris (et le visage) de ce dernier, mais il va bien se garder de le lui dire. Il a toujours vécu en taisant la partie de lui qui aime les hommes et ce n'est pas aujourd'hui que ça va changer. Il en profite, après quelques secondes, pour tendre le bras et ouvrir la chemise contenant une simple feuille de papier pour ensuite la tendre au plus vieux de ses deux mains légèrement tremblantes. Chinmae ne s'en formalise pourtant pas et sourit de nouveau au jeune homme en face de lui. ━ C'est mon cv!

novembre 2022

« Août ? s’exclama-t-il, avant de mettre les poings sur ses hanches. Vingt-et-un juillet ! Je suis ton hyung ! »

ENFIN ! Après avoir été le maknae d’absolument toutes ses connaissances sur le territoire japonais, Tonghyon pouvait maintenant être appelé hyung, à sa juste valeur. Même si c’était sympa les deux premiers mois, au bout d’un moment, ça commençait à bien faire. Il les aimait ses hyung et aniki, mais à la longue, ça pesait toujours un peu. Ou alors, il n’avait juste pas le caractère des plus jeunes, de ce cliché des gamins qui s’accrochent à leurs aînés pour avoir de leur attention ou de leur affection. De toute façon, il n’avait pas vraiment à le rechercher, vu qu’il l’avait d’office, à cause de la personnalité extravertie et enjouée. Et puis, ce n’était pas comme s’il faisait réellement exprès. Il ne réfléchissait pas, alors c’était toujours compliqué de préméditer une quelconque situation en avance. La spontanéité était un de ses facteurs les plus charmants, ainsi que son absence de filtre et son incapacité à mentir sur le long terme.

Son rire. Il ne savait pas vraiment pourquoi, mais Tonghyon ressentit une palpitation dans le cœur, comme s’il venait de gagner un cadeau. Peut-être parce que ce si simple et si doux bruit avait l’air d’être rare venant de Chinmae et que lui, Eoh Tonghyon venait de l’entendre pour la première fois. Il était la première personne qu’il voyait rire en couleurs et ça le bouleversait. Les autres riaient toujours autour de lui, parfois de bonheur, parfois à ses blagues, souvent parce qu’ils étaient désabusés, mais toujours dans les couleurs grises, dégradés du blanc au noir. Aujourd’hui, il découvrait qu’un rire pouvait avoir une autre saveur lorsqu’il était animé de couleurs, dont il ignorait encore tout. Le jeune homme était loin de croire qu’il connaissait tout à la vie, bien au contraire, mais il s’éprenait d’en apprendre toujours plus. Personne ne lui avait donné la possibilité de le faire jusque là. Mais il était prêt, ardent, fiévreux de découvrir ce que les autres pouvaient créer, apporter, devenir. Chinmae, étant à cet instant, son premier homme en couleur, il tenait particulièrement à tout savoir de lui.

Portant les yeux vers là où il tendait la main, Tonghyon se retourna pourtant en l’entendant, découvrant qu’ils s’étaient rapprochés par la même occasion. Oh… Il n’avait rien ressenti ? Il n’était donc que le seul à avoir vécu ce bouleversement. L’un d’eux venait de voir tout son univers retourné, tandis que l’autre ne connaissait pas cet effet. Ses yeux, dans les siens, encore une fois, comme s’il était tout simplement impossible qu’ils s’en détachent maintenant, lui refirent l’effet d’une montagne russe. Les couleurs s’animèrent, une nouvelle fois, s’écoulant en diverses variations devant ses pupilles. Comme bien d’autre chose, Tonghyon ne connaissait pas les effets du “color rush”, ne savait pas exactement comme cela marchait, ce qui allait se passer maintenant qu’il en avait vécu un. Mais comme tout le reste, il avisera en temps et en heure. Pour le moment, il pouvait le regarder dans les yeux, Chinmae, cela lui allait très bien. Il accepta poliment le petit cv, l’ouvrant pour faire bonne mesure, avant de tout aussi vite le refermer.

« Tu es embauché, » dit-il avec conviction, comme s’il avait réellement le pouvoir de le faire.

Sûr que manager-nim allait lui en coller une derrière les oreilles s’il l’entendait parler en son nom. En réalité, Tong ne savait même pas pourquoi lui-même avait été embauché, si ce n’est qu’on lui avait demandé s’il était coréen, s’il parlait coréen, et s’il était prêt à faire un douze heures debout non-stop. Vu qu’il répondait oui aux trois critères, il n’en avait pas fallu beaucoup plus. Plus tard, ce fut la surprise pour tout le monde quand ils découvrirent qu’il savait aussi faire du café. Alors, les yeux dans ceux de Chinmae, il avait toute la confiance du monde à faire le travail de quelqu’un d’autre.

novembre 2022

C’était un grand jour… pour Tonghyon. Il ouvrait le Sinsa, seul, il avait bien tout noté, on lui avait bien tout répéter, mais Yuki après l’avoir vu passer la porte de leur appartement, n’avait pas su se rendormir.
Alors il avait fait le ménage, parce qu’autant faire quelque chose d’utile et que l’on sait bien faire. La salle de bain sentait l’eau de javel et était rutilante, l’entrée avait aussi été nettoyer et un grand coup de propre avait été fait avec le balai dans le salon et la cuisine dont il avait fini par astiquer le micro-onde et les plaques chauffante. Le Han n’était même pas un maniaque, mais il devait s’occuper l’esprit sinon … sinon … c’était une autre histoire.
Observant l’heure sur son téléphone, Yuki se dit que c’était bon, il pouvait partir, car oui, c’est lui qui ouvrait les machines à café aujourd’hui, le barrista-torréfacteur ayant pris une matinée bien méritée, c’était soit à l’un soit à l’autre de lancer les grosses machines quand le manager n’était pas là.
Attrapant un vieux sac à dos du début des années 2000 limé dans lequel se trouvait ses affaires fraichement lavées et repassées, Yuki passa son sweat à capuche noir, attacha sa tignasse grise décolorée et attrapât son skateboard avant de passer ses chaussures et de fermer la porte. Il était temps de rejoindre son colocataire.
Yuki avait pleinement confiance dans les capacités de Tonghyon, c’était comme le petit frère qu’il n’avait jamais eu, le colocataire nécessaire à son bon équilibre et puis… quand on sait si bien s’occuper d’un tamagochi on doit être suffisamment prêt pour allumer des lumières et descendre les chaises des tables.
Le trajet entre l’appart des deux coréano-japonais n’était pas bien long, il lui fallait une bonne quinzaine de minutes en skate, peut-être une demi-heure à pied, jusqu’au nord de la ville. Mais Osaka se réveillait toujours lentement, les nuits étant souvent les plus agitées.
Yuki dévala les pentes douces et fortes et arrivât devant la devanture crème du café. Depuis l’extérieur, il remarquât un balai étrange entre deux jeunes hommes dont l’un était son colocataire. Fronçant à moitié un sourcil sous sa franche irisée, Yuki entra dans le café son skateboard sous le bras au moment où… Tonghyon était en train d’engager l’inconnu qui se trouvait face à lui. Son visage était différent, il arborait une sorte de joie extatique qui, malgré la bonhommie naturelle du garçon, était inconnu au jeune Han.
« Il se passe quoi ici ? » demandât-il sa voix sans intonations résonant dans le lieu presque vide tandis qu’il tenait toujours la poignée de la porte dans la main, la clochette annonçant les clients venant à peine de retentir.

novembre 2022

Ça semblait lui faire beaucoup plaisir d'être plus âgé que Chinmae. Ce qui le pousse à penser qu'il est peut-être toujours perçu comme le maknae? Ça voudra dire qu'il prendra sa place de plus jeune s'il se fait engager dans ce petit café? En vérité, l'idée ne lui déplaît pas autant que ça. À cause de son entrée tardive à l'école de ballet, il a toujours fait partie des plus âgés de sa cohorte. L'absence de tant de responsabilités lui fera, sans aucun doute, du bien. Gamin dont l'enfance et l'adolescence ont été gâchées à cause de sa plus grande passion. Une situation très regrettable, puisqu'il a l'impression d'être passé à côté de sa vie en plus d'en venir à détester la danse. Il n'a d'ailleurs jamais refait de ballet depuis qu'il a quitté l'école. Son arrivée au Japon est destinée à l'éloigner le plus possible de ce monde dans lequel il a évolué jusqu'ici. Aujourd'hui, il veut vivre comme il l'entend, sans se sentir prisonnier. Il veut découvrir le monde comme il n'a pas pu le faire jusqu'à maintenant. Ce qu'il ne sait pas encore, c'est que Tonghyon y contribuera beaucoup. Pour le moment, le garçon tend son curriculum vitae à son vis-à-vis, les mains toutes tremblantes. Heureusement, ce dernier ne semble pas le remarquer en acceptant poliment ce qui lui est tendu. Il l'ouvre à peine quelques secondes avant de le refermer tout aussi rapidement. Chinmae fait à peine attention à la clochette qui retentit, annonçant l'arrivée d'un client, parce que son mono lui dit précipitamment qu'il est engagé. En proie à la surprise, il cligne des yeux sans rien dire. C'est plutôt une voie en provenance de l'entrée qui les interrompt. Ses prunelles quittent celles de Tonghyon pour se poser sur la silhouette. L'air impassible du jeune homme le met tout de suite un peu mal-à-l'aise. Il a l'impression d'avoir été pris sur le fait alors qu'il faisait un mauvais coup et la nervosité revient le happer avec une force insoupçonnée qui le fait chanceler doucement. Si bien qu'il doit poser sa main sur la première chose à sa portée. En l'occurence, il s'agit du bras de l'autre coréen. Celui qui vient de les surprendre a parlé dans un coréen cassé, ce qui lui fait penser que, peut-être, ce dernier travaille ici. Aussitôt, Chinmae, en remarquant où il se trouve, lâche Tonghyon pour sortir de l'arrière du comptoir et se courber plusieurs fois en excuses. ━ Désolé. Pardon. Le malaise en lui grandit d'autant plus, alors qu'il garde la tête baissée. ━ J-je venais simplement porter mon cv... Sans se douter que son opposant n'allait peut-être pas comprendre ses paroles.

novembre 2022

Et là, plusieurs choses se produisent en même temps. Alors qu’il embauche faussement (véridique) Chinmae, la porte du café s’ouvre. Anh ! Un nouvel arrivant ! Sauf que là, Chinmae se retient à lui. Ooooh… Tonghyon suit la main sur son bras, puis il prend un air triste lorsqu’il la retire, pour finalement afficher un sourire de plusieurs kilomètres sur le visage en constatant que le nouvel arrivant n’est autre que son colocataire. Han Yuki et son si célèbre skateboard dans les mains, qui les regardent depuis l’entrée comme s’il venait de les surprendre dans une action contraignante. Ce qui n’est pas le cas, bien sûr ! Comme venait de le dire Chinmae, il était tout simplement venu pour donner son cv et quelle ne fut pas leur surprise collective en se rendant compte qu’il s’agissait de son probe. C’est dingue, non ?! Tonghyon se sautille derrière le comptoir, ayant toujours le petit dossier dans les mains. Il pourrait sans doute produire de la lumière avec son énergie actuellement. Comment réduire votre consommation d'électricité ? Mettez un Tonghyon sur un vélo.

« Aniki ! appelle-t-il avec une voix si heureuse qu’on pourrait croire qu’il débarque d’un dessin animé. Tu devineras jamais ce qu’il vient de se passer ! »

Son corps vibre presque. Parce qu’il sait que Yuki sera aussi surpris que lui, et qu’il sera heureux pour lui aussi - au moins on l’espère, après tout, ils sont potes, non ? meilleurs amis ? il lui a offert des mochis quand même -. Il veut lui raconter son color rush, et puis aussi d’à quel point Chinmae est joli. Et soudainement, Tonghyon se rend compte d’une chose qu'il n’avait jamais vu avant. MAIS LES CHEVEUX DE YUKI ! Et les voyait gris, avant, et ils le sont, là n’est pas le problème, mais ce n’est pas le même gris ! C’est quoi cette dinguerie ?! Il reste bloqué, la bouche ouverte, regardant le barista en face de lui. Il doit avoir la pire tête débile possible actuellement, surtout qu’il est complètement bloqué. Et puis, il n’y a pas que ça. La peau aussi, elle n’est pas de la couleur qu’il recevait d’ordinaire. Et son sac. Et son skate. Et tout en fait. Il avait une personne totalement différente de d’habitude devant lui, alors qu’il s’agissait d’un individu qu’il côtoyait au quotidien. Soudainement, les couleurs commencent à miroiter, se perdant et se confondant par moment. Ouah, le mal de crâne… S’il demande une journée de congé à manager-nim, est-ce qu’il lui donnera ? Avec quoi comme excuse ? Déshydratation ? Tonghyon plisse les yeux vers Yuki, les clignotant lentement. C’est normal les reflets d’une couleur bizarre dans ses cheveux (comprenez, il y voit du rose) ?

novembre 2022

Yuki avait à peine mit les pieds dans le café qu’il pouvait se rendre compte que quelque chose clochait, une légère vibration dans l’air certainement, ou bien était-ce de l’électricité tout bonnement qui s’échappait du corps sous tension de Tonghyon. Gardant son air détaché, ne trahissant son état que par des sourcils légèrement relevés et une moue septique, il observât celui qui lui était inconnu dans la pièce. Une espèce de grand gars mince avec une gueule d’ange et des traits définitivement coréen. Yuki le salua d’un court signe de tête lorsque celui-ci lui annonça qu’il venait déposer son curriculum vitae après d’être excuser, du moins de ce qu’a compris Yuki.
Yuki resta planté là, son skate à la main avant de se rendre compte que Tonghyon avait l’air … complétement défoncé …
D’abord il s’esclame, remarquez rien d’anormal jusque-là, puis il ouvre grand les yeux, les plisses, souvent le mouvement inverse de sa bouche. Son colocataire le regarde comme si il avait un pigeon et son nid en guise de coiffure. Yuki s’inquiète soudain et tourne son visage vers l’inconnu en pointant le Eoh du doigt dans un mouvement bien plus lent que la moyenne, si il compte travailler ici le grand échalas, il faudra bien qu’il s’y habitue.
« Vous lui avez donné de la drogue ? » demande t’il en japonais, comme si c’était la question la plus naturelle qui existait.  
Pas vraiment que cela le regarde après tout. Mais si le manager venait à s’apercevoir qu’il se shootait sur son lieu de travail aux heures d’ouverture, il y avait de grandes chances pour qu’il finisse par perdre son boulot, et peut-être le Han aussi par la même occasion, et alors … bah bon courage pour trouver un travail qui accepte un mec avec les cheveux longs et un air apathique et un hyperactif qui parlait le japonais des séries animées.
La bouge de Yuki s’étira sur le coté tendis qu’il fronçait les sourcils. Certainement la moue la plus expressive que son visage était capable de faire. Une mine inquiète s’affichant tandis qu’il reportait son attention sur Tonghyon en tournant imperceptiblement son regard vers Tonghyon, son doigt toujours pointé vers lui.
« Ça va aller Tongtong ? » s’enquièra t-il, visiblement inquiet, du moins pour quelqu’un le connaissant ; certainement beaucoup trop à l’aise si on comparait ses questions à ses réactions pour les autres.

novembre 2022

Il se retrouvait là, à ne pas savoir quoi faire. Pour être parfaitement franc, Chinmae se sentait si petit, en l'instant. Très peu à l'aise devant cette situation, il se disait qu'il ne pouvait tout de même pas lui dire que c'était un histoire de probe et de mono. Après tout, il ne connaît pas cette personne? Enfin, pour le coup, à les observer se parler de cette façon, il se doutait bien qu'ils se connaissaient. Ils devaient même être proches. Pourtant, il ne savait pas ce qu'il pouvait dire ou non. À vrai dire, il se sent comme la troisième roue d'un vélo. Complètement de trop et inutile. Il avait joint ses mains devant lui et il ne cessait de se triturer les doigts sous sa nervosité. Si bien qu'il sentait leur moiteur. Tonghyon semble trop choqué pour continuer à parler à cet inconnu et lui... Il est trop comme un gamin que l'on réprimande pour faire quoi que ce soit. Il n'ose même pas regarder l'autre en face. Comment le pourrait-il? Il se sent trop honteux. Pour aucune réelle raison, en vérité. Ce n'est pas comme s'il avait réellement fait un mauvais coup. Il a simplement apporté son aide à Tonghyon qui s'était évanoui. Même s'il ne dira pas que c'est arrivé par sa faute. C'est lui, après tout, qui lui a donné ce color rush et qui l'a mis dans cet état. Et c'est probablement pour cette raison précise qu'il se sent honteux, en fait. Alors qu'il ne devrait pas forcément se sentir coupable. Lorsque le nouvel arrivant reprend la parole, Chinmae se risque à lever les yeux vers lui pour le voir pointer le serveur. Il est bien embêté, parce qu'il ne comprend pas encore très bien le japonais. Cela lui a tout l'air d'être une question s'il se base sur l'intonation de sa voix, mais il ne pourrait pas déchiffrer les mots qui ont glissé hors de sa bouche. Baissant la tête, le gamin s'excuse piteusement. ━ Désolé, je ne comprends pas... Et pourquoi se sent-il si maussade, tout d'un coup? Probablement sa dépression qui ne l'aide en rien. Les émotions qui vont et viennent en vagues toutes sauf constantes est pourtant son quotidien. Il voudrait s'enfuir, plutôt que de rester là, à moitié tremblant et à fixer le sol de façon obstinée. ━ J-je pense que je ferais mieux d'y aller... Pourtant, en a-t-il le courage? De passer à côté de l'individu les ayant surpris? Rien n'est moins sûr, mais le garçon se courbe tout de même en guise de salutations et s'avance de façon particulièrement hésitante vers la sortie et donc, vers ce jeune homme qu'il ne connait pas. Franchement, Chinmae n'a pas envie que quiconque le voit dans cet état, alors qu'il chute doucement vers son plus bas sans qu'il ne puisse y faire quoi que ce soit. Il préfère se retrouver seul lorsque les larmes couleront sur ses joues pour aucune raison. Juste parce qu'il ne va pas bien.

novembre 2022

Il y avait beaucoup trop de mention de drogues dans ce café. Évidemment, lorsqu’un des employés s’effondre, pour aussitôt revenir à lui et commencer à phaser sur la couleur des cheveux d’un autre employé, la question est relativement logique. Seulement, cette personne en question, c’est Tonghyon. Et si ce Tonghyon est connu pour quelque chose, c’est bien pour donner l’impression d’être sous amphétamines à temps complet. Chose que le manager de cet établissement avait courageusement accepté, manquant désespérément d’effectif. Résultat, il se retrouvait avec un serveur qui, certes, assurait le service au complet avec une endurance perturbante, mais auquel on ne savait jamais réellement si c’était de cause naturelle ou autre. Mais, pour sa défense : qui savait que même la lumière a une couleur ? Voilà hein. Bon…

Se secouant alors hors de sa transe, il regarda rapidement entre Yuki et Chinmae. Son colocataire semblait réellement confus, tandis que le coréen irradiait de malaise. Oh non, il va pas s’évanouir lui aussi ? Pourquoi il est aussi pâle, même alors que les couleurs miroitent autour de lui comme ça ? Tonghyon hoche la tête dans la direction de Yuki, levant même le pouce en l’air, dans la plus “je suis totalement bien, frère” des manières.

« Tout va bien ! » approuva-t-il en hochant la tête, comme si, c’était une situation tout à fait normale.

Mais alors, Chinmae, avec une petite voix, tenta de s’évader. La présence de Yuki le perturbe ? Le coréano-japonais n’était pourtant pas si effrayant que ça, quand on retirait ses yeux inexpressif, sa bouche en ligne horizontale et sa frange qui lui barrait le regard. (Note : rappeler à Tonghyon que les gens ne voient pas le monde de la même manière que lui, et que, Yuki est, en réalité, assez imposant, même si ce type est une crème.) Suivant le départ de Chinmae avec une mine nouvellement triste, le jeune serveur se devait de dire quelque chose - encore - pour relever un peu l’atmosphère, même s’il n’en constate la lourdeur qu’au travers des expressions des deux autres hommes.

« Cha Chinmae ! appela-t-il, avant d’afficher un immense sourire. Tu reviendras, pas vrai ? »

Le dossier du cv était entre les mains de Tonghyon et au vu de la place vacante au poste, il est tout à fait possible que l’autre jeune coréen soit embauché après entrevue. Mais, même si ce n’était pas le cas, dans l’hypothétique possibilité que manager-nim se plante, Tonghyon voulait tout de même revoir Chinmae. Après tout, même s’il n’avait pas été son probe, il était également coréen - et beau en plus de cela, avec un sourire wouah, et des yeux rohlala - et les quelques minutes qu’ils venaient de passer ensembles avaient été réellement amusantes pour Tonghyon.