L’angoisse paralysait ses membres, tandis que ses yeux cherchaient en vain une silhouette qu’il savait déjà ne pas être à ses côtés. Pourquoi avait-elle disparu et surtout avec qui ? Ce n’était pas le genre de Alice de ne pas lui dire où elle allait. Et même si c’était le cas, qu’elle ne le prévenait pas qu’elle partait en vadrouille, Dieu seul savait où, il la retrouvait toujours, souvent même devant la mer. Mais là, Peter avait beau avoir fait toute la plage, presque hurlé le nom de sa sœur à s’en déchirer les poumons, elle restait introuvable. Est-ce que leur bourreau l’avait retrouvé ? Est-ce qu’il attendait tapis dans un coin avant de finir par le récupérer lui aussi ? Était-elle morte ? Tant de questions qui glaçaient d’effroi Peter dont le corps se mit à trembler. Ce n’était pas le froid qui le faisait claquer des dents et ses membres grelotter comme s’il était frigorifié, mais bien la peur d’avoir perdu Alice pour toujours. Ils n’avaient beau n’avoir aucun lien de parenté, elle restait sa sœur, la prunelle de ses yeux et le fait de ne pas savoir si elle allait bien, le mettait plus mal que tout.

Pourtant, après quelques heures, le jeune homme la retrouva. Ou plutôt, ce fut elle qui le retrouva. Il la regarda sourire, presque heureuse et sentit son coeur se gonfler d’amour pour cette poupée pour qui il donnerait sa vie sans même ciller. Le soulagement qu’il ressentit en la voyant fut tel qu’il la prit dans ses bras, enlaçant son corps frêle en silence. Il aurait pu lui dire tellement de chose, mais il n’avait pas envie de lui parler de ses peurs ni même de la façon dont il avait ressenti son absence comme s’il était revenu dans ce manoir, enfermé entre ces murs dégueulasses et avec pour seuls amis des squelettes.

Et alors qu’il lâcha Alice qui repartit il ne sut où, il la vit. Elle, la fille qui créait toutes ses angoisses et faisait de sa vie un véritable enfer. Ne se préoccupant plus de sa sœur qui devait avoir trouvé une distraction plus loin, Peter s’approcha de Jill, le visage fermé, le regard froid et dur. « You ! » lança-t-il froidement, son doigt accusateur dans la direction de la jeune femme. « You keep putting her in danger ! » Ses mots étaient durs, et il se foutait bien d’être agréable avec elle. Il ne la tolérait qu’à cause de Alice, parce qu’elle avait eu la brillante idée de devenir amie avec elle. « You should stop seeing her. » Une interdiction qu’il savait réalisable mais qu’il prononçait quand même. Ça l’aidait sûrement à se sentir mieux, à accepter le fait que sa sœur avait disparu pendant des heures.

Osmose enchantée, réconfortante présence, à en ressentir cette chaleur à l’intérieur quand elle se retrouve à ses côtés. Heures entières échangées près de celle qui a réussi à se frayer un chemin jusqu’à son palpitant déchiré. Alice, comme un soleil capable d’en illuminer son ciel, seul phare à la guider dans ces ténèbres avec Jian. Deux âmes si opposées mais intrinsèquement liées dans la psyché de celle qui a tant besoin d’eux pour exister. Longue après-midi à simplement flâner en compagnie de sa seule amie, à profiter enfin l’une comme l’autre de la beauté de ce que le monde peut leur offrir, après les avoir pourtant tant fait souffrir. Rires aux éclats de Jill, comme seul Alice sait les lui extirper, âmes innocentes pourtant déjà bien trop souillées, à continuer de vivre pour en espérer un jour retrouver cette lumière éteinte en chacune d’elles.

Retour à la normale bien trop vite arrivé, quand le duo retrouve celui qui se veut protecteur de l’amoureuse des azalées. Alice qui toujours se laisse porter au gré de ses envies, quand Peter se mue en dictateur. Invectives jetées, guerre déclarée, à en énoncer les méfaits de l’imprudente, comme s’il en jetait des maléfices pour la repousser. Mots qu’il prononce pour la dissuader de rester auprès de l’innocence incarnée, quand Jill ne voit en lui qu’un mono détestable comme tous ces autres. Garçon trop bien-pensant à s’en faire moralisateur, que la miraculée regarde avec son masque de froideur. Secondes qui s’écoulent dans un silence glacial, à toiser le bourreau de son amitié comme elle fixait ceux qui autrefois la persécutaient.

“Who are you to say that ?” Petit ange prêt à attaquer à griffes déployées, sourcils froncés face à ses avertissements qu’elle ne peut comprendre, quand il brille trop souvent de ses absences pour protéger leur être aimé. “Most of the time, you’re not even here for her, you’re just… somewhere else, working as she says.” Impassibilité criante quand elle pose un regard polaire dans les prunelles de Peter. ”So maybe you should stop seeing her.” A en prononcer cruellement des mots plus interdits encore.

C’était injuste qu’il s’en prenne à Jill de la sorte pour sa propre incompétence et ses propres angoisses. Peter avait beau se targuer d’être le grand frère de Alice, celui qui la protègerait toujours, celui qui la retrouvait qu’importe où elle se trouvait, mais devant Jill, il n’était qu’un jeune adulte sans aucune idée de ce qu’il faisait. Il s’était toujours dit qu’il était quelqu’un de bien pour la gamine, qu’il l’avait aidé à fuir un enfer. Mais il l’avait amené dans un autre enfer, dans une autre forme de maltraitance. Peter s’en voulait et c’était sûrement pour cette raison qu’il était si protecteur avec Alice, pour cette raison qu’il paniquait à l’idée de ne pas l’avoir sous les yeux et loin de lui. Si jamais elle venait à disparaître de sa vie, il n’aurait plus sa bouffée d’oxygène, la personne qui comptait le plus au monde pour elle.

Alors, il se montrait arrogant, méchant et surtout froid avec Jill, même s’il voyait les effets que sa compagnie avait sur Alice. Cependant, il préférait garder ses œillères, penser qu’il était la meilleure chose pour elle. Alors qu’il était probablement la plus nocive parce que contrairement à lui, elle n’avait pas subi les expériences de leur bourreau. Elle avait une vie normale, bien qu’enfermée également. Il aurait sûrement dû la laisser là-bas, elle aurait été plus heureuse que dans les rues en sa compagnie. « Her brother ! » répondit-il à Jill, sa véhémence transpirant dans ses deux mots. Il était son frère que la jeune femme le veuille ou pas.

La peine put ensuite se lire dans ses yeux. Jill n’avait pas tort. Il n’était jamais là avec elle. Mais il devait trouver de quoi les nourrir et parfois même un toit sous leur tête. Peter mordit dans sa lèvre, réprimant les larmes qu’il sentait pointer au creux de ses yeux. Néanmoins, il se refusait à pleurer pas devant Jill et encore moins devant Alice. « And what will happen if I leave her ? Will you take care of her ? » Il rit sarcastiquement à sa propre phrase. Comment pourrait-elle s’occuper de Alice alors qu’elle ne pouvait même pas s’occuper d’elle-même. « I’m not with her because I have to steal for us to eat. Are you even aware of that feeling ? The hunger ? » Peter la fusilla du regard et garda une fois de plus ses larmes pour lui. « I’m not the best brother, I’m aware of that… But at least someone has to do something… Or we’ll die. » Parce que malheureusement, ce n’était pas Alice qui pourrait leur trouver quelque chose.

Injustice naturelle, à en voir le monde de son regard binaire. Ni blanc ni noir, ni nuance de gris dans l’univers de Jill, seulement les chemins que l’on emprunte et ceux que l’on emprunte pas. Code moral réduit à néant, à n’en voir qu’au travers des lois dictées par Jian. Moralité inexistante dans les prunelles de la fragile, à ne pas distinguer la différence entre le bien et le mal, et à tout juger à la mesure de ce que Jian ferait.

Alors face aux efforts démesurés de Peter pour faire subsister deux entités, elle s’en montre froide et implacable, à ne pas comprendre à quel point les tentatives du garçon sont autant de preuves de soutien et d’affection envers leur amie commune. Et quand il se risque à lui demander si elle sera celle capable de prendre soin d’Alice, elle y voit une opportunité, persuadée qu’elle saura mieux la protéger avec les moyens à sa disposition. “Of course I’ll take care of her. She doesn’t need you.” Les mots qu’elle jette, insensible, sûre de détenir la vérité quand elle n’a aucune idée de ce qu’elle fait. ”Jian protects me, and he’ll protect her too if I ask him. So you can leave her to me.” Sérieux désarmant quand elle prononce ces mots avec une facilité déconcertante. Le regard qui se fait aussi froid et dur que les mots qui franchissent ses lèvres. ”Because she shouldn’t live like this. She deserves better.” A s’en faire encore la grande accusatrice comme si Peter ne se tuait pas à la tâche tous les jours pour leur offrir chaque jour un lendemain.

Personne ne semblait comprendre le lien qui unissait Alice et Peter. Personne ne voyait à quel point ils avaient besoin l’un de l’autre pour continuer de vivre. Personne ne pouvait se mettre entre eux et pourtant, Jill tentait de le faire, par ses mots, mais également par ses actes. Ça blessait Peter qui savait au fond de lui qu’elle n’avait pas tort sur certains aspects. Mais pas sur tout. Il ne pouvait pas être en tort sur tous les points de la vie de sa petite sœur. C’était inconcevable. Il se battait donc avec ses propres mots, maudissant son manque d’éducation pour ne pas être capable d’avoir un discours plus cohérent et moins enfantin. Malheureusement, il ne pouvait pas y faire grand chose et il se battait avec les armes que la vie lui avait données. Ce qui n’était pas suffisant, du moins aux yeux de Jill.

Elle ne rata d’ailleurs pas une occasion de dire à Peter qu’elle s’occuperait d’elle avec l’aide de Jian et un rire sarcastique s’échappa des lèvres du plus vieux. « Jian will take care of her… Not you. » lança-t-il avant qu’il ne détourne les yeux, le coup de poing invisible dans le ventre, lui coupant le souffle. Il le savait le Sukuma qu’elle méritait mieux, qu’elle ne devrait pas vivre ainsi. Mais quel choix avaient-ils ? Ils n’étaient personne, n’avaient plus d’identité propre et surtout plus de famille. Tout ce qu’ils avaient c’était l’autre. Mais Peter était tellement attaché à Alice qu’il ne la voyait pas s’éloigner de lui pour aller ailleurs. Serait-elle réellement mieux ? Il ne savait pas et ça l’angoissait, parce que sans elle, que lui restait-il ? Rien. « You’re so full of yourself. You think you’re better than me and our life, but you have no idea what we went through together. » Peter reposa son regard froid sur Jill ne désirant pas s’échapper lorsqu’il lui parlerait de tout ça. Il hurlait presque et se foutait bien qu’on l’entende. Alice était de toute façon trop loin pour entendre. « It was like hell for me… Her… She was fine there I guess. She didn’t know anything HE did to us. But when she learned, she tried to help us and he punished her. I had to free her from that life… » Il soupira, tentant de faire baisser la colère qu’il avait en lui, faisant une pause avant de reprendre. « You have no idea, I ask myself every day if I made the right choice to take her with me… There is not a day since our escape that I regret bringing her down with me… We are nobody… We have no one. » Et c’était ça le pire. Ils n’avaient personne.

Et la fraîcheur de l’air s’en fait écho à sa froideur intérieure. Vents qui viennent en balayer des mèches de cheveux sur le front de Jill autant que Peter tente d’en souffler sur elle ses terribles vérités, à en évoquer des secrets trop bien gardés que Alice n’a jamais raconté.

Mais si les mots en débordent d’une émotion évidente, c’est à un mur émotionnel qu’il se heurte, face à cette âme incapable de se laisser attendrir par ceux exempts d’une place dans son palpitant.

Et les souffrances passées qui toujours nous accompagnent, comme un tragique réconfort dont on ne peut jamais entièrement se détacher.

Alors si Peter tente d’en ouvrir sa boîte de pandore pour trouver grâce aux yeux de la glaciale, celle-ci n’y voit que mots désespérés pour défendre ses terribles lacunes à protéger leur précieuse commune. Calme froid et cruelle impassibilité, quand elle en a appris à ne pas laisser ses émotions la contrôler, au contraire de celui qui se trouve à ses côtés.

”You whine a lot.” Les termes durs qui sortent avec trop de facilité, quand de ses longs récits, elle ne retient qu’excuses et échappatoire. Les émotions absentes de son regard planté sur lui, quand elle se fait de nouveau de glace pour en jeter des maléfices qu’elle pense bien fondés. “I mean, I’ve never heard Alice cry about this. You’re supposed to be the strong one, but maybe in order to be strong you shouldn’t scream your feelings out loud like this. Elle se permet, violente dans sa froideur, alors que les iris se détachent de la silhouette de Peter. “Just an idea tho.” A supposer qu’elle sait mieux que lui comment s’occuper de cette âme bien plus douce qu’ils ne le seraient jamais.

Si elle n’avait pas été une amie de Alice, il y aurait bien longtemps que Peter l’aurait envoyée sur les roses. Il se retenait pour sa sœur, parce qu’il se doutait qu’elle n’aimerait pas qu’il soit méchant avec Jill. Pourtant, ce n’était pas l’envie qui lui manquait. À chaque fois qu’elle ouvrait la bouche pour lui dire qu’il n’était qu’un bon à rien et que Alice serait mieux sans lui, le jeune homme avait l’envie de l’étrangler. Il serra les dents quand elle reprit la parole après qu’il lui avait expliqué à quel point leur vie avait été compliquée quand ils étaient encore les prisonniers de leur bourreau. Une nouvelle fois, elle dénigrait ce qu’il avait vécu, simplement parce qu’elle ne le comprenait peut-être pas.

Jill continua de l'accabler, prétextant qu’il n’était pas assez fort pour l’aider et finalement, il craqua. « Shut up ! » hurla-t-il, sans se soucier du fait qu’Alice, bien que plus loin, pourrait l’entendre. « You know nothing and you judge based on what you think you know. » Il se rapprocha dangereusement de Jill, les yeux noirs de colère, le doigt accusateur pointé dans sa direction. « She never cry about it because she doesn’t have to. She had a beautiful life there. She wasn’t used for some kind of experiment. She was his favorite. » Et il lui en avait voulu au début d’être la seule qui avait le droit à des faveurs.

« So yes I whine a lot, more than Alice because I have a reason. » Peter frissonna en se rappelant de toutes les fois où il avait dû subir les expériences de ce type dérangé. La peur pouvait se lire sur ses traits, sans qu’il n’ait envie de la cacher. « I don’t care what you think about me, what you think you know about me and our lives… » Le jeune homme plissa les yeux et prit une grande inspiration. « You’re nothing without Jian. So don’t tell me you’ll be better than me. At least I can take care of myself alone. »