Un jour de plus piégée dans cet univers gris, à envier tous ceux qui ont la chance d'apprécier toutes les nuances de couleurs, sans se rendre compte d'être des privilégiés. La chance sourit aux audacieux et à ceux qui savent ce qu'ils veulent, alors même si elle voit le loup, elle se jette quand même dans sa gueule. Persuadée qu'elle sera toujours mieux ici, que dans son terrible enfer gris.

Une nouvelle journée terne, qui avait le don d'agacer Hari. La brune au carré court les enchaînait ces jours-ci. Ces maudites pilules coûtaient beaucoup trop cher, et elle se retrouvait bien incapable de subvenir aux besoins de sa propre addiction. Bloquée dans son monde monochrome, elle qui aurait tué père et mère pour un peu de couleur. Alors aujourd'hui, elle était de sortie pour remédier à ses tracas, et tous les moyens étaient bons pour lui permettre d'obtenir la substance dont elle avait tant envie. Dans cette ruelle, aux abords de l'université, elle savait qu'elle pourrait toujours trouver l'un de ces fameux marchands de rêves, de ceux qui lui offriraient ce qu'elle désirait, en acceptant de marchander pour le peu qu'elle avait. C'était à dire elle-même. Elle était sa seule monnaie d'échange, son unique moyen de payer, et elle espérait que ce dealer soit prêt à lui céder ce qu'elle voulait en échange. Alors elle s'était faite parfaite, sublime, irrésistible, persuadée que son jeu de séduction fonctionnerait forcément.

Mais l'échange ne tourna pas comme elle l'espérait, et le dealer lui fit rapidement comprendre qu'il n'était pas là pour négocier. Elle n'avait pas d'argent, et c'est pourquoi l'homme à l'allure sombre coupa rapidement court. Pas d'argent, pas de pilule. C'était clair, net et précis. "A moins que ton cul soit en or, je vois vraiment pas l'intérêt. Mais c'est mignon d'avoir fait autant d'effort pour venir me voir." Et il tournait ça en ridicule. Il la tournait elle en ridicule, faisant bouillir le sang de Hari. Elle supplia, implora, mais rien ne marcha, et elle opta finalement pour une technique plus simple : aller chercher directement ce qu'elle convoitait tant. Ni une ni deux, elle se jeta sur lui, tentant de s'emparer de ces pilules tant espérées. L'échange ne tourna toutefois pas aussi bien qu'elle le voulait, et elle se retrouva bien vite à terre. Toutefois, tout n'était pas perdu, puisqu'elle avait réussi à attraper une petite capsule de pilules, qu'elle se dépêcha d'enfouir dans son sac à main. Le dealer, agacé et ayant remarqué la manœuvre, ne perdit pas de temps avant de revenir vers elle, l'attrapant par les cheveux alors qu'elle était au sol. Il tenta de se saisir de son sac, mais elle se débattit de toutes ses forces. L'homme sortit finalement un couteau et vint l'agiter devant elle avec un sourire sardonique, lui faisant bien comprendre que ses gesticulations allaient lui faire connaître une fin tragique.

Toujours à terre, elle s'éloigna comme elle put, jusqu'à s'adosser contre l'un des murs de la ruelle, avant de faire résonner sa voix en poussant plusieurs cris, tentant d'appelr à l'aide pour sa vie. Qu'est-ce qu'elle aurait aimé être un homme fort, rien que pour pouvoir exterminer ce genre de vermine. Mais elle n'était qu'une frêle jeune femme, jamais capable de rivaliser en un contre un contre qui que ce soit. "Vas-y, essaye sale merde." Lâcha-t-elle avant de cracher au pied de son agresseur. Oui, c'était un combat perdu d'avance, mais fière comme elle était, elle l'insulterait jusqu'à son dernier souffle.

La lumière du soir éclate à travers les nuages, cocktail flamboyant qui recouvre le visage si sombre d'Osaka. À travers la vitre de sa Bentley noire, Rain n'a le droit qu'au spectacle monotone des rayons sans couleur, car pour elle, le monde n'est qu'une succession de tons grisâtres sans intérêts véritables. Le moteur coupé, la Coréenne ne pose sur la ville qu'un regard vide de gaîté, son escorte respecte le silence qu'elle impose comme à son habitude, se retenant presque de respirer pour ne pas la troubler dans sa contemplation. Journée fatigante, à trop se concentrer sur les tableaux des amphithéâtres, elle a fini par sentir sa tête lui tourner, ses yeux lui piquer. La santé de la brune n'a jamais été la plus stable, et plus le temps passe, plus les vertiges deviennent récurrents. Son corps frêle, sous-alimenté risque de lui faire défaut un de ces jours, mais elle s'entête à vouloir tout contrôler, jusqu'à la moindre calorie qui menace de modifier sa silhouette. Et à ne pas vouloir grossir, elle oublie de voir que ses joues se creusent, que son squelette se dessine de plus en plus, la conduisant doucement vers les fatalités. « Mademoiselle Im ? » Murmuré avec audace dans l'espace clos de la voiture, les têtes se redresse, Rain lève le menton sans quitter l'extérieur des yeux, soupirant lourdement avant de hocher la tête. « Allons-y. Mon père m'attend. »

Le moteur vrombrit, les épaules se détendent mais avant qu'on puisse faire avancer le véhicule, un cri retentit troublant la quiétude du soir. Rain s'alarme, elle se redresse subitement et se met à observer les alentours, cherchant la direction du bruit. « Mademoiselle Im ? » Appelle son chauffeur. La jeune femme place un doigt sur ses lèvres pour leur indiquer de se taire. « Attendez. » Le cri résonne à nouveau, son instinct lui indique que quelqu'un est en danger. Sans attendre, elle ouvre la portière et se précipite dehors, immédiatement suivie par sa garde. Le chauffeur tente de la retenir, il l'appelle à nouveau, elle se retourne, impatiente. « Mon père attendra cinq minutes de plus. » Répond-elle sèchement avant de reprendre sa route.

La scène qui s'offre à ses yeux n'est pas rare, ici, à Osaka, et pourtant, Rain se sent terriblement touchée par le désespoir de la jeune femme à terre. Un homme, bien plus fort, la menace au couteau, asseyant sa dominance sur celle qui paraît bien trop faible et sans défenses. Les gardes hésitent, Rain leur envoie un regard de braise qui les pousse à intervenir sans attendre plus longtemps. La fureur qui danse dans le regard de la victime lorsqu'elle s'approche pour la tirer des griffes de son bourreau lui rappelle à quel point la condition des femmes est misérable, et ça lui fend le cœur. La reine de glace ne se laisse pourtant pas si facilement atteindre habituellement. « Viens avec moi ! » Lui souffle-t-elle pendant que ses hommes s'occupent de maîtriser l'agresseur. Elle la force à se relever et à la suivre, tandis qu'elle l'entraîne loin du danger, vers la voiture qu'elle a quittée il y a peu. Une fois à l'abri des folies, les poupées s'arrêtent, haletantes, mais Rain n'attend pas que son cœur se calme pour vérifier que l'autre n'est pas blessée. « Comment te sens-tu ? » Demande-t-elle avec empressement, le regard dur.

Frustrée, battue, mais refusant toujours de s'avouer vaincue. Les lames pouvaient danser autour d'elle, elle n'abdiquait pas malgré ses épaules frêles. Alors son regard de braise continuait de défier celui qui la menaçait, alors même qu'elle ignorait si ses cris de détresse alerteraient qui que ce soit. Mais c'était plus profond que ça, et son besoin de ne jamais se soumettre dans sa vie faisait écho à cette obligation qu'elle avait trop souvent de devoir se taire et encaisser. Lors de ces nuits sombres, avec ces hommes détestables qui ne lui laissaient guère le choix, la traitant comme une poupée plus encore que comme une fille de joie. Entre leurs mains elle n'était souvent qu'un jouet, même si c'était une situation qu'elle détestait. Alors quand elle avait son mot à dire, elle était prête à tous les maudire. Et pour défendre ces pilules rêvées qu'elle avait arraché de ses propres mains, elle aurait été prête à toutes les bassesses.

Trop occupée à regarder son agresseur, elle ne remarqua pas l'arrivée de sa bienfaitrice, mais revint à la réalité lorsque plusieurs types faisant visiblement dans la sécurité vinrent se saisir de lui. Avant qu'elle ne comprenne ce qu'il se passait, une main la tira hors de cette ruelle pour l'emmener en lieu sûr, et c'est sans même réfléchir que la brune au carré court laissa ses pas la guider à sa suite. Loin du tumulte de son altercation avec le dealer, elle fut finalement libérée de l'emprise de l'inconnue qui avait pris le risque de voler à son secours, une inconnue qui s'inquiéta immédiatement de son état.

Maintenant que tout était redevenu plus calme, Hari prit le temps de détailler ce qui se passait. Elle jaugea la jeune femme qui lui faisait face en la regardant de haut en bas, notant immédiatement qu'elles n'étaient pas du même rang. Ça sautait aux yeux rien qu'en la regardant. Fille des rues rencontrant une reine en devenir, mais qui n'avait pas encore conscience du poids de la couronne qui pesait sur la tête de cette dernière. Si Hari peinait à détacher ses yeux du visage magnifique de sa bienfaitrice, c'était surtout son charisme imposant et écrasant qui la laissait pour l'instant sans voix. Une prestance étouffante, renforcée par la présence des gardes qui s'occupaient maintenant du dealer à plusieurs mètres de là. Elle n'était pas n'importe qui, et Hari ne tarda pas à réaliser qu'elle avait face à elle une personne importante, même si elle était bien incapable de saisir à quel point. Dans sa tête, tout était clair toutefois, elle se devait de duper, de tromper, et de tout faire pour s'éclipser aussi rapidement que possible sans livrer quoi que ce soit à cette femme dont l'inquiétude pour elle pourrait très bien se retourner en inquisition.

"Ça va... mais j'pouvais me débrouiller toute seule." Mentit-elle honteusement en fronçant légèrement les sourcils, après avoir elle-même hurlé à l'aide quelques instants plus tôt. Sur la défensive, ses doigts vinrent instinctivement se poser sur son sac, comme pour protéger inconsciemment les pilules qu'elle avait réussi à dérober pour les y glisser. Il était hors de question que cette inconnue l'empêche de repartir avec son butin. Surtout qu'au vu de son escorte, elle ne serait malheureusement pas facile à éliminer si elle se mettait à trop fouiner. Balayant ses pensées meurtrières passagères, la brune au carré court planta son regard sur celle qui faisait peser sur elle cette aura angoissante malgré ses tentatives de se montrer avenante. "Mais c'est gentil... Il voulait vraiment me faire du mal... Je sais pas ce qui lui a pris, il est pas comme ça d'habitude..." Se lança-t-elle dans un nouveau mensonge avec une fébrilité feinte, puisqu'elle ne connaissait pas ce type un quart d'heure plus tôt. Mais le plan avait germé dans sa tête, instinct de survie toujours en alerte pour lui permettre de passer entre les gouttes, son seul but étant toujours de se faufiler entre les mailles du filet. Tout pour la liberté, tout pour échapper aux prunelles inquisitrices de cette inconnue qui avait visiblement de trop gros moyens à sa disposition. Parce que personne ne devait savoir, jamais, que son sang était vicié.

R at des villes, rat des champs, poupées se toisent et s'apprivoisent, les liens se créent entre femmes désespérées, à la fois si semblables et complètement opposées. Si les jugements résonnent, les cœurs, eux, s'unissent, compassion aussi rare et précieuse qu'un diamant, Rain n'est d'ordinaire pas si concernée par le malheur des autres, il aura fallu que le hasard se mêle de leur histoire, afin de les réunir sous un ciel calciné. Gamine se méprend furieusement, à lui assurer qu'elle aurait pu se sortir toute seule de sa situation, Rain se redresse, presque déçue de la réponse de sa semblable. De son aura imposante, elle la domine, car elle domine toujours son prochain, même sans faire exprès. Son regard se pose momentanément sur le sac auquel la brune s'accroche, elle en déduit qu'une chose importante se cache à l'intérieur. Le but de la Coréenne n'est pas de se mêler de sa vie, la sortir de ses problèmes était son seul acte de bonté ce soir, elle ne feindra pas s'intéresser à elle plus que ça. « Certainement... » Acquiesce-t-elle, le ton légèrement sarcastique tandis qu'elle l'observe bien trop intensément. « C'était ton mec cette ordure ? » S'étonne-t-elle, peu convaincue. La pitié vient aussitôt bercer son regard, elle n'a pas le temps de commenter plus que ses gardes reviennent vers elle. Sans même avoir besoin de se retourner, elle lève son bras et tend une main. Les garçons déposent un sachet de pilules dans le creux de sa paume, elle détourne enfin ses yeux de la demoiselle pour les poser sur le contenant. Son visage devient plus grave, elle se sent soudainement un peu trahie, mais elle n'est pas là pour juger la vie des autres, bien qu'elle le fasse tout de même sans parvenir à le contrôler. « Je vois. » Souffle-t-elle, un peu trop intriguée par les pilules qui nagent dans leur emballage de plastique. « Tu ferais mieux de prévoir de quoi te défendre la prochaine fois. » Continue-t-elle, un brin moralisatrice. Elle se force à ne pas se montrer plus curieuse, car la voix de son père résonne méchamment dans son esprit : il lui est formellement interdit de toucher à de telles calamités. Elle les tend avec nonchalance à celle qui lui fait face, un sourcil arqué. « Ces trucs-là n'ont aucun effet sur moi, tu en auras plus l'utilité, je pense. » Ment-elle en sachant très bien de quoi elle parle. « Tu as l'air misérable là tout de suite. Tu habites loin ? » Et elle n'est jamais très délicate lorsqu'elle s'adresse aux autres de la sorte, mais une chose chez la jeune femme qui se trouve face à elle lui rappelle furieusement sa petite sœur, et ça l'irrite légèrement.

Pas vue pas prise. Jamais démasquée. Si on la voit, elle va vous éliminer. Sa folie toujours trop présente, si on voit quelque-chose, on se frotte à la démente. Elle n'est qu'une fille normale, n'a jamais rien demandé, mais traîner au mauvais endroit au mauvais moment, et vous finissez brûlés. Brûlés comme ces corps qui brûlent toujours dans sa tête, avec les pleurs qui en elle jamais ne s'arrêtent. Les siens et ceux des autres, ceux qui n'ont pas eu de chance, ceux qui étaient juste là, mais qu'elle ne pouvait ignorer. Ceux qui auraient pu mettre à mal son secret. Hari jamais méchante, mais surtout prête à tout, pour s'auto-protéger, prête à se mettre à genoux, prête aux supplications et à tout ce qui s'en suit, mais prête aussi à faire taire ceux qui voient et s'enfuient. Nul n'échappe jamais à son courroux, car connaître la vérité c'est se mettre en danger, signé son arrêt de mort sans aucune forme de jugement. Car avocate, juge et bourreau, elle joue tous les rôles et s'abat comme un fléau.

On lui tend des pilules, et tout son corps se sent mourir, ses intestins se nouant et voulant dépérir. Car elle rêve de ce trésor qui lui est offert, mais se doit de le refuser pour mener son affaire. Oh sensation addictive qui danse devant elle, au gré de ces pilules qui chaque jour l'ensorcèlent. Mais aujourd'hui n'est pas le jour de sa faiblesse, ni demain ni jamais, trop bornée son altesse. Elle préférera mourir emportant son secret, que de laisser quiconque la remettre dans cette case, car mono elle n'est plus, longs instants révolus.

La jeune femme semble lui proposer de la raccompagner, une idée dangereuse qu'elle ne peut accepter. Moins elle en sait sur elle, mieux c'est, elle le conçoit. Papillon qui refuse de se faire capturer, persuadée qu'une femme comme elle ne pourra que finir par l'enchaîner. Toujours il faut savoir se faufiler, et toujours s'éloigner pour mieux se cacher. "J'habite juste à côté, j'aurai pas de problème pour rentrer chez moi..." Prononce-t-elle habile, jouant la victime toujours un peu fébrile. Mais la comédie ne s'arrête pas là, car le plus important est d'éviter le faux-pas. D'un revers de la main d'une totale nonchalance, elle balaye la proposition de l'inconnue. Ces pilules n'ont aucun pouvoir sur elle, car même quand tout vole en éclats, elle reste aux commandes et évite les dégâts. "Et non, je m'en fous de ses pilules à la con... T'as qu'à les filer à des mono nécessiteux si t'es charitable." Ajoute Hari, toujours douée pour jouer de ses mots, avant de la fixer sans la moindre émotion. Guettant, toujours à l'affût, le moment le plus opportun pour filer avec son butin.

Les yeux de la plus grande sont comme la caméra oppressante qu'on braque sur les innocents. Elle semble vouloir la percer à jour, lui faire avouer des choses, la faire plier sous sa supériorité, pourtant Rain n'est pas si perverse, et si l'autre se sent si menacée, c'est qu'elle doit avoir quelque chose à cacher. Elle penche sa tête sur le côté, laisse courir ses prunelles accusatrices sur la jeune femme qui cherche à fuir pour une raison qui lui échappe. À croire que demoiselle ne souhaitait pas être sauvée de sa détresse, Rain aurait peut-être mieux fait d'ignorer ses appels, cela lui aurait évité d'arriver en retard chez elle. Sa paume se referme sur le sachet de pilules, elle hausse les épaules et le rend à son garde. « J'ai autre chose à faire que de nourrir les névroses des monos. La charité attendra. » Répond-elle froidement, irritée par la simple idée de devoir se frotter à des gens pareils. Élevée dans les hauteurs, à l'abri des persécutions, on lui a trop souvent bourré le crâne d'absurdité concernant les probes et les monos. Espèces méprisables, elle qui n'est pourtant pas si différente, elle choisira toujours d'adopter le mode de pensée de ceux qui l'ont élevée, même si cela relève d'un manque d'esprit critique désolant.

Elle pointe alors une poubelle du bout de son menton, indiquant au garde de se débarrasser de la drogue. « Jetez-moi ça si elle n'en veut pas. Hors de question de rentrer avec des saloperies pareilles. » Ordonne-t-elle d'une voix rigide avant de croiser ses bras sur sa poitrine. Quelque chose lui dit que celle qui la confronte est en train de mentir, et c'est tant pis pour elle, Rain ne perdra pas son temps à la convaincre de repartir avec ce qu'elle est venue chercher ou non. Cela l'intéresse pourtant, de voir sa réaction tandis que l'homme se dirige vers la poubelle. Elle a du culot Rain, de tourmenter la demoiselle alors qu'elle-même ment depuis sa naissance, mais peut-être que cela lui permet de se rassurer dans son mensonge à elle, de sentir cette emprise que ses parents ont sur elle se répercuter sur des âmes moins avantagées, plus misérables, même si Rain est loin d'être gâtée. « Tu es sûre que tu ne veux pas qu'on te dépose ? Ça ne coûte rien... » Un peu fatiguée des manières de son interlocutrice, elle a la patience fragile, mais elle ne retiendra pas la gamine plus longtemps si elle souhaite s'en aller. « Je pense que c'est mieux considérant la situation. » Ajoute-t-elle malgré elle, car elle a la manie de toujours donner son avis que cela soit mal venu ou non.

Prise au piège sans vraiment l'être, tenue au secret pour protéger tout son être. Jeux de pouvoir et faux-semblants sont des arts auxquels elle est rôdée. Jeux qu'elle adorerait ne pas avoir à jouer, mais qu'elle se doit de maîtriser. Jeu de dupe à double tranchant, on ne sait jamais quand l'inconnu est oppressant. Alors quand on n'est qu'une petite souris dans ce monde impitoyable, on apprend à décoder les attitudes, à lire les regards, à comprendre les comportements. Instinct de survie surdéveloppé, pour cette enfant qui a trop souvent du se battre pour avoir le droit d'exister.

Alors si la position de la jeune femme lui échappe, son importance capitale ne fait aucun doute. Si Hari use de toutes les cartes dans sa main pour ne rien révéler sur son identité et les choses qu'elle préfère dissimuler, l'inconnue n'hésite pas à afficher qu'elle est celle qui donne les ordres à ces colosses armés. Personnalité importante à n'en pas doute, personnage énigmatique mais que Hari commence peu à peu à cerner. Une réalité, son pouvoir est immense, assez pour commander à des être qui pourraient pourtant d'un geste la massacrer. Donc les molosses ne sont qu'artifice, elle est la seule dont il faut se méfier. Prendre garde, toujours être habile, et se faufiler sans y laisser trop de plume. La sécurité toujours plus importante que des pilules qui pourraient la faire enfermer.

Négligemment, elle détourne le regard vers l'homme qui va jeter les pilules dans une poubelle, et retient solennellement son envie de lui hurler que c'est du gâchis. Ne rien afficher, c'est trop important, ne jamais rien montrer, tout garder dedans. Elle le toise quelques instant, avant de poursuivre dans son jeu, toujours disposée à tenir son rôle, star de la pièce qui se joue à présent, comme si elle en connaissait déjà toutes les répliques. "A votre place je ferais pas ça. Si vous les jetez à la poubelle, pourrait y'avoir des gamins innocents qui tombent dessus, et qui claquent en les bouffant. Vous devriez les cramer plutôt." Elle prononce, innocente, jouant les savantes et les héroïnes protectrices des générations futures.

Mais l'inconnue est là, et toujours elle insiste. Il faut se débarrasser d'elle et au plus vite. Ses questions sonnent toujours comme des accusations, et se défaire de son regard devient une obligation. Ne surtout pas prendre le risque de se faire piéger dans un espace clos seule à ses côtés. Toute confiante qu'elle est, Hari le sait, les inquisiteurs savent toujours creuser en vous s'ils vous approchent d'assez près. Mettre de la distance occupe toutes ses pensées, tout faire pour s'éloigner et ne plus la recroiser. "Merci chérie mais j'ai des jambes, j'peux marcher, t'inquiète." Elle jette, presque insolente, sourire mielleux aux lèvres, expression hypocrite déformant son visage.

Rentre dans ton château princesse, et lâche-moi.

L'insolence contre le jugement, de ces deux regards jumeaux qu'elles cherchent à dissimuler quotidiennement, car c'est à croire que le malheur s'abattra sur leur tête à la moindre révélation. Il est vrai qu'une fuite pourrait précipiter la jeune politicienne vers sa perte, mais qu'en est-il pour une gamine des rues ? Au fond, Rain ne sait même pas pourquoi elle insiste, car elle se fiche bien de ce qu'elle pourrait devenir, elle se fiche également pas mal de quelles fantaisies peuvent être dotés ses iris. Les pilules terminent à la poubelle, car il n'y a pas marqué babysitter sur son front. Elle arque un sourcil aux mots de la jeune femme, étonnée face à son commentaire. « Tu vois souvent des enfants fouiller dans les poubelles toi ? Les mères ont qu'à bien tenir leurs gosses, je ne suis pas l'hôpital de la charité. » Elle sourit de ce sourire terrifiant, posant sur la plus jeune un regard presque moqueur. « C'est tout de même aimable de ta part de vouloir penser à tous les scénarios possibles. Je te laisse t'occuper de les brûler toi-même, si tu penses que les enfants risquent de mal finir. » C'est presque un rire qu'on pourrait distinguer dans ses paroles, car elle trouve la situation bien absurde finalement. Elles ne se connaissent pas, ce n'est pas parce que Rain est une Im qu'elle est tyrannique, cela lui importe peu de connaître la vie de cette fille qui s'est forgé une armure presque plus dure que la sienne. À mieux y réfléchir, ce n'est pas Rael qu'elle voit en reflet, c'est à elle-même qu'elle lui fait penser, ce côté renfermé et craintif, cette manie de se blinder à chaque menace possible.

Rain perd peu à peu son sourire, elle finit par ranger ses mains dans son dos, acquiesçant d'un air grave suite aux mots de la brune. « Très bien, je n'insiste pas plus, même si j'aurais préféré un peu de ta gratitude, j'imagine que je ne peux pas te forcer à faire ce dont tu n'as pas envie. » Elle soupire, se dit que c'était beaucoup de mal pour pas grand-chose finalement, peut-être aurait-elle mieux fait de la laisser crever sur le trottoir, égorgée ou poignardée par un connard, mais au moins, Rain aura la conscience tranquille. « Mademoiselle Im, votre père... » Elle tourne la tête vers un de ses gardes et hoche la tête. « Oui oui, je sais, ne perdons pas plus de temps et allons-y dans ce cas. » Elle pose à nouveau son regard sur la souris, la détaillant de cet air arrogant avant d'indiquer à sa garde de prendre place dans la voiture. « Je te proposerai plus mon aide, ce n'est pas mon genre de courir après les gens. Sois plus prudente la prochaine fois, cette ville est dangereuse lorsqu'on est une femme seule, je te souhaite bon courage et bon rétablissement. » Elle s'incline respectueusement pour camoufler le mépris de ses mots sous des politesses hypocrites, se relevant, elle a perdu sa sympathie, elle dépasse donc la demoiselle et grimpe dans la voiture tandis qu'un des gardes s'occupe de refermer la portière derrière elle. Rain baisse alors la fenêtre pour la voir une dernière fois. « Je m'en vais en première pour te laisser la liberté de récupérer ce que j'ai jeté, ce serait dommage de t'en priver, tu ne penses pas ? » Elle sourit malicieusement en posant son coude sur le rebord de la voiture. « Pas vue pas prise, j'ai envie de dire. » Et sans un mot de plus, elle se recule, remonte la vitre teintée de la voiture noire avant d'ordonner qu'on démarre.

Liberté retrouvée, toute une vie encore à mener. Quand son destin se trouve toujours entre ses mains, Hari plus que jamais décidée à retrouver celui capable de teinter de millions de pigments l'univers qui l'entoure. Seule véritable pensée présente dans son esprit, à en ignorer le reste du monde comme s'il n'existait pas. Aucune âme ne pouvant l'intéresser, tous à disparaître de son esprit en un claquement de doigts. Impossibilité pour ces autres à générer chez elle le moindre sentiment, quand leurs existences insipides n'évoquent en elle qu'une indifférence absolue.

Échange terminé, et la sylphide déjà entièrement tournée vers son objectif véritable. Considération déjà perdue pour les mots prononcés plus tôt, vagues restes dans son esprit auxquels elle ne prête déjà plus attention, besoin de se presser vers la source de son obsession. Lui.

Années passées à maintenir son comportement parfait, à démontrer son habileté à se présenter sous ses traits de lambda, quand depuis peu tous ces besoins volent en éclats. Quand d'un simple regard, un être peut changer votre destinée, à ne plus faire de vous une victime de la fatalité. Mèche de cheveux replacée derrière son oreille, avant qu'un soupir ne s'arrache à ses lèvres. Son monde finirait par changer, elle n'accepterait rien d'autre, quitte à en maudire la Terre entière. Plus jamais victime du sort, elle s'en faisait la promesse.