Autour de lui les formes se mouvaient, mais ses iris lacérants restaient impassibles, contemplant sa proie dans un funeste silence. Moment d’accalmie qu’il s’offrait avant que ses mains soient de nouveau tâchées par la sève carmine de ces impurs, et s’apprêtant à abattre de plus bel cette si injuste malédiction qu’il infligeait à ces maudits au regard simplement différent.  

Et aujourd’hui encore, tu commettras cette infamie en son nom, et tu te persuaderas que cet acte est juste en t’imposant dans la rétine l’image de son sourire volé.

Derniers rayons de soleil colorant de ses couleurs les plus chaudes les rues se peuplant un peu plus encore. Candeur exacerbée des fins de journées où la pression quotidienne se relâchait enfin sous les éclats de rire enviables, les ignorants ne se doutant pas un instant que l’un d’entre eux allaient lâcher son dernier souffle.

Vie identique. Visage semblable. L’humain se ressemblait jusqu’au plus profond de ses entrailles, et pourtant, celui qu’il observait représentait tout de plus inhumain pour lui. Jugement toujours plus faussé, alors que son cœur s’éloignait de celle qu’ils avaient osé écorcher. Proie qu’on lui avait demandé d’abattre au nom d’une de ses semblables, car une fois de plus encore un monstre au regard gris s'était emparé des prunelles de celle qui lui avait donné la lumière.  

Mais qui de vous deux était réellement le monstre ?

Le coucher de soleil est en train de se terminer quand Ren finit sa journée de travail au game center. Il se fait rattraper par son patron qui le réprimande – une fois de plus, parce qu'il était en retard au travail. On lui parle comme un moins que rien, parce qu'il ne pas capable d'accomplir quelque chose de basique : être à l'heure sur son lieu professionnel. Et quand il essaye de rétorquer qu'il était malade – ce qui était vrai, son patron menaçait de le frapper, le traitant d'incapable.

Ren devient atrocement silencieux. Il aurait pu être autre chose. Il aurait pu être ingénieur. Il aurait dû être ingénieur. Il était censé être brillant. Intelligent, sportif et même plutôt beau garçon, il ne devrait même pas être seul dans sa vie. Ce n'est pas comme ça que le monde est censé fonctionner après tout.

La réalité est toute autre.
Il n'est qu'un bon à rien.
Il n'est qu'un fardeau pour les autres.
Même quand il essaye de ne pas l'être.

La plupart du temps, les gens pensent qu'il est seulement ce mec un peu difficile à approcher, qui se fiche de tout ce qui l'entoure. Alors que la réalité est tout autre. Rongé par le chagrin, Ren ne vit qu'à travers le prisme de l'abscence de celle qu'il a toujours aimée. Celle dont on lui interdit d'honorer la mémoire. Celle dont on l'empêche de visiter la tombe. Et ça le détruit.

Aujourd'hui c'est un jour sans. Un jour où le souvenir de Maya le hante, un jour où elle lui manque beaucoup trop. Un jour où il aimerait qu'elle soit là, à ses côtés.

Il se déteste, Ren.
Après tout, tout est de sa faute.

Ses yeux se mettent à briller, alors que les larmes commencent à monter. Il a l'impression de se noyer, alors va dans une rue isolée, et sort une pillule de sa poche. C'est idiot en fin de compte. C'est le cadet de ses soucis, et bien qu'il veuille mourir – parce qu'il ne sait pas comment vivre avec tout ça, il ne sait pas comment surmonter le chagrin qui l'anime ; il prend quand même la peine de se cacher pour avaler une black pills.

Loin d'imaginer ce qui l'attend.

Et de leurs désespoirs en naissaient les peines, et de ces peines en découlait la haine. Détruire pour renaître. Aberrante vengeance à en briser la vie des autres, à se penser souverain des misérables. Et de leur agonie, les âmes délaissées tentent d'assouvir cette soif de justice, que la société ne leur offre pas, de leurs mains malhabiles. Mais les voix chagrinées des peinés se font taire, méprisant leurs souffrances, afin d’en dessiner les mirages d’un lendemain que les grands de ce monde voulaient irréprochable.  

Dans son égoïsme exacerbé, éclipsé par ses actions pour ces autres fâchés aux existences brisées, Jian, lui, se laissait penser qu’il vivait des sentences impitoyables qu’il infligeait à leur demande. Et dans les rues sombres de cette cité, il faisait régner de ses crimes la loi contestable de ceux dont on n'écoutait pas la détresse.  

Et celui qu’il suivait des yeux, en ce jour qui se voulait pourtant de nouveau chaleureux, était l’un de ces condamnés au regard argenté. Le chasseur observait toujours sa cible, qui, de sa malheureuse carcasse, vivait ses derniers instants dans cette cage qui devenait de plus en plus étroite. Que ce spectacle fût pitoyable à en lâcher un soupir qui en disait long sur son mépris. De son agilité, sans lâcher de ses iris le jeune homme, Jian s’approcha de lui d’un pas félin, prêt à mettre un terme à cette poursuite qui durait depuis plusieurs crépuscules maintenant.  

Se trouvant hors de sa vue, il vint s’emparer d’un geste vif de l’infortuné, plaquant son visage au sol. “Any last word for the family you destroyed ?” Mots soufflés dans une agressivité angoissante, maintenant toujours face contre terre celui à qui il offrait en guise d’adieu une dernière volonté.  

Isolé, le Taiwanais n'essaie même pas de cacher sa peine. Les larmes roulent le long de ses joues, en silence. C'est tellement dur de continuer à avoir un semblant de normalité alors que tout s'est effondré autour de lui.

Alors qu'il porte la capsule à ses lèvres, le jeune homme ne peut finir son geste, propulsé vers l'avant. Ses genoux tapent le sol en premier, et ça fait mal. La pilule tombe au sol, atterit non loin d'eux.

Et ça le surprend Ren, de se retrouver au sol, comme ça, sans aucune raison apparente. Qui ne le serait pas après tout ? Mais il comprend très vite que c'est quelqu'un qui l'a poussé, et cette personne ne semble pas prête à relâcher l'emprise qu'elle a sur lui, avant de prendre la parole.

D'abord, Ren met du temps à assimiler ce que l'homme derrière lui vient de dire. Ren a détruit une famille. Encore une fois, personne ne se met à sa place. Personne n'essaye d'imaginer une seule seconde à quel point ça lui fait mal. Il ne pourra jamais comprendre la douleur de perdre son enfant, mais il connait celle d'avoir perdu l'être aimé, l'âme soeur. Mais après tout, méritait-t-il qu'on le fasse ? Que l'on s'attarde sur sa propre misère ?La scène paraît surréaliste et pourtant Ren sait qu'il va mourir, et étrangement, il semble plutôt calme vis-à-vis de la situation. Il ne cherche pas à se débattre, il ne cherche pas à attaquer son assaillant.

Il est misérable, Ren. Pitoyable, même. Il le sait. Il est pathétique. Et malgré tout, il ne peut pas s'en empêcher.

— La douleur, fais-la s'arrêter. Je t'en prie.

C'est paradoxal. Dans d'autres circonstances, le jeune homme aurait souhaité vivre, mais il ne voit plus aucune issue. Rien ne pourrait soulager la douleur qui ronge son coeur. Et bien que les larmes coulent sans s'arrêter, tombant presque lourdement sur le béton, un léger sourire se dessine sur ses lèvres. Un sourire empreint de tristesse, mais aussi de soulagement à l'idée que ce calvaire puisse enfin se terminer.

Et si ses jours s'arrêtaient, non seulement la famille s'en verrait soulagée. Et lui ne souffrirait plus du tout.

Il renifle, le souffle légèrement court – le poids de l'autre personne sur son dos l'empêchant de respirer correctement.

— Je veux que ma famille croit que je l'ai fait seul. Je ne veux pas qu'ils se rongent dans le ressentiment.

Il marque une pause.

— S'il te plait.

Et le corps du jeune homme est flasque sous celui de son agresseur. Il y a un peu de crainte bien sûr, cela se voit à ses poings qui tentent de se planter dans le béton, mais il ne semble avoir aucune intention de se rebiffer.

Leurs sanglots étaient devenus telle une berceuse au milieu de cette bataille qu’il menait contre ces êtres qu’il méprisait. Ils imploraient son être de les épargner, et tout se finissait dans d’effroyables cris qui persistaient infiniment aux creux de son oreille. De son regard désabusé, il les regardait lâcher leur dernier souffle sans aucun remord. Jian vivait du désespoir des autres, et ce, parce qu’ils avaient été ceux qui avaient osé lui retirer le seul être qui l’avait rendu si vivant autrefois.  

A quoi bon se lamenter sur leur sort, quand ils sont ceux qui ont fait de toi ce que tu es aujourd’hui ?

Tel l’ombre de la faucheuse, il accomplissait ce qui lui était juste, à en braver les principes de ce monde qu’il détestait tant. Et en ce jour encore, l’un d’entre eux allait connaître sa justice, aussi injuste qu’elle était. Toujours à le tenir au sol, il s’apprêtait d’ores et déjà à entendre leurs pleurs habituels qu’il abrégerait de sa lame aiguisée, tel un salvateur qui les déferait de leurs vices. Mais les mots de celui qui devait vivre les derniers instants de son existence l’arrêtèrent dans son ardeur tumultueuse.

Le garçon le supplia dans une politesse paradoxale de mettre fin à ses maux. Un silence s’installa après la demande inattendue de ce dernier. Le sicaire restait de marbre face à cette situation, se questionnant sur les intentions réelles de celui qui se trouvait en dessous de lui. Simple ruse ou détresse inexpliquée, il tentait de garder son calme malgré un pincement à sa lèvre inférieure qui trahissait son agacement. “Why aren’t you fighting for your f*cking life ?! Why ?!” A en cracher son incompréhension.  

Non, tu ne seras pas celui qui abattra les faibles.  

Et si Ren pleure, ce n'est pas parce qu'il a peur de mourir, mais simplement parce qu'il est épuisé de vivre ainsi, avec la culpabilité de ne pas avoir pu sauver celle qu'il aimait. Alors, non, Ren ne crie pas, n'implore pas pour sa vie. C'est plutôt le soulagement qui l'anime – et ce, malgré la peur.

— Pourquoi je le ferais ?

Une question-réponse qui peut apparaître bien effrontée.

— Elle est morte.

Une évidence, répétée de la bouche de celui qu'on tenait pour coupable de tous les maux.

— J'ai pas eu le droit d'aller à la cérémonie d'enterrement. J'ai pas eu le droit de la voir une dernière fois. Même aujourd'hui, je n'ai pas le droit d'honorer sa mémoire et de me rendre sur sa tombe. Mais ça n'intéresse personne de savoir comment je vis tout ça, hein ?

Une évidence pour la famille, une évidence pour son agresseur. Mais pour Ren ? Une part d'injustice demeure et pourtant, Ren n'arrive pas à se défendre. Et il pleure, parce qu'au fond, il ne veut pas mourir. Et pourtant, les larmes coulent à flot sur ses joues, alors qu'un sourire désabusé fend son visage.

— Ca n'intéresse personne de savoir que je flingue mon corps avec des black pills. Ca n'intéresse personne de savoir que j'ai essayé d'en finir pour ne plus être un fardeau pour personne. Ca n'intéresse personne de savoir qu'après sa mort, j'ai arrêté mon école d'ingénieur. Je fais un taff minable où tous les jours on me rappelle à quel point je ne vaux rien et qui me rappelle tous les jours que je mériterais d'être viré.  

Les monos sont des bêtes à chagrin. Les gens avaient beau dire le contraire, ils étaient ceux qui souffraient le plus. Non seulement ils souffraient de l'absence de vision des couleurs, mais en plus de cela, ils devaient en subir les discriminations. Ren avait l'impression de vivre un véritable moment de paradis alors qu'il avait fait la rencontre de sa probe, qu'elle était tombée amoureuse de lui – bien plus vite que lui, il faut le dire. Cependant, ce moment s'est réellement transformé en un véritable enfer. Aucun mono ne semblait être préparé à la perte de son probe, et Ren se sentait bien seul dans cette épreuve, sans personne pour comprendre l'immensité de la douleur qui l'habite, alors qu'il a perdu sa probe mais par-dessus tout, son âme soeur, celle avec qui il voulait partager sa vie.

— Alors pourquoi je me battrais pour ma vie ? Quelle en est la valeur alors que je suis mort à l’intérieur ? Je n’ai jamais voulu ça. Je n’ai jamais voulu qu’elle meure.

Il observe une pause, avant de murmurer :

— Ca sera un soulagement pour tout le monde si je meurs.

C’était faux, il le savait. Mais le désespoir lui faisait dire tout cela, parce que c’est la seule issue qu’il arrive à voir. C’est pour lui le seul moyen qu’il lui reste d’apaiser son propre chagrin.

Et dans ces limbes impitoyables, on y faisait régner sa propre justice, à en abattre sans pitié ceux qui ne s’y pliaient pas. Choisissant d’en purger la terre de ces désespérés au regard argenté, il finissait par se perdre dans les méandres de sa psychose, à en changer son cœur à jamais. Jian n’était plus depuis le jour où ses mains avaient été salies pour la première fois par le sang de ces personnes qu’il détestait tant. Images encore intactes dans la conscience, à s’en souvenir parfaitement des prunelles en pleurs de l’être aimé et tous ces corps gisant au sol autour d’eux. La mort, la désolation, puis la peur. Il était devenu un monstre. Pour elle, il avait tué. Pour elle, il s’était détruit pour l’éternité.  

Alors que l’on rêve durant toute notre existence d’une fin heureuse,
Les diables de ces pénombres nous dévorent pour ne laisser que souffrance et remords.

Dominé par cette vengeance, il avait lui-même décidé d’embrasser de ses lèvres solitaires ces démons, s’anéantissant dans l’espoir de s’éteindre paisiblement dans les bras de celle qu’il avait autrefois aimée. La retrouver rien qu’une dernière fois. Il s’égarait un peu plus à chaque nouveau crépuscule, laissant l’être effroyable qu’il était devenu prendre le dessus. Et il criait en son for intérieur dans l’attente de se réveiller de cette frénésie, mais face à ces macchabées qui s’entassaient devant ses yeux vidés de toute lueur, il était plus que jamais seul.  

Un fardeau...
C'est-ce que tu étais pour elle, et elle t’a demandé de partir...

Dans un silence funeste, il se surprenait à écouter les paroles de l’homme encore sous l’emprise de son corps. Palpitant devenant lourd, à en souffler un soupir pour ne laisser le chagrin l’emporter. Et les mots poignants résonnaient en son être comme un écho déchirant. “You...” Regards qui pourtant divergent, entre colère et incompréhension, il se retrouvait face à cette personne qui l’abominait, et qui pourtant lui ressemblait bien trop. “...You are... just a loser.” Ebranlé, il se leva, rendant la liberté à sa cible, et s’éloignant de lui pour s’en abattre contre le mur le plus proche. “Do you really think that she would want you dead ...?” A se laisser toucher par les émois de celui qui aurait d’ores et déjà dû périr sous sa lame.  

L'employé du game center se redresse alors que son agresseur le relâche. Il se redresse, va s'appuyer contre le mur en face de l'autre, les jambes étendues sur le sol.

— Oui. C'est vrai. Je suis un bon à rien. Je sais.

Et malgré le chagrin, un sourire apparaît sur son visage ; il n'est qu'une personne de plus à lui faire remarquer. Alors Ren ne peut qu'y croire. A ce stand, le jeune homme ne peut même pas lui en vouloir de lui faire la réflexion.

— Je ne sais pas. Est-ce qu'elle voudrait que je vive comme ça ? Est-ce que ça a de l'importance, maintenant qu'elle est morte ?

Il marque une pause. Vraie question n'attendant pas de vraies réponses.

— Je n'ai jamais été digne d'elle aux yeux de ses parents.  Je suis un étranger, je suis un mono, et en plus de cela, je n'ai pas d'argent. J'avais vraiment rien pour leur plaire.

Et Ren, habituellement, il n'est pas du genre loquace. Jamais il ne s'épenche ainsi sur ce qu'il s'est passé, sur ce qu'il ressent. Il faut croire que l'approche de la mort le rend plus bavard. Et peut-être parce que la personne face à lui demeure un inconnu et que c'est plus facile. Après tout, ils ne sont pas amenés à se revoir par la suite. Mais aussi, peut-être pour que quelqu'un se souvienne de lui, puisse témoigner à quel point il a souffert. Malgré tout il continue à parler.

— J'ai pas réussi, tout seul. Il commente. J'ai essayé, pourtant. Deux fois.

Les doigts de sa main gauche effleure son poignet, là où les marques ne disparaîtront jamais de sa peau.

— Je suppose que tu ne vas pas m'aider finalement.

Ren devient à nouveau silencieux, même quand les larmes roulent abondamment sur ses joues, plus intensemment qu'auparavant, peiné de voir sa fin lui échapper de nouveau. Il est juste terriblement abbatu par ce qui lui est arrivé.

— Je veux juste en finir. Je suis fatigué. Ca fait trop mal et je n'arrive pas à faire partir la douleur. Je veux que ça s'arrête. Je n'arrive pas à le supporter. Alors peu importe à quel point elle aurait détesté me voir en arriver là...

Il s'arrête brutalement en milieu de phrase, renifle, tente d'essuyer ses larmes avec le dos de ses mains.

— En fait, ce n'est pas comme si tu en avais quelque chose à faire de tout ça et que tu pouvais me comprendre...

Nous ne sommes nous-mêmes que face à la mort. Vie rythmée de faux-semblants, à toujours vouloir en devenir la personne qu’on nous demande d’être. Individualité qui périt. On n’aspire à rien, on souhaite juste vivre dans le regard de ces autres, à se muer en un être si insignifiant. On veut être aimé, et on s’aveugle pour des sentiments qui finiront par nous briser.  

Toi et moi ne sommes que le reflet de ce monde pour lequel on se sacrifie.  
Mais la différence entre nous, c’est que jamais il ne m'achèvera pour si peu.

“Tu crois que c’est en t’apitoyant de la sorte que ça va t’aider ?... Pire encore que tu meures ?” Soupir qui vint en clore son interrogation, a ne même pas en attendre une réponse de ce pleurnicheur. “Tu comptes faire quoi ? Crever ? Pour quoi faire ? Montrer au reste du monde que tu es si pathétique ?” Regard dédaigneux, à s’en relever pour en surplomber l’individu. Miroir abject de l’être qu’il avait lui-même été, avant de s’en débarrasser pour en devenir cette faucheuse qui en sillonnait les rues de sa haine.  

Que resterait-il de ce monde si on baissait tous les bras ?
“C’est de notre rage que l’on façonne notre monde pour qu’il en devienne notre sanctuaire.” Conquête de cette paix, à vouloir en abattre les mirages de cette société et ses fantasmes au goût de liberté illusoire. “Si tu veux cette paix avec toi-même, va l’arracher à ceux qui te l’ont volée.” Parce que personne ne viendra t’aider... pas même ta propre ombre.  

— Je m’en fiche du monde et des autres. J’en ai rien à foutre de ce que les gens peuvent penser de moi. Je veux juste que cette souffrance s’arrête, mais tu peux pas comprendre.

Une part de vérité, tout comme une part de mensonge. Evidemment que le regard des gens l’affectaient ; au point de croire qu’il est réellement qu’un simple moins que rien.

— En quoi serais-je meilleur, si je cherche à me venger de ceux qui t’ont envoyé ? La vengeance ne m’apportera aucune paix, aucun soulagement face à la perte de l’être aimé.

Il marque une pause. Un rire lui échappe :

— Alors quoi ? Maintenant que tu me vois comme ça tu as des scrupules ? En quoi ta situation est-il meilleure que la mienne ?

Un nouveau silence.

— T'es venu pour me tuer et maintenant tu voudrais me sauver ?

C'est au tour de Ren de se lever, de s'approcher de son agresseur, réduisant la distance drastiquement.

— Comment tu comptes t'y prendre pour m'empêcher d'en finir ?

Lui qui avait tout perdu, tout abandonné pour s'enfoncer dans cette tornade de désespoir dont personne n'avait été capable de le tirer jusqu'à présent. Et lui, piètre inconnu, pensait pouvoir tout résoudre en un claquement de doigt ?

— Ne viens pas me faire la morale. Je n'ai pas besoin de ça.

Ren n'était rien d'autre que l'ombre de lui-même, un garçon d'apparence plutôt timide, mais gentil, qui ne ferait pas de mal à une mouche. Discret, par sa nationalité étrangère et sa nature de mono.

— Ne devrais-tu pas avoir de la compassion pour une créature à l'agonie et abréger ses souffrances ? Tu étais là pour ça de toute façon.

Si les larmes ne cessent de couler, pourtant, son regard semble se durcir un peu.

— Est-ce que je devrais faire semblant d'être méchant, pour que ça soit plus facile pour toi ?