Tombe, tombe la nuit sur la ville loin d’être endormie; pas comme toi. Somnolente sur un banc à l’acier froid d’un quartier animé pour pas qu’on se soucie de toi. Assise jambes et bras croisés, tu n’es qu’une personne de plus dans l’attente. Celui que toi tu veux voir arriver c’est pas un ami, c’est l’sommeil. Qui pourrait bien s’en apercevoir ? 
Ici, les gens sont de passage guidés par les néons des lieux de divertissements de la rue. Anzu, toi, t’es pas d’humeur à te divertir, juste envie de te laisser aller un moment, les yeux fermés, dans les bras de Morphée. Pas une personne pour t’regarder du coin de l'œil, les pupilles agitées par les lumières artificielles, le palpitant qui s’agite à l’idée de passer une bonne soirée. Pas plus mal pour toi que les gens qui dorment dans la rue, on les remarque pas. 

Deux heures après la nuit tombée, tu n’sais pas si on te ne voit pas où si on fait semblant de ne pas te voir. Qu’importe, les paupières lourdes t’empêchent de penser. Tu as ta main gauche qui tient ta tête pour ne pas qu’elle tombe, lourde, elle aussi. Phalanges froides sur la joue, grimace. Un frisson qui parcourt ton corps, tu serres un peu plus fort tes bras contre ta poitrine. Tu aurais pu trouver meilleur endroit où dormir mais même dans la routine de la rue il y a des imprévus. 
T’es pas du genre à te montrer sans défense à la vue de tous, heureusement qu’ils vont tous voir ailleurs. Tu ne saurais pas dire si tu sais suffisamment te défendre ou si c’est la boule de poil qui dort à tes pieds qui assure ta défense mais les paupières sont tombantes. Tu ne saurais pas dire combien de personnes sont déjà passées par là. Et tu ne saurais pas non plus dire si c’est à cause du froid, de la faim ou de la sensation que quelqu’un te regarde que sonne l’heure du réveil. 

Peut être tout à la fois.

Une soirée qui se termine, la nuit est déjà bien entamée lorsque je décide de rentrer. J’ai été traîné dehors par des amis. Je sors rarement dans les bars, sauf quand j’ai besoin de me changer les idées. Comme ce soir. Ca fait quelques semaines maintenant que je l’ai revu, ce garçon dont je suis le prob. Quelques semaines que je l’ai aidé et je n’arrive pas à me le sortir de la tête depuis. La première fois, j’avais réussi à passer outre, à ne plus y penser mais cette fois, c’est différent. Je ne comprend pas si c’est ce lien spécial entre un mono et son prob qui en est la cause ou s’il y a autre chose. Tout ce que je sais, c’est que ça me perturbe. Ca fait six ans que Hako est décédée, six ans que je voue une haine farouche pour les mono. Et voilà que je rencontre le mien et que ma vie s’en retrouve toute perturbée. Je suis incapable de le détester. Il faut dire qu’il semble si fragile… qui sait ce qu’il se serait passé si je ne l’avais pas aidé ce jour là. Quand j’y repense, revoir ces garçons le brutaliser… je n’apprécie déjà pas ce genre de chose de base mais alors là, j’ai l’impression que c’est encore pire. J’ai beau essayé de me le sortir de l’esprit, impossible. A croire qu’il m’a totalement chamboulé.

Les rues sont quasiment désertes à cette heure ci, en dehors de quelques bancs occupés par des sans abri. J’évite souvent de poser le regard sur eux, ça me fait de la peine bien sûr mais je ne peux pas grand chose pour eux. Malgré ma situation, je suis loin d’être assez riche pour aider tous les pauvres que je croise dans la rue. Pourtant mon regard ne peut s’empêcher de se poser sur une jeune femme, visiblement une sans abri. Peut être que c’est un peu vieux jeu de penser ça mais je trouve ça pire encore quand ce sont des femmes qui sont à la rue. Non pas qu’elles soient incapables de se défendre, tout dépend de leur caractère j’imagine. Mais je me doute que ça ne doit pas être facile. Je ne me rend compte que je me suis arrêté que lorsque la jeune femme ouvre les yeux, son regard croisant le mien. Elle me semble vaguement familière… serait-ce une patiente? Non, je m’en souviendrais même si je suis quand même un bon nombre de personnes. Je me décide à prendre la parole, un peu gêné.

-Excusez moi, je ne voulais pas vous réveiller.

A moins qu’elle ne dormait pas vraiment, dormir dans ce genre de condition ne doit pas vraiment être facile. Je ne pense pas que j’en serai capable.

Peut être tout à la fois.