Reika frotte ses mains l'une contre l'autre, soufflant doucement dessus alors qu'elle avance vers son petit appartement. La température avait drastiquement chutée ces derniers jours et le chemin du retour était plus compliqué pour Reika. Elle ne voulait pas prendre sa moto par ce temps, trop effrayée à l'idée de créer des problèmes mécaniques à cause du froid. Au vue du prix de son bolide : elle allait éviter. Alors elle marchait d'un pas rapide dans Osaka, se réchauffant comme elle pouvait, émitouflée dans un gros manteau, une grosse écharpe autour du coup et coiffée de nattes pour pouvoir enfoncer un bonnet sur son crâne. Malheureusement, la métisse n'avait pas pensé aux gants. Et là voilà à souffler sur ses mains rouges et frigorifiées, traversant le parc, sans plus regarder où elle va. Un pas un trop rapide, des plaques de verglas et s'en était finit.

Dans la panique, la tatoueuse se rattrape à la première chose - personne ? - qu'elle peut, alors qu'elle glisse. Tant bien que mal, elle tente de regagner son équilibre, criant, comme si sa voix allait changer quelque chose aux lois de la physique. Mais rien à faire. La voilà, bras et jambes emmêlées, avec une parfaite inconnue, à même le sol. Silence, un regard vers le ciel, un lourd soupir, avant qu'elle ne s'asseye sur le sol, priant pour être tombé sur une personne sympathique.

« Mon dieu, je suis vraiment, vraiment désolée de vous avoir entraîner dans ma... MON DIEU VOS TATOUAGES SONT TROP BEAUX ?! »

Ça partait bien. Reika était à deux doigts de s'excuser correctement et de continuer sa route. Mais voilà, l'éducatrice avait aperçu la peau encrée de sa comparse de malchance, alors qu'elle relevait les yeux vers elle. Et maintenant, elle trépignait sur le sol, voulant regarder un peu plus les dessins sur la peau de nacre, se mordant les lèvres pour ne pas hurler de joie de voir de si belles œuvres, et pourtant, elle le sentait, tant étaient encore cachés par les couches de vêtements.

Les mains meurtries par des engelures, c’est la même à chaque hiver. Plaques rouges (parfois douloureuses) sur les phalanges. Hypersensibilité au froid, chaque année t’es persuadée qu’tu tiendras pas la saison hivernale. A fleur de peau, tu voudrais être de ces créatures qui hibernent jusqu’aux premières chaleurs. En plus de ne pas l’être, tu es accompagnée d’un canidé qui lui non plus ne fait pas partie de ces espèces-là. Sauf exception, il n’y a qu’pour lui qu’tu sors dehors. Pas d’boulot, pas d’domicile fixe, quand les premières gelées tombent, tu trouves toujours un endroit où squatter. T’as déjà connu la rue à la tombée d’la neige, on ne t’y verra plus sur l’macadam à trembler sous les bas degrés. A trembler d’effroi sur l’pavé, parce que c’est pas la faim qui tue c’est l’froid. 

Une fois, pas deux. On ne t’y reprendra pas. Là actuellement, c’est une de tes plus proches amies qui partage son toit avec toi; c’est d’ailleurs elle qui garde ton animal de compagnie. Exception: c’pas pour lui qu’t’es dehors. Doigts endoloris même pas gantés. T’as juste un long manteau noir, pas de bonnet, pas d’écharpe, le cou apparent. Chaque année tu te dis qu’il faudrait penser à se protéger, chaque année tu remets à la suivante. Bottines à talons fourrées, au moins les pieds sont protégés. 
S’protéger de quoi ? Un cri, de ta part aussi. Une chute de deux corps, l’un qui en emporte un autre, le tien. Paume contre le sol, frissons. Le rêve d’une douche chaude. « C’est rien. » Tu soupires bruyamment, regard noir, t’es pas enervée contre elle; colère face à l’hiver. Tu comprends pas pourquoi elle se lève pas, t’es déjà debout sur tes deux jambes alors qu’elle, elle te parle de tes tatouages. T’es déconcertée. Sans réfléchir tu lâches en regardant l’encre indélébile sur tes mains. « Tu préfères pas parler au chaud ? Enfin, vous. » Certes, t’avais un truc à faire mais là, tu t’sens pas de discuter sur une plaque de verglas alors qu’au fond tu sais  même pas si elle veut discuter.

Reika avait ce côté si impulsif qui faisait son charme. Où qui faisaient qu'on la détestait. C'était pour ça qu'elle était là, le cul sur une plaque de verglas, à s'extasier sur un bout de peau encrée qu'elle avait entraperçue. Des étoiles pleins les yeux, à s'extasier à ne plus savoir quoi faire. Heureusement, la jeune femme reprend pied avec la réalité et elle a la décence de paraître gênée. Au moins un peu. Et alors que la belle inconnue la toise, l'adoptée se relève d'un bond joyeux, sautillant presque de joie face à la proposition.

« Tutoie moi ! Et ce serait avec plaisir plaisir, si cela ne vous gêne pas ? Je vous offre même les consommations ! »

La tatoueuse ne pouvait s'en empêcher, complètement fascinée par les dessins encrées dans la peau de la belle inconnue. Elle a l'air d'une enfant, excitée comme une puce, mais il y a cet amour incommensurable qu'elle a pour son art, sa volonté d'en apprendre toujours plus. Reika n'a rien d'une introvertie, alors elle tire celle dont elle n'a rien vu, si ce n'est un peu sa part la plus privé à travers les dessins qui ornent sont corps, pour se mettre au chaud dans un des kiosques du parc. Ils ont été installés pour les fêtes de fins d'années et des boissons chaudes y sont distribuées. Tout pour apprendre à connaître un peu plus l'inconnue en face d'elle, dont la tatoueuse n'arrive pas à lâcher la peau des yeux.

C’que l’hiver te change; dans une toute autre saison, dans un tout autre moment d’la journée tu n’aurais pas eu la même réaction. Voilà que le froid te pousse à inviter une inconnue à boire une boisson chaude. Inconnue qui juste avant ta proposition glissait et te renversais sur le sol verglaçant, glaçant. Tu te dis qu’il n’y a rien qui va; ni sa réaction ni la tienne. 

D’abord la tienne, elle est loin d’être la première à te parler de tes tatouages; est-ce que tu as envie une enième fois de dire que tu n’as pas envie de les expliquer ? De dire que tu n’es pas une yakuza, que tu n’en fréquente pas. De dire et de redire qu’tu t’en fou de vieillir avec ces marques indélébiles sur la peau. De rappeler qu’il faut arrêter l’hypocrisie, les personnages âgées c’est à peine si on les regarde. Les ainés, qui se soucient d’eux ? Qui se souciera de tes tatouages ? Et surtout, est-ce que tu seras encore sur cette terre à cet âge là ? 

Ensuite la sienne; une brise d’euphorie tu sens souffler. Des pupilles qui illuminent le ciel gris, faut avouer qu’un sourire se dessine sur tes lèvres plus tu l’observes et plus il grandit. Il y a quelque chose de différent qui fait que tu ne regrettes pas d’avoir parlé une fois de plus sans réfléchir. Un rire silencieux et un signe de la tête qui veut tout dire, tu acceptes et tu te laisses entrainer vers un des kiosques du parc. Sa familiarité n’a rien pour te déplaire; au contraire. Quand elle commande, tu demandes la même chose. « C’est pas l’été, il y a pas grand chose à voir. » Qu’tu dis en parlant de tes tatouages sur le ton de la plaisanterie; il n’y a que tes mains apparentes, ton cou et les deux derniers sous tes sourcils. La rose sur ta tempe cachée par ta sombre chevelure. Je peux te demander c’que tu as avec les tatouages ? La question est franche mais sans jugement; juste ta façon de parler devant son regard qui n’veut pas lâcher les dessins tatoués. « T’en as ? Tu rêves peut être d’en avoir ? Tu veux des conseils ? » Tu as d’autres questions mais les boissons sont là et te coupent dans tes interrogations.
Que de suppositions à côté de la vérité.

Reika était atypique dans sa façon d'envisager et voir le mobnde. Elle le savait. Mais elle aimait lier sa vie avec des gens dont elle ne connaissait rien, même si ce n'était que pour un instant. La jeune tatoueuse n'avait jamais crût au destin. Parce que si ça avait été le cas, alors elle était certaine qu'il était un bel enculé. Mais parfois, elle remerçiait les astres de s'aligner suffisament pour lui permettre de vivre ses moments en dehors du temps. Une simple chute faisait miroiter ses yeux de cette lumière curieuse qui l'animait temps, tirant une jeune femme dont elle ne connaissait rien vers un kiosque pour parler tatouage. Rapide, l'éducatrice paye les boissons, s'asseyant face à l'inconnue aux dessins encrées, admirant les arabesques qui se dessine.

Doux sourire au commentaire de son vis-à-vis, Reika reprend aussitôt la parole, incapable de rester silencieuse, ni même vraiment statique, à cause de l'excitation. « Même si ce n'est pas l'été, j'en vois déjà suffisamment pour savoir que le reste doit être tout aussi beau. » Peut-être qu'elle pourrait demander à ce qu'elles se revoient pour approfondir son étude ? Hum, elle devrait peut-être se présenter avant ça, ce que ne manque pas de lui rappeler la belle inconnue en lui demandant son intérêt pour le domaine. Avec un rire gêné la blonde passe la main dans ses cheveux, glissant une mèche derrière ses cheveux. « C'est vrai que je ne me suis pas présentée. Je m'appelle Reika mais je tatoue depuis quelques années sous le nom de Proserpina. » Une de ses plus grandes fiertés, avec celle qui lui procurait un de ses mômes qui sortaient grandis du centre. « Et oui, j'en ai, mais pas d'aussi belles pièces que les tiennes, ni aussi voyante. C'est plus minimaliste, à cause de mon autre emploi. Si je pouvais vivre à 100% du tatouage, je me laisserais tenté par des œuvres comme celles que tu as, je pense. » La jeune femme réfléchit à voix haute, sans pouvoir s'en empêcher. « Mais je divague ! En réalité, je voulais plus savoir qui t'as fait ces œuvres d'art ! Parce que c'est du travail de maître. Je peux les regarder de plus prêt ? » Incommensurable curieuse, elle ne changerait pas de sitôt.

Se sentir soudainement hors du temps, hors de la réalité de ta vie, de l’hiver qui en rien ne t’endurcit. Deux doux sourires qui se font face loin des froideurs qu’offre cette saison. Alors voilà qu’doucement tu te laisses aller à des questions qu’habituellement t’aurait pas forcément posées. Il y a pas qu’dans les sourires qu’il y a de la douceur, il y a aussi ton visage qu’est moins fermé qu’au moment d’la chute. Faut dire que tu peux pas rester de glace devant son excitation de gosse en voyant les marques d’art sur ton corps. Fine observatrice, c’est toujours au premier regard qu’tu fais un avis sur la personne; et quoi qu’on puisse en dire: non tu ne te trompes pas.

Alors aujourd’hui tu veux bien t’laisser aller à parler un peu de toi à une inconnue. Jeune femme étrangère à ta vie qui (tu le sens) par ce qu’elle dégage te réchauffera un peu le palpitant aujourd’hui, comme la boisson chaude qui vous réunit ici. « Si c’était l’été, tu n’aurais pas eu besoin de me renverser pour me parler, juste me dire que mes tatouages sont beaux pour m’aborder. Je plaisante. » Éclats de rires, très certainement: cette blague ne fera rire que toi. « Je te confirme, ils sont tous beaux. » Pas l’genre de personne à se vanter, plus de celles qui passent leur temps à se dénigrer alors que le faciès déborde de confiance et de méfiance. Sauf qu’ici c’est pas toi qu’tu complimentes c’est l’artiste à qui tu offres une seconde existence à travers les pores de ta peau. « Oh, tu es une tatoueuse, métier rare en pays nippon, je ne peux qu’apprécier ton  courage. » Rares sont aussi les compliments qui s’échappent de tes lippes colorées. « J’peux pas t’en parler, désolée. En fait il n'est pas japonais et il cache son taff  alors j’évite de trop en dire. » Tu voudrais partager parce que tu es persuadée que Proserpina, il ne pourrait que l’apprécier. « Si tu veux, je peux te mettre en contact avec lui ? » Comme une façon de te rattraper. « Oui, tu peux. » Le consentement donné, tu n’sais même pas par où commencer.
Épiderme marqué à vie, ce n’est plus le nombre de lignes qui décorent la carcasse que tu comptes mais l’étendue sans encre.