Hana chantonnait tranquillement, se déhanchant très légèrement au rythme de Water Dance des KAT-TUN. Quand elle avait le droit de choisir la musique qui faisait le fond sonore du magasin, il est vrai qu’elle avait un peu tendance à se lâcher. Et avait très vite cessé d’être embarrassée parce qu’un.e client.e la surprenait en train de chanter très fort du Buono! ou ce fameux Ponponpon – elle avait probablement été maudite à cause de cette chanson, mais passons. Tout ça pour dire que la jeune fleuriste profitait d’être momentanément seule dans la boutique et de pas avoir eu de client.e depuis quelques temps pour s’amuser toute seule. Ce n’était pas non plus comme si elle ne faisait rien depuis tout à l’heure, au contraire. La semaine arrivait sur la fin et la Coréenne s’affairait dans tous les sens, profitant du calme pour ranger, nettoyer, trier, analyser et chanter, évidemment. Son regard et la moitié de son cerveau étaient occupés à vérifier les tiges des roses et l’état des fleurs pendant que l’autre moitié surveillait le carillon au-dessus de la porte tout en chantant. Ce fut précisément au moment où elle remettait les roses dans leur eau que la porte s’ouvrir, lançant les réflexes de la jeune femme : sourire, croiser le regard de la personne qui entrait et saluer. « Bienvenue à Pigments of Paradise ! Je peux vous conseiller ? » Il lui fallut quelques secondes de regard intense – mais très professionnel – pour que le cerveau de Hana quitte définitivement KAT-TUN et leur One Drop et reconnaisse enfin la personne. « Oh ! Vous êtes la jeune femme de la dernière fois ! » Très clair, c’est sûr, mais la Coréenne savait qu’elle avait bien replacée la jeune femme. Avec un peu de chance, leur rencontre avait été assez mémorable pour qu’elle n’ait pas besoin de tout rappeler… Le sourire de la fleuriste changea, passant d’une salutation polie et détachée à une taquinerie : « Alors, vous êtes là pour un nouveau larcin ? Je vous préviens, on n’a pas de monnaie et ce n’est clairement pas voler un bouquet qui va vous rendre riche. » Boutade, bien entendu. Ce gros porc de la dernière fois n’était qu’un vieil homme sexiste et persuadé que les femmes ont forcément tort.

Aujourd'hui tu t'appelles Nana. Tu viens d'le décider là, à chaque transaction un nouveau prénom. Ce que tu es venue vendre: un paquet plein de bâtons de nicotine venu d’un pays occidental. Caché dans des bottes compensées comme on cacherait un couteau ou un spray au poivre; car on ne sait jamais.
Le voleur qu'tu dois remercier pour ces cigarettes a beaucoup parlé d'son butin. Tellement parlé que tes tympans ont sifflé, comme un appel à se faire voler. Faut dire qu’ça fait un moment qu’un client te demande de dégoter ça; pas difficile sur la provenance, faut juste pas mal de kilomètres au compteur du paquet en carton. blablabla; l'autre gars il était fier d'avoir dérobé ces paquets à un pauvre gamin (qu'était tombé dessus en fouinant dans le tiroir du paternel). Un petit jeune qui voulait juste essayer l'addiction légale; un brin exotique. Un gosse qui a pas mérité de se faire casser l'nez pour si peu alors toi tu l'as pointé le bout de ton nez.

Tel est prit qui croyait prendre.

Puis Anzu, tu as partagé une cigarette avec celui que t'appelles enfant même si tu lui as demandé son prénom tout en lui disant que c'est mal de fumer parce qu'après les mégots finissent par terre et mettent jusqu'à 12 ans à se dégrader avant de disparaître.
T'as donné rendez-vous à Osaka South; pour satisfaire la demande du client. Lieu de rencontre toujours aléatoire. Faut dire que t'envoies un sms toujours au dernier moment. Nana, des tatouages, à l’entrée du downground place. Tu n’rentres pas dans les détails; le comment tu arrives à tes fins est un secret aussi bien gardé que ta véritable identité.

(...)

Sauf que Nana, t'es trop en avance. Tu t’arrêtes net. Les habitudes c’est d’être plus souvent en retard qu’en avance. Soupir, zéro envie de poireauter dans le froid. Les poches vides, tu regardes autour de toi; trouver une idée pour faire passer le temps. Un regard à gauche, à droite mais surtout un regard qui s’arrête sur une vitrine; tu traverses la rue sans regarder et tu rentres dans ce lieu où tes yeux se sont posés. Pigments of Paradise.
L'accueil est agréable, il l’est encore plus lorsque la mémoire revient. Tu te souviens de tout. Tu éclates de rire, bonjour, tu t’avances et salue en inclinant la tête. Une politesse rare venant de toi; puis un rire qui se fait un peu nerveux lorsqu’elle sort une plaisanterie concernant tes méfaits. Tu détournes le regard, comme une enfant prise sur le fait; les mains dans le sac. « Ah bon ? Je ne vous apprend rien pourtant en vous disant qu’il y a des fleurs qui coûtent un bras. » Qu’tu dis en lâchant des coups d'œil par ci par là; boutade également. « Alors comme ça, tu, enfin vous êtes fleuriste ? Joli métier. » Dis-tu alors que tes pupilles continuent à se balader de fleurs en fleurs.

Il y a des rencontres qui marquent et d’autres non. Des rencontres où on saisit sur le coup ou après, qu’elles ont eu un impact sur notre vie et où cette personne jouera un rôle dans notre vie et d’autres où on sait très bien qu’on ne reverra plus jamais la personne. Pour le coup, si Hana avait été marquée par la rencontre avec la jeune femme face à elle, elle ne s’imaginait pas la revoir un jour. Ou du moins certainement pas aussi vite. Cela ne voulait pas dire qu’elle n’était pas contente de la revoir, au contraire. C’est juste qu’elle ne l’imaginait pas. Musique baissée, concentration fixée sur sa visiteuse, la Coréenne garda le sourire, même s’il était devenu plus taquin. La réponse de sa visiteuse – cliente ? – la fit rire alors qu’elle arrangeait son plan de travail. « C’est pas faux, c’est pas faux ! Mais vous n’en trouverez pas beaucoup. » Surtout que la plupart était gardée à l’abri, dans la remise. Généralement, les fleurs chères étaient aussi assez fragiles et n’incitaient donc pas à les laisser à l’avant, au soleil et dans un environnement moins bien contrôlé et maîtrisé. Par réflexe, Hana resserra le nœud qui tenait son tablier, s’approchant de la jeune femme. « Que puis-je faire pour vous, en tout cas ? Vous cherchez plutôt une plante d’intérieur, une plante à mettre au jardin ou un bouquet ? » Ils avaient aussi quelques accessoires, surtout des pots, mais il était assez rare que des gens entrent ici pour acheter un pot de fleurs vide… « Peut-être des œillets ? Il nous reste quelques amaryllis aussi. » Jetant un coup d’œil à l’extérieur, la Coréenne sourit au soleil qui pointait le bout de ses rayons entre les nuages. « Et aujourd’hui est un jour idéal pour du pissenlit ! »

Toujours à l'heure quand il s'agit du commerce, c'est pas que tu veuilles être plus professionnelle que cela, c'est juste que t'aimes quand c'est vite fait bien fait; comme on dit. Pas de longs débats, juste te débarrasser de la marchandise. Loin de l’illégalité, tu ferais une piètre commerçante. T'aimes pas t'attarder, parce que moins t'en dis mieux c'est pour ta sécurité. Enfin, tu n’es pas tout à fait toujours à l’heure puisque là t’es en avance et pas qu’un peu. Alors plutôt qu’de trainer, d’avoir l’air suspecte à tourner en rond avec ces températures (délit de faciès: t’as clairement pas l’air d’une touriste perdue) tu rentres te réchauffer en compagnie de plantes.

Belles fleurs dont tu ne vois même pas les couleurs, tu en aimes la pousse et les formes. Une préférence pour les plantes qui s’orientent vers le soleil à la croissance. En tête l’idée de laisser les pupilles se poser là où elles sont attirées; peut-être en acheter une ou même un bouquet pour ta mère. Pensée fugitive qui prend la fuite aussi vite; la compagnie sera celle d’Hana et non celle du silence des bourgeons.

Etrange sentiment de déjà vu, d’être déjà venue alors qu’il n’en est rien. Souvenirs d’une rencontre comme si c’était hier, comme si quelque chose s’était déjà tissé. Pas de mauvaises impressions, tu te laisses même aller à la plaisanterie sur tes méfaits. Ô pourtant comme tu n’aimes pas en parler; un secret est fait pour rester secret.
Le sujet change; tant mieux, partout des oreilles traînent.
Des coups d’oeils ici et là avant de répondre; sans peur. « Je n’vois pas les couleurs. » Sans honte. Ne pas vouloir du color rush. Se mettre à l’écart de la société soit même. « J’n'saurais faire un choix parmi les trois. Pas la cliente la plus idéale n’est-ce pas ? » Rire cristallin et iris évasifs. « Je voudrais une plante d’intérieur, à offrir. Si là on devait vous en offrir une, se s’rait laquelle ? » Sûrement pas la plus courante des interrogations.

Hana n’était pas forcément une grande fan d’imprévus, même si elle ne pouvait s’empêcher de rêver au destin, à ces notions dignes de contes de fées, de ces histoires qu’on lui répétait en boucle petite dans l’espoir qu’elle change, qu’elle devienne plus docile. Qu’ils aient réussi ou non, la Coréenne ne pouvait nier le fait qu’elle était contente de revoir cette jeune femme, de découvrir que peut-être elles deviendraient un élément fixe dans la vie de chacune. Par réflexe et pour lancer la conversation, Hana proposa des fleurs, déjà prête – et assez impatiente – à faire un bouquet pour la Japonaise. Sa remarque cependant, l’arrêta net dans son élan. Couleurs. Elle n’y pensait pas assez, tout simplement parce qu’il était extrêmement rare que ceux qui n’avaient pas vécu leur color rush entrent dans un magasin de fleurs. Si la Coréenne pouvait le comprendre, elle ne pouvait s’empêcher de trouver ça triste. Les fleurs pouvaient tellement apporter… « Les clients parfaits n’existent que dans l’imagination des vendeurs, malheureusement ! » Un sourire étira les lèvres de la fleuriste, celle-ci espérant ainsi mettre de côte sa petite bourde et empêcher un malaise de s’installer. La question qui lui fut offerte laissa la jeune femme pensive, ses yeux observant instinctivement ce qu’ils avaient à offrir, ces étagères remplies de différentes plantes. Quelle plante voudrait-elle, là tout de suite… ? Une idée lui vint alors que son regard se posait sur les plantes grasses. « Je reviens. » Ils n’avaient pas tout mis devant, par manque de place, mais surtout parce que certaines plantes avaient eu besoin d’attention récemment et n’avaient pas encore été rangées. Elles étaient là, comme prévu, dans la remise. Une rangée de petits pots couleur terre dans une bassine basse avec encore un fond d’eau. La main de Hana n’hésita pas réellement, saisissant immédiatement le pot qu’elle savait idéal. Sa main libre placée en-dessous pour éviter qu’il n’y ait de l’eau partout, la fleuriste retourna à sa cliente, posant le petit pot sur sa table de travail. « Un petit cactus ! Ils ont fleuri récemment, j’avoue que j’hésitais à m’en prendre un pour moi… » Ses doigts caressèrent les pétales de la petite fleur, posée délicatement sur le haut de la tour qu’était le cactus. « Contrairement aux idées reçues, il peut être assez simple de tuer un cactus, si on lui donne trop d’eau, mais on peut facilement oublier de les arroser. » Leurs regards se croisèrent alors que Hana finissait son explication : « Et la fleur est blanche, c’est la seule du lot. Pas besoin de voir les couleurs ou non, avec elle. »