Durant ces périodes, la nuit prend des tournures terrifiantes. Elle n'offre aucune paix aux gens qui s'aventurent dehors et se fichent des malheureux qui osent braver les interdictions. Les ombres sont meurtrières et on ne fait plus confiance en personne. Ruby, sur le pas de la porte qui donne sur un bar qui s'autorise les excès de fermer bien plus tard que recommander - on les laisse faire car on a peur des violences, écrase sa cigarette avant de s'en aller.

Elle n'aura pas les joies d'être raccompagnée en voiture, parce que le ton est monté si vite, qu'il est parti en la laissant là. Dans un silence mortel, elle capte rapidement les pas en écho des siens et très vite, elle regrette ses propres colères. Proie facile quand il n'y a aucun regard, Ruby se déteste d'exister comme elle est actuellement mais ne veut pas paraître comme si sa vie était une faute en elle-même. Alors elle prétend l'innocence et la naïveté de rien appréhender quand ses doigts tapent trop vite sur son téléphone, elle accélère le bas.
Quand elle tourne,
il tourne.
Elle change de trottoir,
il fait de même.

Elle a horreur de poser son regard sur les lumières des éclairages nocturnes et d'y voir dessiner son ombre qui dévore un peu plus les espaces pour s'approcher. Soudainement, elle n'a plus vraiment confiance en lui, et elle imagine mal un monde où il arriverait assez vite. Ruby se dit qu'il n'y a pas de mal non plus à mourir maintenant puisqu'elle serait morte en étant jolie. Pas heureuse, mais jolie.

— Can't he be faster.. elle marmonne pour soi-même, accusant son propre sauveur en son absence.

Toi, à t’en faire étincelante dans ces pénombres,
toi, à en frapper inlassablement ce cœur meurtri.  

Tes traits à ne quitter sa conscience pourtant si brisée. Souvenir de ton touché maladroit à en marquer l’épiderme auquel tu manques. A n’en parvenir à t’en oublier, alors qu’il aurait aimé n’en garder qu'affection glaciale à ton égard. Volonté de te détester se muant plus encore en ces sentiments contestables. A s’en frustrer de te savoir à ses côtés, quand tu pourrais être avec lui.  

Envie détestable de t’avoir,
envie lamentable de te voir.

Tu ne le quittes pas. Et quand tu en envoies ces messages de détresse, il est là pour te lire, pour t’en assurer qu’il sera auprès de toi aussi vite qu’il le peut. Parce qu’il ne parvient pas à te laisser derrière lui, parce qu’il t’en a fait la promesse, surtout. Temps qu’il refuse de perdre plus, de peur que tu lui en sois arrachée, il vient en fouler ce macadam sur lequel tu t’es toi-même égarée, pour enfin te retrouver. Iris cinglants qui s’en posent en premier sur ta silhouette avant de remonter jusqu’à cet invité nocturne importun.

Ce soir, je ferai de la lune tienne,
ce soir, j’en tuerai tes songes.

Corps qui s’écroule sur le sol dans un silence funeste, à t’en préserver de sa violence pour que tu n’en connaisses plus sa noirceur. “I’m here.” Main qui vient t’en attraper le poignet pour que tu en sois enfin face à lui. Regard qui en détaille ton si beau visage. “Are you fine ?” Et ses bras viennent en conquérir tes contours, pour ne te perdre encore une fois.

Elle n'a qu'entendu le bruit sourd, la lourdeur d'un corps contre le bitume trop froid et encore humide des temps chauds de la saison. Ruby avait déjà en tête les manières peu conventionnelles qu'il avait appris et de toutes manières, elle n'avait pas autant insisté pour qu'il lui vienne en aide avec de simples mots. Elle ne s'est pas retournée immédiatement et ne désirait même pas baisser les yeux vers la masse maintenant au sol.

qu'est-ce qu'il y avait de si précieux,
dans un désir qui ne laisse qu'une amère solitude ?

Elle n'aura pas eu elle temps d'écrire son testament, même pas le temps de songer à comment serait une vie si on lui avait pris la sienne sans qu'elle n'ait réellement eu la joie de goûter à une pauvre liberté. Alors quand ses yeux rencontrent enfin les siens, elle la trouve, sa pauvre liberté. Elle n'a aucun devoir, et comme les deux âmes voient en milles couleurs, elle n'a aucune responsabilité qu'il peut lui imposer. Ruby n'a pas besoin d'avoir peur ou d'être en constante alerte avec lui. Dans ses bras, elle hausse les épaules.

— Well, I know. Since you're here I don't have to die while being young and pretty. elle pourrait sagement attendre d'avoir les traits tirés par la vie. — Thanks. soufflé plus doucement. Ses doigts glissent presque sagement dans son dos. — I'm fine now. elle en oublierait presque les mauvaises humeurs de son manager et les frayeurs d'il y a quelques secondes.

l'extase se transforme toujours
en un vide immense

Doucement, elle se détache, tourne les talons et prétend que l'intrus n'est même pas sur le trottoir. Elle reste silencieuse, pesant le pour et le contre si elle avait envie d'une cigarette après tout ça mais préfère se raviser.

— You're gonna bring me back home right ? elle demande comme évidence. — You can stay tonight too. Ruby l'a soufflé comme si elle n'était pas celle qui le demandait, comme si elle lui accordait une fleur. — You're coming ? I don't want to have some police officers messing with us ! et elle emboîte directement le pas, finissant par craquer: cigarette au coin des lèvres quand elle s'acharne sur son briquet pour l'allumer.