Les songes la torturent depuis trop de temps, et Dieu sait qu'elle a l'habitude de beaucoup penser, Rain. Il y a cette silhouette qu'elle ne parvient pas à effacer de cet esprit déjà trop chargé, celle de cet homme qu'elle a croisé au mauvais endroit, au mauvais moment. Et sûrement ne se serait-elle pas tant alarmée si elle ne l'avait pas déjà aperçu aux côtés de son paternel ; c'est par hasard qu'elle l'avait ensuite surpris dans des conspirations peu recommandables. La puce à l'oreille, l'aînée Im s'était entêtée à vouloir enquêter, car demander directement à son père n'était pas une option. La voilà désormais face à cette ombre, plantée dans son assise, les bras croisés sur sa poitrine tandis que son regard sévère toise la figure du brun immobilisé. La paranoïa constante de son père à son sujet l'a mené à lui assigner une garde de plusieurs hommes, quatre au total. Deux d'entre eux se trouvent là, debout derrière elle, tandis que les deux autres s'occupent de retenir le garçon. Capturé d'une manière que l'on n'associerait pas à une fille d'ambassadeur, la Im a pourtant plus d'un tour dans son sac, surtout lorsqu'il s'agit de protéger sa famille, un trait tout droit hérité de son père lui-même.

Un silence de glace fige la scène si peu conventionnelle. Réfugiés au calme dans l'un des appartements privés de l'ambassadeur, ils se font face depuis plus d'une minute, sans qu'un son ne sorte de leur gorge. Rain s'humecte les lèvres avant de s'avancer sur sa chaise, posant ses coudes sur la table en se redressant pour gagner un peu plus en prestance. « Je ne vais pas passer par quatre chemins, je pense que la situation n'est agréable ni pour toi, ni pour moi. » Commence-t-elle avec audace, plissant ses yeux poignards, la voix posée, mais cassante. La brune n'a jamais été la personne la plus attentionnée dans sa manière de parler, ni dans sa manière d'être d'ailleurs, Jian l'a sûrement compris depuis un moment, mais elle a appris à s'affirmer en tant que femme dans une famille et un monde où le patriarcat règnes encore bien trop fermement. Elle tourne alors son regard vers les gardes qui retiennent toujours le jeune homme. « Je pense que ça va maintenant, vous pouvez le lâcher... » Soupire-t-elle avant de reporter à nouveau son attention sur lui. « Tu ne m'en voudras pas pour mes... Méthodes, j'espère. Je ne savais pas trop comment m'y prendre autrement. » Peut-être qu'elle aurait pu simplement se servir de son téléphone pour lui donner rendez-vous, mais son père lui a toujours appris à marquer les esprits, d'une manière ou d'une autre, et rien ne lui garantissait qu'il aurait accepté sagement de la rencontrer ici, sans motif.

A danser avec les démons, il avait parfaitement conscience des risques qu’il encourait. De ces contrats fatals, il pactisait avec de nombreuses âmes entachées, se salissant les mains pour leurs désirs funestes. De son perfectionnisme, les lèvres se passaient son patronyme à la sinistre réputation, jusqu’à remonter aux plus grands de cette cité où les cris de détresse s’étouffaient dans les ruelles étroites. Hommes envoyés jusqu’à son domicile pour le commencement d’un partenariat macabre au service de cet homme politique au pouvoir à double tranchant. Tel le fou sur l’échiquier abattant ses ennemis et se moquant de n’être qu’un pion entre les mains de celui qui tirait les ficelles. Utilisant ses armes comme il le souhaitait, il assumait entièrement cette position dans l’entourage de l’ambassadeur en provenance de ses terres natales, se servant de cette alliance pour poursuivre sa vengeance envers ceux qui lui avaient tout arraché.  

Pourtant conseillé sur de sérieuses menaces de ne pas s’approcher de la prunelle de ses yeux, c’était elle qui était venue à lui d’une manière des plus remarquables. Il avait tout fait pour l’éviter. Il avait tout fait pour ne jamais exister au travers de ses yeux. Lui qui se pensait toujours si discret, avait échoué face à la brune aux iris perçants, et il devait le reconnaître. Dans un calme presque déconcertant au vu de la situation, il restait assis, imperturbable, face à l’héritière d’un empire qui lui était encore inconnu. Ses gardes du corps autour de lui, son regard audacieux le toisant, rien n’était à son avantage, pris au piège dans cette prison dorée, et loin de tous regards indiscrets. L’ambiance hostile vint lui resserrer la gorge, sachant bien qu’un mot de trop pouvait tout faire basculer.

Le libérant avant tout de ce silence pesant, la descendante des Im vint prononcer les premiers mots de cette confrontation qui se serait voulue interdite. Ses pupilles dénuées de vie la fixant sur son trône, il resta de marbre face à cette démonstration d’autorité. Un mot de trop et c’était fini. Repensant sans cesse au message clair du paternel de ne surtout pas rentrer en contact avec ne serait-ce qu’une de ses filles, il ne flancha pas un instant, gardant son sang-froid mis à l’épreuve lors de cette scène qui pourrait lui coûter la vie. Lâché par ses deux chiens de garde à présent sur la demande de la princesse en attente de son couronnement, il récupérait peu à peu son aisance, sans bien évidemment omettre le détail le plus important : Ne jamais rien lui révéler, quitte à jouer à l’imbécile des plus ignorants.  « J’ai connu plus charmant comme technique d’approche, mais je suppose qu’on a chacun notre manière de faire. » Lança-t-il, ironique, alors qu’un sourire narquois se dessinait sur ses lèvres. Plutôt en rire qu’en pleurer. Dans l’incapacité de fuir, il opta pour une approche plus désinvolte, quitte à en devenir insolant, malgré tout le respect qu’il avait pour elle. « J’espère que vous avez une raison valable de m’avoir emmené ici, en espérant sincèrement que ce ne sera pas une perte de temps pour moi, mais surtout pour vous. » Il provoquait sans aucun remord, mais la confrontation avec la fille en manque de réponse était bien plus envisageable que celle d’un père prêt à tout pour protéger l’innocence de sa descendance.  

Les secrets gardés, tenus si loin des concernés, Rain n'est qu'innocence à qui on destine le monde, cette pomme pourrie infestée de parasites, mais qui a gardé de sa brillance à l'extérieur. Rain, elle est sur le point de plonger sa main à l'aveugle dans un bocal rempli d'insectes, mais on préfère la tenir dans l'ignorance pour le moment, la jugeant trop fragile pour la confronter aux réalités. Elle seule ne croit pas à sa faiblesse, car elle est bien loin de comprendre les névroses que son esprit impose à son corps. Surprotégée, se pensant invincible alors qu'à chaque coin de rue, le canon d'un flingue est pointé sur son crâne, Rain plonge lentement dans les abysses d'une société macabre et cynique, et tout ça, sans rien voir. Elle pense avoir mis la main sur un vilain garçon, elle n'imagine par le boulet qu'il traîne derrière lui, ce fardeau si lourd, le poids de l'âme des victimes de sa vengeance. Il n'y a que froideur dans ce regard ténèbres, froideur qu'elle partage ô que trop souvent. Ses doigts se crispent à l'entente des mots de l'insolent, pourtant, elle ne perd pas son calme, car des filles Im, c'est elle la moins explosive.

« À toi de me le dire. » Lance-t-elle en réponse à ses provocations. S'il décide d'user de politesses, elle ne fera pas de même, persuadée d'avoir à faire à un gamin trop insouciant. « Nous nous sommes déjà rencontrés, n'est-ce pas ? » Car ce n'est pas la première fois que leur route se croise, et c'est spécifiquement pour ça qu'ils se font face. Un des gardes dépose un téléphone face au captif, le menton de la belle se redresse tandis qu'il découvre ce qui s'affiche. Elle aime jouer les policières, Rain, faire peser le poids de sa couronne sur ceux qui pensent passer au travers des mailles du filet. C'est ainsi qu'on l'a éduquée, c'est ce qu'on attend d'elle, une vigilance à toute épreuve, une capacité de réaction à la moindre anomalie, afin de ne jamais se faire surprendre par l'ennemi.

L'écran affiche un cliché de Jian qui pénètre dans des lieux peu recommandables, des lieux à la réputation controversée. Le doigt du garde vient faire défiler les images ; magouilles murmurées d'oreille en oreille, liasses échangées dans une discrétion remarquable, dommage pour eux, Rain a appris à tout observer, dans le moindre détail. « Je n'aime pas vraiment me mêler de la vie des autres. » Princesse lève le bras et claque des doigts. Un autre garde s'occupe de déposer le dossier de Jian sur la table. Rain s'en saisit d'une main de fer. « Je n'aime pas non plus fouiller dans les affaires de mon père. » Elle tourne doucement les pages du dossier, sans quitter le garçon des yeux. « Ça ne m'intéresse pas de savoir tous tes secrets. Tout le monde a des choses à cacher ici. » Elle la première. « Il y a une chose qui me turlupine néanmoins dans tout ça... » Elle se lève alors, et d'un geste sec, fait glisser le dossier jusqu'à lui, les prunelles toujours suspendues aux siennes « Pourquoi mon père a-t-il besoin de faire appel à un tueur à gages ? »

Princesse que l’on devait bercer dans une illusion afin de la préserver de la pénombre qui pourtant l’attendait. Innocence vulnérable qu’il devait épargner en jouant à l’ignorant afin d’en éviter le courroux d’un homme bien trop puissant pour l’être tapi dans l’ombre qu’il était. Jian avait la force et l’agilité que beaucoup pouvaient envier, mais il connaissait sa place. Toutefois, il était une arme pour son père, et non pour elle, alors il n’allait pas hésiter à lui proposer une valse, où mensonges mèneront la danse, afin de tenir la promesse de conserver l’héritière.  

Et qu’importe ce qu’elle tenterait de lui faire avouer, elle n’en finirait que plus perdue encore.

Toujours à poser de plus en plus de questions, elle sortait les crocs, dans une tranquillité bien trop ébranlable dans sa soif de réponses. Il la savait dépourvue de clarté et cette mise en scène, certainement bien trop exagérée selon lui, en était la preuve formelle. Ignorance que l’on voulait tenace, la descendante des Im était pourtant loin d’être la fille faible d’esprit que son patriarche aurait certainement espéré qu’elle soit en ce qui concerne son lien avec lui. Photos de transactions dévoilées devant ses yeux vides d’une quelconque lueur, il ne prit même pas la peine de lui offrir une réaction. Preuves insuffisantes dans la cité où les crimes étaient commis à la lumière du jour, il reposa son regard sur celle qui tenait inconsciemment à lui faire perdre la vie à cause de sa curiosité dérangeante.  

Accalmie de courte durée quand elle vint enfin lui montrer toute son imprudence face à celui dont elle connaissait apparemment le métier dangereux. Sa cellule devenait étroite, elle avait mis son nez dans les affaires d’un homme qui se savait capable de tout pour protéger ses prunelles, et qu’importe si c’était elle qui avait commis cet acte insensé, c’est bien lui qui en connaîtrait les conséquences. Elle accélérait le pas, rendant cette danse virevoltante nauséeuse, mais c’était à son tour de se l’accaparer afin de freiner son allure périlleuse. « Si tu n’aimes pas te mêler de la vie des autres, alors pourquoi le fais-tu ? » Politesses écartées, il devait la confronter à la réalité dans laquelle l’enfant capricieuse qu’elle avait toujours été ne pouvait pas tout savoir. « Si des choses te sont cachées, alors c’est qu’il y a une raison, Im Rain. »

Et tu lui mettras délicatement les mains devant les yeux afin qu’elle ne rencontre jamais le monstre que tu es.

Le voile s'affaisse un peu plus devant son minois qui conserve la fraîcheur de son innocence. Ô Rain, elle traîne au milieu de ce qu'elle méprise sans en être consciente, incapable de déceler les vérités qu'on s'efforce de lui cacher. Et si le monde la prend encore pour un bourgeon fragile, madame n'est pas du même avis, déterminée à percer les secrets de sa famille, à ne plus supportée d'être écartée pour son bien-être, les mensonges ont toujours été le fort des Im, elle en est la preuve vivante, car les orbes ne captent pas les prismes, et elle se trouve devant l'une des plus grandes menaces pour ceux qui sont comme elle. A trop agir dans l'ombre, père Im oublie qu'il a élevé ses filles pour qu'elle soient aussi intelligentes que lui.

Et pour esquiver l'interrogatoire, garçon lui renvoie ses questions, déjouant bien trop facilement les plans de celle qui n'a pas tant d'expérience dans ce genre de pratique. Le piéger et l'amener ici, d'accord, mais que peut-elle bien faire s'il décide de ne pas répondre ? Rain n'est pas violente, elle doit donc compter sur la bonne foi de Jian, mais au vu de sa profession, elle imagine bien que la coopération ne sera pas simple, voire impossible. Le coin de ses lèvres tressaille sous l'impatience, elle se rassoit en soupirant, croisant ses bras sur sa poitrine avant de répondre. « Je le fais quand je sens que cela pourrait atteindre la réputation de ma famille. Un truc que les gens comme vous ne pouvez pas comprendre. » Elle finit par en insulter les vérités, car Rain est bien trop arrogante, se plaçant elle et sa famille au-dessus du reste du monde, Jian n'est pour elle qu'une vermine au passe-temps douteux qu'elle se doit d'éloigner de la pointe de ses talons. « Ne me dicte pas ma conduite, je te prie. » Patience mise à l'épreuve, elle commence à grogner, les oreilles baissées. « Tu ferais mieux de coopérer si tu souhaites garder, je ne sais quelle place, tu as réussi à obtenir aux côtés de mon père. Toi et moi savons pertinemment de quoi il en retourne. » Elle sourit pour se donner confiance, et pourtant, tout ça n'est que mascarade, une mise en scène grotesque afin de mettre la main sur elle ne sait quoi, car elle est bien trop ignorante gamine, bien trop imprudente.

Et elle tentait, la souveraine, au milieu de cet abîme démentiel qui n'avait aucune pitié pour les ignorants, d’imposer sa couronne à la vue de tous, sans même se rendre compte que les fanfaronnades de ce genre pourraient lui causer sa perte. Mais l’oiseau de nuit, bien que tapi dans le chaos édifié de ses propres frénésies à s’en souiller un peu plus l'âme de sa noirceur, avait la volonté de préserver les plus fragiles quitte à en perdre son plumage ténèbres.  

Promesse de sa discrétion pouvant lui coûter la vie, puisque face aux grands de ce monde qui se jouaient des lois, il n’en devenait plus qu’un être dérisoire. Il était celui qui ôtait des vies, alors que la sienne était celle des plus misérables. Ironique position à en jouer imprudemment avec la mort, et quand bien même le dernier jour serait imminent, Jian, au nom de sa dignité, se jurait de ne jamais baisser les armes.  

Sourire s’étirant lorsqu'une certaine réputation fut mentionnée. Hautaine naïveté quand ce pourquoi elle se battait était ceux de son propre sang, et certainement pas le pion qui s’entachait les mains pour leur cupidité répugnante. “Pourquoi je coopérerais quand tu ne sais même pas vers où tu te diriges ?” Soufflant les vérités agaçantes à en espérer que l’héritière s’aperçoive du danger imminent qu’elle encourait. Et il était temps de rompre cette mascarade insolente. “Tu comprendras tout ceci en temps voulu.” Consigne sage, lui implorant sa patience. Il se refusait à devenir celui qui précipiterait sa chute face aux méfaits de sa dynastie impitoyable.

Les vis resserrées, impossibles de défaire, si son père a en effet conclu avec le garçon, il s'est arrangé pour faire les choses dans l'art, car lui ne semble pas enclin à laisser fuiter la moindre information. Demoiselle frustrée, mais demoiselle qui sait se maîtriser, et tandis qu'elle se crispe sous les refus toujours plus insolents, elle conserve un visage calme et composé, sans se laisser toucher par ses émotions. Elle se sent une nouvelle fois écartée des affaires importantes sans comprendre, voile sombre qu'elle ne sera pas parvenue à lever, ce spectacle aura été bien anodin et elle comprend rapidement qu'elle ne ressortira pas avec la réponse à ses questions. Le brun énonce sa conclusion et Rain décide que cela ne sert à rien d'insister plus. Les mises en garde ont été prononcées, des deux côtés, elle sait qu'ils seront destinés à se revoir, elle espère que cela sera favorable. Redressant son regard sur un des gardes, elle lui fait signe de la main et détourne les yeux tandis qu'une seringue est enfoncée dans l'épaule du jeune homme. « Bien, dans ce cas, je te remets à ta liberté Lee Jian, pardonne nos méthodes, on est jamais trop prudents. » Lui glisse-t-elle en attendant qu'il s'endorme.
À lentement le glisser
Dans les bras de Morphée.
Elle se lève une fois que le silence a repris ses droits. S'avançant jusqu'au corps inerte du plus jeune, elle glisse un doigt sur son visage pour en dégager les mèches rebelles. Elle l'observe minutieusement avant de descendre dans son cou, traçant les reliefs de sa jugulaire, prenant le temps de vérifier son pouls. Elle récupère ensuite la seringue qu'on lui tend, la levant à hauteur d'yeux, le visage satisfait « Il ne faudra pas que ça devienne une habitude, même si c'est plutôt efficace, ma foi. » Glisse-t-elle aussi légèrement que la plume échappée d'un édredon. Et comme si rien ne pouvait l'étonner, elle remet l'objet au garde responsable, tournant les talons afin de rejoindre la porte. Deux gardes cessent leur patrouille et se rangent derrière elle, les deux restant s'occupent de soulever le corps musclé du jeune homme à qui elle accorde un dernier regard. « Déposez-le en sécurité. » Adresse-t-elle à son personnel avant de passer la porte, les talons résonnant gravement sur le carrelage du hall d'entrée.

I put my high heels on,
Walk right out the door.