De ses propres mains, il les annihilera tous. Le regard encore dans le viseur, il observait, dans un calme sinistre qu’on ne lui connaissait que trop bien, les derniers instants de cette âme damnée sur cette terre. Silence glaçant venant accorder à cette scène son réalisme effroyable, il avait de nouveau ôté la vie, il avait de nouveau semé ce chaos auquel il aimait tant s’accrocher. Jian et son visage impassible éclairés par les derniers rayons de soleil qui venaient apporter leur chaleur réconfortante à sa peau.  

Toujours à se délecter de ce spectacle macabre qu’il avait lui-même mis en scène, il s’activa à ranger avec précaution ses outils de bourreau. Puis, un bruit sourd. Son parasite venant ravager ce tableau funestement paisible et dont la prévenance attira son attention.  Porte d’acier s’ouvrant pour y révéler une princesse insouciante, loin de s’imaginer qu’une dizaine de minutes auparavant, elle aurait pu être témoin d’un sinistre événement. Accélérant son départ à la suite de cette apparition si soudaine dans ce paysage loin des regards, il scella pour de bon cette mallette teintée d’un noir intense, avant de se relever et faire face à celle qui était venue écourter son divertissement.  

Et si elle t’avait vu avec cette arme avant que tu ne renfermes son écrin ?

Une certaine incertitude vint s’emparer de lui, et il ne pouvait à présent plus se défaire de ces suspicions qui ébranlaient sa sérénité. De son regard glacial, il toisa la jeune femme qu’il finit par reconnaître à son plus grand désarroi. La plus jeune descendante des Im. Une des princesses inapprochables de cette homme au pouvoir incommensurable avec lequel il avait de bien trop nombreuses fois pactisé. Si elle avait pu apercevoir ne serait-ce qu’un détail, il serait fini, mais se débarrasser d’elle n’était plus une option envisageable. “Tu ne devrais pas traîner ici, c’est dangereux.” Commença-t-il d’une voix calme, tout en se rapprochant de celle qu’il ne pouvait à présent plus quitter des yeux. “...C’est haut, tu pourrais tomber.” Reprit-il avant qu’elle ne puisse se prononcer. Il était clair pour lui désormais, qu’elle ait vu quelque chose ou non, qu’il ne la lâcherait pas avant d’en avoir le cœur net, quitte à aller à l’encontre des menaces de l’homme politique.

A tout moment Osaka se retrouve en bain de sang. On agresse parce qu'on ne voit rien, on qu'on voit trop. On se cache dans les coins de rue ou on joue un autre rôle pour survivre. On compte les vies qui tombent, on cache la mort pour laisser planer une vie agréable dans la grande ville. Rael fait parti de ces privilégiés. Elle ne sait pas grand chose et ne veut pas savoir. Naïve de tout ce qui se fait derrière le nom de sa famille, elle n'existe que par sa place importante et son envie d'avoir toujours plus. Rael dans sa vision du monde, n'a que faire de ce qui pouvait arriver à ceux sur qui elle ne posait pas les yeux.

Tout là haut, où on peut observer les nuages qui cachent le soleil le temps de quelques minutes, c'est silencieusement qu'on prend une vie à des mètres plus loin. Aujourd'hui, un corps est encore tombé et peut-être qu'une famille va s'inquiéter de son absence puis pleurer sa mort. Dans ce cadre morbide, Rael pousse la porte coupe-feu et ses yeux sur l'écran de son téléphone, à la recherche d'un peu de réseau. Elle peste pour elle-même, maudit les technologies qu'elle juge déjà trop obsolète. Son regard s'échappe sur la figure qui change l'horizon. Les vents sont forts à cette hauteur, mais pas assez pour s'envoler ou se laisser à une chute involontaire.
Ce qu'il faisait là, ce n'était pas son problème. Égocentrisme pur et simple, elle fait mine qu'il n'existe pas pour se battre encore avec son téléphone et ce maudit réseau.

- Allez lààà.. ! elle souffle, clairement agacée tout en s'aventurant sur le toit, supposant que ça s'arrangera en fonction de sa position.

Mais les mètres qui les séparent sont effacés et l'ombre la dévorent. La silhouette mange ses pieds, se propagent sur son téléphone et ses yeux dirigés vers le bas, remarquent ses jambes. Rael lève la tête, ses yeux remontent, curiosité sur la mallette et continuent leur chemin sur son visage. Il ne lui dit rien - il y a tellement de monde à Osaka que c'est une pensée commune. A ses avertissements, elle hausse un sourcil. ( qu'est-ce qu'il veut lui ) Elle n'était pas une enfant au point de courir jusqu'au bord des précipices.

- Pourquoi ? il n'y a rien de dangereux si on fait attention. - Tu es là aussi, je vois pas le soucis. sous-entendu que lui aussi pouvait tomber, et pourtant il était sur ce toit depuis plus longtemps. - Je cherche juste du réseau, tu peux continuer de.. Je sais pas, être pensif en paix.

Parce que les vies qu'il fait tomber, elle n'en voit aucun cadavre. Et l'air de rien, Rael se tourne juste assez pour pouvoir tendre son bras en l'air, dans l'espoir que son téléphone, plus haut, capte mieux.

Seuls les spectres qui le hantent seraient témoins de ses infamies. Dans ces bas-fonds, c’est avec les damnés, sacrifiés pour ses semblables, qu’il comblait sa solitude de leur silencieuse présence. Telle cette ombre invisible à l’œil des mortels, il avait accepté depuis ce jour navrant de ne plus être, se soumettant à la faucheuse pour n’en devenir que le pion d’autres à la volonté d’exister bien plus grande que la sienne. Devenu ainsi cet être qu’ils mystifient, il était celui qui fascine ceux qui n’en connaissaient son existence, mais le cauchemar de ceux qu’il traquait pour leur regard argenté.

De tes mains cruelles tu en couvriras les prunelles chastes.

Et il devait faire tout ce qui était en son pouvoir pour rester à tout jamais dans cette pénombre qui le dévorait peu à peu, promesse faite à lui-même pour n’empiéter de son fardeau les âmes bien trop solaires pour sa funeste personne. Résolution à vouloir préserver de son fléau les innocents, alors qu’il exécutait sans aucune pitié ceux qui n’avaient pourtant de différents que leur vision. Injuste ironie.

Mais de son air suffisant digne de sa dynastie, elle balaya d’une traite l'avertissement du sicaire qui tenait à être sûr qu’elle ne savait rien de ce qu’il venait de se passer. De ses paroles dédaigneuses, la colombe se piégeait sans qu’elle ne se rende compte dans le mazout aussi sombre que les yeux posés sur elle de l’homme. “Je travaille ici. Et si vous n’avez pas envie de faire un détour au poste pour avoir enfreint les règles du centre commercial, je vous conseillerais de suivre ce que je vous dis.” Mensonge se chantant d’une simplicité déconcertante, quand il savait très bien que la princesse, à la couronne bien trop lourde pour sa tête, continuerait de jouer de son insolence agaçante. Mais de son identité inconnue, lui, Jian, connaissait tout de son interlocutrice prestigieuse, sachant parfaitement de quoi elle était capable ou non.  

A se moquer du monde qui l'entoure, Rael n'a aucune envie d'obéir à des figures inconnues, trop confiante dans ses chaussures. Poupée princesse d'un royaume trop fragile dont elle pense infaillible, elle n'y voit aucune fissure, se trouve complètement légitime dans ce qu'elle fait. injuste caprices à devoir être tout le temps rassasiés sous peine de ses colères,
and you were paranoid
in every paragraph

Ses yeux se plissent naturellement sous le répondant de celui qui se tenait trop droit en face d'elle. Petite gamine pourrie gâtée qui n'a pas peur des autorités car déjà dans la poche de son paternel depuis longtemps. Enfant turbulente et trop violente à l'école, les tonnes de billets qui la sauvaient de toutes punitions afin de rester dans les bonnes grâces de tout le monde afin qu'elle puisse se pavaner sous les sourires hypocrites des victimes.

- C'est bon, c'est bon t'es pas aimables du tout ! elle souffle en roulant des yeux sans pour autant bouger ou même tourner les talons.

you stand at the shore and look out toward the sea
the water winks back at you
clearly it knows something you don't

Parce que si elle s'imposait tous les droits, elle était toujours trop naïve de ce que cachait les fondations de cet empire qui n'était même pas à elle. Sans savoir qu'en face d'elle se trouvait quelqu'un qui avait cette petite place dans le fonctionnement de cet enfer.
Rael dans une insolence qui lui est propre, le contourne de quelques centimètres, juste assez pour passer derrière elle mais pas non plus au point de s'échapper complètement, ce n'était pas ce qu'elle voulait.

- Tu pourrais au moins attendre que je fasse mon appel, j'vais pas prendre trente ans non plus. C'est pas comme si j'allais sauter.

Trop cruelle qu'elle prend la mort à la légère. Rael ne se concentre plus sur lui, yeux rivés sur son téléphone à chercher le contact tant voulu en espérant pouvoir l'atteindre.

Douce ignorance qu’on venait souffler du bout des lèvres, à s’en jouer du danger, à s’en foutre de la mort. Les crétins qui tenaient à rester des ignares en crèveront, et personne ne les pleurerait. Mais quand on en était une princesse, que ces autres préservaient dans cette cage dorée au ciel façonné pour qu’elle en reste à jamais candide, on n’en avait le choix. Cruelles ombres qui finiraient par nous engloutir. Reine au destin tragique, on en marcherait sur les macchabées pour se tenir sur ce trône fatal.  

Et de promesses,
tu serais aussi celui qui la couronnerait à cet empire navrant.

Mais du peu de décence qui lui restait, à en ignorer son statut d’être immaculée, il ne pouvait s’empêcher de penser à l’enfant qu’elle aurait pu être. Prospérité accomplie, mais qu’en était-il de ce bonheur illusoire ? Pénombre grandissante à l’aube d’une existence aux responsabilités maudites, de ses caprices et de ses airs prétentieux, elle ne savait encore qu’elle en était la souveraine d’un avenir scellé où les agonies en deviendraient les partenaires de ses cauchemars.  

Pour elle, et non pour lui.

“Fais attention à toi. Je vais attendre que tu finisses et on descendra d’ici ensemble pour que je sois bien sûr que tu sois en sécurité.” Quand il voulait seulement s’assurer qu’elle n’en avait rien vu de ses yeux chastes, ou ce serait à lui de la voler à cette destinée incandescente pour la lui rendre funeste. .