Pied à terre, les portières des voitures de luxe claquent et les parapluies se déploient pour offrir un semblant d'abris à chacun. Fidèle à elle-même, l'aînée des Im se dresse sur ses escarpins, sans jamais montrer signe d'un quelconque inconfort. Beaucoup s'étonnent de sa nature si calme et composée, comme si le simple fait d'être une femme devrait la soumettre à des émotions incontrôlables. Rain a pourtant son lot de névroses, mais elle a pris l'habitude de ne rien laisser transparaître, car dans un milieu pareil, une simple faiblesse est semblable au plus ravageur des cancers. Diplomates se pressent à l'intérieur, désireux de se réfugier de la pluie. Père et fille échangent un regard sérieux, se jaugent un moment avant d'avancer ensemble à la suite du reste. « Attends-moi ici. » Souffle alors le paternel en appuyant ses propos d'une main glissant dans le dos de sa fille qui, surprise, met fin à son avancée. La garde se sépare en deux, la moitié se met à suivre le chef de famille tandis que le reste prend place à quelques mètres de la brune. Elle ne pose pas de questions, se dit que son père a sûrement aperçu une connaissance, comme s'ils ne se connaissaient pas déjà tous ici. Rain lève le nez vers l'extérieur, elle sourit maigrement aux personnalités politiques qu'elle reconnaît, mais se désintéresse rapidement, préférant se concentrer sur les tombes d'eau qui s'écrasent sur le macadam. C'est un jour de chance pense-t-elle en faisant référence à la météo. Rain n'est pas superstitieuse, elle n'est pas non plus croyante, mais elle a toujours considéré les jours de pluie comme un signe de chance, probablement à cause de son prénom.

Réjouissances silencieuse, elle est heureuse de voir que l'anxiété ne sera pas sa voisine ce matin, car après tout, les épreuves telles que celles-ci ne lui font absolument pas peur. Préparée depuis qu'elle est toute petite à s'exprimer sur des sujets devant une assemblée, elle a la chance de se savoir confiante dans son travail et elle mènera la conférence d'aujourd'hui brillamment. Présentation concernant les projets de l'ambassade pour la nouvelle année, son père l'a chargée personnellement de la tâche, et elle tient à ne pas le décevoir, même si au fond d'elle, elle sait qu'il lui offre cette opportunité dans le but d'atténuer les tensions survenues depuis la fête d'Halloween. Rain est loin d'être naïve, mais elle préfère fermer les yeux cette fois-ci et se concentrer sur ce qui importe réellement : sa carrière. Les activités suspectes de son père attendront qu'elle soit en mesure de les affronter.

Ce dernier revient vers elle, accompagné d'un homme qu'elle reconnaît immédiatement. Ses yeux s'écarquillent à leur approche, elle recule d'un pas, simple réflexe, resserrant sa main sur la bretelle de son sac. « À qui ai-je l'honneur ? » Demande-t-elle tout de même, feignant l'ignorance, alors qu'il y a quelque temps, ce jeune homme se trouvait retenu contre son gré dans l'une de ses propriétés. « Rain, je te présente Lee Jian, tu l'as probablement aperçu à l'ambassade quelques fois, c'est un jeune homme de confiance, je lui ai demandé de bien vouloir intégrer ta garde rapprochée, il a accepté. » Les sourcils se froncent chez la demoiselle qui lance alors un regard sceptique à Jian. « Pardon ? Tu ne trouves qu'on a déjà assez de gros bras autour de nous ? » Rain désigne ceux qui ne mouftent pas et garde le menton relevé, le regard concentré sur un point fixe. « Sans vouloir offenser personne ici, je me trouve déjà particulièrement oppressée et tu veux m'assigner encore un garde ? Pourquoi faire ? Et pourquoi lui en particulier ? » L'offense est palpable dans la voix de la jeune femme qui, comme le plus vieux l'avait prédit, ne prend pas la nouvelle de la meilleure des manières. « Je sais, je m'y prends un peu à l'improviste, mais on est jamais trop prudents ces jours-ci. Toi notamment, tu es la plus exposée au danger, tu sais très bien de quoi je parle, je ne peux pas risquer qu'il t'arrive du mal. Surtout un jour important comme celui-là. » Répond alors le géniteur en lui adressant un regard entre rigueur et tendresse. Ces monos, l'autre fois dans la cage, ça ne te posait pas de problème qu'ils leur arrivent du mal, à eux. Pense Rain sans pourtant trahir un centième de ce qu'elle garde pour elle-même. Nouveau coup d'œil furtif en direction de Jian, elle n'a pas le courage de s'opposer à la situation plus longtemps, pour le moment. « Tu aurais quand même pu m'en parler avant. Je trouve ça mesquin de ta part, de profiter du fait que j'ai autre chose à penser pour venir m'imposer tes larbins. » Déclare-t-elle sans pincettes avant de reporter son attention sur le sujet de leur querelle. « Bienvenue monsieur Lee, j'espère que vous saurez rester à votre place et remplir votre fonction tel que mon père le souhaite. Mes gardes vous expliqueront les procédures habituelles, prenez-en compte. » Elle incline la tête aussi froidement que son discours et tourne à nouveau son visage vers son père. « Nous en reparlerons après la conférence, à l'abri des oreilles indiscrètes. » Monsieur Im acquiesce, légèrement désemparé face à la dureté de sa fille qui lui fait clairement payer son manque d'honnêteté.

Et les chaînes raccrochent les êtres à ce bas monde si injuste. Esclaves de leur destin, ils errent sans but entre les deux folies qui leur permettront d’exister le temps de quelques instants aux yeux de ces autres grandeurs indifférentes. Impitoyable égoïsme, alors que tous se meurent dans leur désespoir, eux dégustent les larmes et le sang de ces infortunés de leurs lèvres écœurantes afin d’en préserver l’essence de leur gêne.

Décimer pour exister,
Détruire pour immortaliser.

S’attacher à ses biens, comme aux personnes autour de soi, les âmes étaient ainsi, et il n’échappait pas à cette règle. De sa démence cruelle, il attirait les curieux à la recherche de ses mains meurtrières, ceux à la réputation qui se voulait immaculée. Et alors qu’il pensait bien faire, il avait manqué de précaution, ne prêtant attention à la laisse qui se resserrait un peu plus sur son cou. Mais le monstre indomptable qu’il était ne resterait nullement sous le joug de l’être qui se pensait supérieur de ses airs dédaigneux, préparant d’ores et déjà sa vendetta envers celui qui avait osé prononcer le nom de celles qui le retenaient parmi les mortels.

Se tenant à ses côtés dans un silence mortuaire, il se rêvait de faire couler son sang face à sa damnée de fille qui lui était de nouveau présentée. Visage aux traits marqués par ses nuits inexistantes n’affichant la moindre expression. Impassibilité dérangeante alors que la princesse, au regard qu’il détestait tant, s’éloignait des deux hommes, il se refusait de devenir comme l’un de ses chiens qu’elle aimait tant exhiber pour en exposer sa puissance imméritée. “Que ce soit clair entre nous monsieur l’ambassadeur, je la protège de cette personne qui n’attend que de lui arracher les yeux, mais je refuse de devenir l’un de ses clébards, et si elle n’est pas contente, je ne me gênerai pas de lui rappeler qu’elle crèvera si elle continue de chialer.”  A en ressortir sa personnalité abominable de ses mots méprisables. Et sans en attendre une réponse de l’ambassadeur, il partit à son tour en direction de la conférence dans l’attente de la confrontation avec celle qui allait certainement de nombreuses fois jouer de sa patience.  

Aveugle de ces chaînes qui retiennent les poignets du jeune homme, sourde de la pression dont son père se sert afin de l’accabler, elle le pense de trop, cafard qui s’accroche à leurs affaires et qu’il ne vaut mieux pas relâcher sans précautions. Elle n’a pourtant pas de quoi s’occuper de ça sur le moment, ayant bien d’autres chats à fouetter que de régulariser une situation frustrante pour chacun. Ses talons résonnent sur le sol d’une assurance ponctuée d’une touche d’agacement. Aujourd’hui n’est définitivement pas un jour de chance. Et elle décide alors d’arrêter les superstitions présomptueuses.

Sans perdre ses mondanités, elle sourit et salue chaque âme croisant son passage tandis que quelques autres personnes de sa branche la rejoignent afin de l’escorter à travers les couloirs du bâtiment. Les gardes suivent à distance, certains sont réquisitionnés afin d’être placés à des endroits stratégiques de la salle de conférence. Rain n’y pénètre pas encore, elle sert la main de ses collaborateurs et tourne la tête vers son père, croisant la silhouette de Jian au passage. D’un menton à se relever, elle fait comprendre à son père qu’il n’a pas à s’inquiéter pour la présentation, elle le laisse rejoindre le reste et s’éloigne alors de l’entrée, traînant ses yeux sur le nouveau garde. « Suis-moi. » Lui ordonne-t-elle en reprenant son avancée à travers les couloirs vides. « Mademoiselle Im ! » La voix d’une autre femme résonne, Rain se retourne et reconnaît la secrétaire de son père qui accourt vers le duo. « Je suis en possession de vos notes pour le discours, vous voulez les récupérer ou je les pose directement sur le pupitre de la salle ? » Rain tend la main, la secrétaire lui remet le dossier et s’incline avant de s’éloigner, disparaissant à son tour derrière les portes de bois.

La politicienne reste immobile, elle ouvre le dossier et parcourt les lignes de texte rapidement, mémorisant les points importants avant de finalement le refermer. « Ce n’est pas très différent de l’année passée. » Soupire-t-elle en redressant ses prunelles vers le brun. L’énergie échangée est conflictuelle, deux âmes que tout oppose et qui n’ont rien à faire l’une à côté de l’autre, mais ils ne sont pas maîtres de leur destin, et devront donc faire preuve de patience afin de ne pas s’entretuer. Jian a de la chance, Rain a déjà assez à faire avec sa petite sœur, elle n’a pas besoin de nourrir d’autres guerres inutilement.  « Cherches-tu à te venger ? » Elle ne compte pas rester passive pour autant.