L’horreur peint ses traits tandis que son regard se pose sur cet avant-bras qui le saisit par ses vêtements défraîchis. Le tatouage entre dans sa vision le glaçant d’effroi. 3 mots qui font trembler son corps depuis des années. Il sait ce qui l’attend quand ces mots encrés dans la peau de son bourreau apparaissent devant lui. Il n’a aucun moyen d’y échapper et même s’il voudrait s’enfuir et ne plus jamais se retourner, où irait-il et comment le ferait-il ? Il ne sait même pas où il est ni même s’il parviendrait à sortir d’ici en vie. Alors, il a presque accepté son sort, se laissant traîner comme une poupée de chiffon par cet affreux personnage qui le balotte d’une pièce à une autre, sans considération pour le mal physique et mental qu’il lui impose. Peter ne peut fermer les yeux et se laisser transporter dans un autre univers, dans son imagination. Ses yeux sont l’objet de la haine de cet homme et de toutes les tortures qu’il subit, qu’ils ont tous subies. Il n’a donc aucun droit sur ses pupilles et ce depuis des années. Il n’a aucun espoir de partir, aucun espoir de revoir la liberté. Parce qu’il n’est pas totalement idiot, il a compris que la vie, la vraie ce n’était pas ça. Seulement, il n’a connu que ça et ne connaîtra sûrement que ça. Peter se fait asseoir de force sur une chaise, ligoté à cette dernière et des objets dont il ne connaît pas le nom, le force à garder les yeux ouverts. Ça va recommencer… Il préfèrerait presque être mort et c’est ce qui va se passer à ce rythme. Le jeune homme en oublie le temps et l’espace autour de lui, les cris de souffrance qu’il pousse étant ses seuls amis. Et puis d’un coup, tout fini. Il est relâché, reconduit avec les autres. Son corps cède sous la douleur et la peur et il s’effondre au sol, inanimé. C’est la fin. Il va finir par rejoindre certains qui sont là depuis des semaines voire même des mois et dont le cœur ne bat plus. Peter pleure, les larmes soulageant la sécheresse de ses yeux, le corps tremblant d’effroi et de souffrance. Il est frigorifié et il désirerait plus que tout partir.

Il fut un temps où Peter ne s’appelait pas Peter. Où sa vie ne se résumait pas à ces expériences sur ses yeux mono. Où il ne vivait pas dans une aile délabrée de ce qu’il pensait être une grande maison, voire même un manoir au milieu d’enfants morts. Non, il vivait avec une famille aimante, un papa, une maman, un grand frère et une petite sœur. Du moins c’est ce qu’il se plaît à croire. C’est moins difficile de se dire que quelqu’un le cherche encore, qu’on ne l’a pas oublié. L’espoir fait vivre comme on dit. Ça lui réchauffe le cœur, mais c’est également son plus grand fléau. Il rêve qu’on vienne le chercher, qu’on l’arrache de cet enfer dans lequel il est enfermé depuis il ne sait combien d’années. Mais en même temps, il sait que la réalité est toute autre. Si on le cherchait encore, on l’aurait déjà retrouvé non ? Une famille aimante mettrait en œuvre tout ce qu’il faut pour le faire non ? Il perd alors espoir petit à petit, se rendant compte qu’il ne peut compter que sur lui-même. Il avait également un autre nom, une autre identité. Il ne s'appelait pas comme le personnage de conte qui refuse de grandir et dont l’espièglerie n’a d’égale que son arrogance et égo. Peter n’est pas comme ça, ou du moins, ne l’est plus. Son bourreau a tué ce petit garçon qu’il était pour ne laisser qu’une coquille vide, un fantôme de lui-même. Peter ne rit plus depuis longtemps et les sourires se font de plus en plus rares. Pourtant, à chaque nouvel enfant ramené, il tente tant bien que mal de les rassurer et surtout de ne jamais s’attacher à eux. Ils ne durent jamais bien longtemps. Malheureusement, à chaque fois, son cœur se brise, ses yeux se remplissent de larmes qu’il ne laisse échapper que lorsqu’il est seul. Il a appris à vivre avec la crasse, avec l’odeur insoutenable et surtout la décomposition. Il n’aime pas être ici, mais il n’a pas le choix. Ne l’aura jamais.

La surprise prend possession de son visage quand il rencontre ses yeux de biche perdue. Elle ne semble pas à sa place ici et encore moins avec ses beaux vêtements. Lentement sa tête se baisse vers ses propres guenilles et il ne peut pas nier le fait la différence de traitement entre eux. Pourtant, ce n’est pas la première fille qui foule le sol de cette aile. Mais aucune n’avait son aspect. Elles ressemblaient plus à Peter qu’à la fille devant lui. Qui est-elle ? Que fait-elle ici ? Est-elle au courant de ce qui se passe ? Pourquoi ne subit-elle pas les mêmes choses qu’eux ? Pourquoi ne semble-t-elle pas effrayée par l’endroit où elle vit ? Tant de questions qui se bousculent dans la tête de Peter alors que la colère prend peu à peu le contrôle de son corps. Il ne pensait pas pouvoir ressentir autre chose que du vide et de la peur. Mais apparemment, il se trompait. Il lance alors ses mots remplis de colère et de venin. Il l’insulte presque, lui faisant comprendre que si elle, elle a la belle vie ce n’est pas leur cas. Il lui parla de tout, déversant sa haine pour leur kidnappeur. L’horreur dessina alors les traits de la poupée, transformant son visage d’ange en quelque chose de moins harmonieux, plus en accord avec l’endroit où elle se trouve. Il est froid, méchant et méprisant et n’en a même pas honte. Si elle vit presque la vie de château, ce n’est pas son cas et en plus de la colère, la jalousie s’insinue dans ses veines, jusqu’à serrer son cœur comme s’il était dans un étau. Pourquoi elle ? Pourquoi a-t-elle eu la chance de ne pas subir les mêmes châtiments qu’eux ? Pourquoi semble-t-elle vivre simplement et normalement ? Du moins aussi normalement qu’elle le pouvait après avoir été kidnappée. Peter est surpris par ses émotions fortes. Cela fait bien longtemps que ça ne lui était pas arrivé et une fois qu’il a tout lâché sur cette pauvre gamine qui n’a rien demandé de tout ça, il se sent épuisé, vide et seul. Il tourne les talons et la laisse là, dans ce couloir. Il se fout bien de ce qui pourrait lui arriver. Elle ne porte pas de traces de sévices alors il n’a aucun intérêt à s’occuper d’elle.

S’il s’est promis de ne pas s’occuper de cette gamine, Peter ne peut s’empêcher de penser à elle. Elle l’obsède, lui fait se poser des questions qu’il n’aurait probablement jamais eu à se poser s’il ne l’avait pas rencontrée. Elle est mignonne et gentille et n’a rien à faire dans cette merde. Lui non plus d’ailleurs, mais apparemment, il encaisse mieux que les autres. Pourquoi ? Il n’en a aucune idée, mais il est toujours en vie, c’est qu’il doit bien y avoir une raison. Peter ne croit pas au destin, ni même à toutes ces conneries de Dieu. Si vraiment quelque chose comme ça existait, pourquoi aurait-il souffert ? Pourtant, quand il revoit la gamine, qui s’appelle d’ailleurs Alice, comme le conte, plusieurs fois dans les couloirs de l’aile qu’il occupe mais également dans ses rêves, il ne peut pas occulter le fait que peut-être il se trompe sur la religion et la destiné. Néanmoins, il reste quand même convaincu que ça n’existe pas. Mais la présence de Alice dans sa vie tend à lui prouver le contraire. Cette fille est comme un rayon de soleil dans ses journées si grises et mornes. Elle lui montre un autre monde, une autre façon de vivre dans ces lieux maudits. Il apprend qu’elle est bien mieux traitée qu’eux, mais n’en comprend pas la raison. Il se doute que ce n’est pas quelque chose de sain mais n’arrive pas à mettre le doigt dessus et plus ils se voient et plus Peter voit Alice comme une sœur, une petite sœur à protéger. Alors il pense à s’échapper avec la jeune femme. Il ne sait pas encore comment, mais il sait qu’il le fera et il l’amènera avec lui. Cette affirmation est encore plus vraie quand il la revoit après quelques jours d’absence, couverte de bleus. Elle qui pourtant avait su passer entre les mailles du filet, attisant la jalousie de Peter, se retrouve dans la même situation qu’eux. Sa faute ? Avoir voulu aider Peter et les autres. Il s’en veut alors de l’avoir maltraité et d’être jaloux d’elle. Mais il ne peut faire autrement et pour compenser cette jalousie qu’il ressent, lui promet de la sortir de là, de l’aider à partir. Il lui fait nourrir des espoirs que lui a bien vite étouffés dans l'œuf. Mais il y parviendra, pour elle.

La décision prise, plus rien ne pouvait faire revenir Peter sur cette dernière. Puis voir chaque jour les bleus sur le corps et le visage de Alice le fait rentrer dans une colère noire. Il ne peut pas décemment la laisser dans cet environnement, bloquée dans cette vie qu’elle n’a pas voulu, pas plus qu’il ne l’a voulu lui. Alors, il change de comportement, devient plus docile, tente d’amadouer leur bourreau. Il se doute bien qu’il n’est pas dupe et que l’homme tatoué ne le croira pas. Mais Peter n’a pas besoin qu’il le croit, il a juste besoin d’endormir sa méfiance un petit peu et qu’il lui donne un peu plus de liberté. Et c’est ce qui arrive. Il n’aurait jamais pensé qu’il puisse avoir des talents de manipulateur, mais apparemment c’est le cas et il se retrouve donc avec quelques privilèges qui n’en sont pas réellement. Néanmoins, par le plus grand des mystères et à la stupéfaction du jeune homme, il arrive à subtiliser un couteau à son bourreau. Ce n’est pas la première fois qu’il vole, et encore moins si près de la barbe de cet homme redoutable. Mais cette fois-ci, il ne vole pas dans le but de survivre quelques jours de plus dans cette maison ignoble. Non, cette fois-ci, il veut s’enfuir, partir et ne jamais revenir. Il voudrait bien prendre tous les enfants qu’il reste, mais il sait que ce serait un trop lourd fardeau. Il ne peut pas se permettre de s’alourdir d’eux. Il ne sait même pas pourquoi il tient tant à ce que Alice le suive. Peut-être que c’est parce qu’elle aurait pu être ce que sa sœur aurait été. Du moins, c’est ce qu’il se plaît à croire. Elle va quand même relativement le ralentir, mais il ne l’abandonnera pas. Jamais. Peter élabore alors un plan, quelque chose d’infaillible qui ne pourra que les aider à prendre leurs jambes à leur cou. Il attend une opportunité et un jour elle arrive. Il se retrouve seul avec l’homme tatoué pour le ligoter à la chaise, comme à chaque fois qu’il va lui faire subir des expériences, toutes plus désagréables les unes que les autres, Peter y voit l’occasion de se servir de ce couteau. Il le sort de derrière son dos et d’un geste brusque, mû par la peur, il le lève au niveau du visage de leur kidnappeur. Il n’a pas le temps de regarder les dégâts de ce que son geste a provoqué. Il hurle dans toute la maison le prénom de Alice, l’ayant prévenu qu’un jour il l’amènerait loin de cet enfer. Une fois la jeune femme trouvée, il lie leurs mains, refusant de la lâcher et ils courent loin de cette maison, loin de cet homme qui tentera peut-être de les retrouver et qui fera de cet endroit le dernier qu’ils connaitront.

Peter ne se souvient pas combien de temps ils ont couru avant de marcher. Des jours, peut-être même des semaines ? Il n’avait pas la notion du temps et courir ne servait à rien puisqu’ils ne savaient pas où ils allaient. Il se retournait souvent pour vérifier qu’il ne les suivait pas et à sa grande surprise ne vit personne. Il était heureux d’avoir échappé à cette vie mais il ne savait pas que ce serait potentiellement plus compliqué maintenant qu’ils étaient libres. Alice et lui ne connaissent rien de la vraie vie, rien de la technologie, n’ont pas été à l’école, savent à peine lire. Il est donc inconcevable qu’ils puissent trouver un emploi et encore moins une maison. Et puis, même sans ça, la ville… Ce n’est clairement pas la même chose que la campagne. Tout ici est trop bruyant, trop grand, trop tout. Ils se perdent, rencontrent des personnes peu fréquentables mais surtout, sont plus seuls que jamais. Du moins, c’est le ressenti de Peter. Puis l’anxiété, chose qu’il n’avait jamais ressenti jusqu’à présent, devient sa meilleure amie. Si au domaine, il savait de quoi était faite la journée, rythmée par les coups et les expériences, là tout n’est qu’incertitude. Il n’a plus aucun repère, plus aucune routine. Il se perd trop souvent dans les méandres de ses pensées, tentant de faire en sorte que Alice ne regrette pas sa décision d’être partie avec lui. Lui ne regrette pas, s’il savait la définition de ce mot, mais parfois, il se dit qu’il n’aurait pas du arracher Alice de sa vie là-bas. Maintenant, elle vit dans la rue. Lui en veut-elle ? Lui reproche-t-elle ce nouveau mode de vie ? Est-elle heureuse ? Aurait-elle préféré que ce soit l’homme tatoué à ses côtés et pas lui ? Chaque fois que ces questions apparaissent dans son esprit, l’angoisse engloutit tout sur son passage. Peter est alors devenu un maître dans le contrôle de ces crises qui surviennent plus souvent qu’il ne le voudrait. Il s’enferme dans son monde, devenant silencieux. Alice pense sûrement que ce sont les causes de ses traumatismes. C’est vrai qu’ils ont quelque chose à voir avec son état, mais il a toujours peur d’avoir mal fait les choses et que Alice en souffre plus que lui ne souffre.

L’adaptation dans cette nouvelle vie, loin de tout ce qu’il connaissait, est difficile, pour ne pas dire impossible du côté de Peter. Il fait de plus en plus d’insomnies et déjà qu’il ne dormait pas beaucoup là-bas, ici, c’est encore pire. L’avantage de son ancienne demeure, c'était la régularité de ses journées. Il n’y avait jamais rien qui n’était pas décidé à l’avance. La vie dans la rue est bien différente. Chaque minute est une source d’angoisse parce qu’il ne sait pas ce qui va se passer. Puis, il faut bien quelqu’un pour veiller sur Alice qui dort paisiblement. Il ne peut donc pas fermer l'œil. Et même si par le plus grand des hasards ça se produit et que par miracle il parvient à se coucher pour rejoindre les bras de Morphée, il est assailli par des cauchemars tous plus affreux les uns que les autres. Le plus récurrent est leur retrouvaille avec l’homme tatoué. Il leur fait payer leur fuite, mais également sa blessure. Peter pense, à juste titre, qu’il lui a balafré le visage avec le couteau, le rendant même potentiellement aveugle d’un œil. Mais le pire, ce n’est pas les tortures que Peter subit dans ses rêves, il en a l’habitude. C’est celles d’Alice. Elle hurle, crie, se débat, l’appelle à l’aide et il est impuissant. Il ne peut rien faire. C’est comme s’il courait pour échapper à son bourreau mais qu’il le rattrapait encore et encore. Sauf que là, c’est lui qui coure et lui qui est incapable de les rattraper. Alors, quand il se lève, le visage emplit de sueur, la mine encore plus marquée par le manque de sommeil, son premier réflexe est de chercher sa sœur, cette princesse qu’il a tiré des griffes de la bête. À chaque fois, elle est à côté de lui et ça apaise son cœur. Mais jusqu’à quand ? Et s’il parvenait à les retrouver ? Et s’il faisait exactement ce que Peter redoute ? Il est épuisé, il voudrait dormir. Mais la sécurité de sa petite sœur est plus importante.

La vie qu’il a eu et qu’il continue d’avoir l’a poussée à grandir trop vite, à devenir mature plus rapidement. Seulement, malgré les apparences, le jeune homme aimerait revivre cette jeunesse dont on l’a privé. Il n’arrive pas à se faire à l’idée qu’on lui a volé toutes ses jeunes années pour des expériences qui n’ont même pas abouti. Il est dépité de voir les gens autour de lui faire ce qu’ils aiment dans la vie et surtout le comprendre. Il y a plein de choses que Peter ne comprend pas, trop de choses. Il se sent idiot, inutile et n’aime pas cette sensation. Il a l’impression d’être retourné auprès de leur bourreau. Il ne comprend pas la technologie et ce même s’il a réussi à voler un téléphone et tenter de l’utiliser. Il l’a bien vite revendu peu enclin à apprendre à se servir de cet objet de malheur. Il a peur des voitures et encore plus de celles électriques qu’il n’entend pas quand elles arrivent dans son dos. Il supporte mal les bruits qui l’entourent et la luminosité de certains néons, lui qui a le plus souvent vécu dans le noir. La crasse ne le gêne pas, c’est juste le prolongement de ce qu’il avait déjà vécu à l’époque. Ça ne change pas réellement. Seul son état d’esprit a changé mais pas forcément en mieux.