Faut que je plonge
dans la vie, dans l'amour, dans l'abyme
SPLASH !

✧ O1 ✧ D’une colorimétrie fade et monochrome, ils sont tombés amoureux. Deux adolescents, au cœur pincé d’être différents des autres, se lièrent par réconfort et peut-être par confort. La palette avec deux nuances s’est élargie lors de la période de l’université pour accueillir sans le vouloir une troisième nuance nommée Tsuneo. La mère essaya de poursuivre au mieux ses études même si sa condition de femme enceinte la fatiguait. Le père abandonna les siennes pour prendre en charge son rôle d’homme de famille en devenant pêcheur, un métier à l’embauche facile dans le bourg d’Ine.
Ainsi, ils vécurent 3 ans ensemble, jusqu’à la fin des études de la japonaise et jusqu’à ce qu’elle trouve ses couleurs ailleurs. L’enfant encore trop peu évolué comme achromate resta avec son père sans comprendre la raison du départ de sa génératrice qui lui laissa quelques mots avant de partir de leur palette un “Bonne chance.”

✦ O2 ✦ Le soleil d’été enjolivait le minois des enfants qui jouaient dans la cour de récré. L’imaginaire à son apogée, l’enfant à la chevelure déjà longue se permit de faire un détour par la plage d’à côté à la fin de sa journée d’écolier. Avec son ami de quartier, ils s’achetèrent un pain de poisson légèrement chauffé avec leurs quelques pièces économisées. Les pieds nus rentrant en contact avec le granulé de l’océan Japonais, ils parcouraient joyeusement les bords de la mer salée. Au loin, l’ami distingua une silhouette familière, mais dotée d’un nouvel air. “C’est pas ton papa Tsuneo ?” L’homme, qui d’habitude était vêtu d’une salopette et aux bottes de caoutchouc aux allures peu princières, était sous les rayons du soleil d’été, habillé avec les vêtements printaniers de l’absente mère.

✧ O3 ✧ Les doigts se croisaient pour jurer que le secret resterait bien gardé. Un papa qui devenait une maman sur des heures qu’il devait travailler. Pensées encore floues, l’enfant, malgré les rouges à lèvres, les fards à paupières et les robes trouvées dans le placard, décidait de grandir avec le silence tiré jusqu’au bout des lèvres de ce secret. Retournant à la maison le soir, Tsuneo fouilla dans les tiroirs de papa par curiosité et caché dans le noir s’il venait à le débusquer. D’un petit pas de souris, il se faufila dans sa tour de garde pour aller y enfiler une robe à volants rose poudrée. S’amusant à faire voler la matière souple en sautant sur son lit de métal qui grinçait. Riant de plein cœur, la frousse accéléra les battements lorsque la porte claqua contre le mur. Le père choqué par la scène déchira la robe que portait son enfant tout en le griffant par manque de précaution et par afflux de colère et de honte. Alors, ces mots résonnèrent “Qu'est-ce que je vais faire de toi ?”

✦ O4 ✦ Un jour, en cours de dessin, une petite fille aux nattes bien tressées était venue lui offrir timidement un dessin avouant son amour candide. Toutefois, Tsuneo n’avait pas compris pourquoi son cœur était tout gris. Il se confia à son ami qui lui dit que le dessin était très coloré. Peut-être atteint d’imbécilité, le petit garçon jeta à la poubelle le dessin, l’ego touché et l’incompréhension collée au palais. Son dessin à lui se composait d’un minimum de couleurs qui réduisait au fil du temps sur la feuille gribouillée. Nul en coloriage, proche du zéro (la tête à t0t0) à chaque devoir, l’enfant préférait de loin les mathématiques puisqu’il se sentait moins en danger. Pensant qu’il était normal de voir à saturation faible le monde qui l’entourait, Tsuneo ne savait pas que son gène MONO prenait de plus en plus de place pour réduire la variété de sa colorimétrie.  

✧ O5 ✧ Arrivé à l’âge de l’adolescence, Tsuneo était devenu un jeune homme bien en forme. Avec son meilleur ami, ils dévalaient les rues en skateboard à savoir qui serait le premier arrivé à l’épicerie. Ils achetaient des snacks et des boissons trop sucrées. Ils se cachaient derrière un magazine de manga pour regarder les magazines porno. Ils se fichaient des filles qui venaient leur offrir un porte-clés qu’elles avaient personnalisé pour attacher à leur portable. Ils traînaient tard ensemble, les genoux amochés par les nombreuses chutes pour apprendre une nouvelle figure. Ils écoutaient du rap et du métal, tout en essayant de gratter les cordes du p’tit magasin de musique du coin. Et quelques heures avant que le soleil se couche, ils allaient taper la vague sur leur planche de surf qu’ils avaient récupéré du club de surf, le vieux matériel qu’il n’utilisait plus. Eux, ils s’en foutaient qu’elles soient dépassées et craquelées. Elles cassaient toujours la vague, c’était le plus important. En début de soirée, la planche sous le bras, ils passèrent près du vieux garagiste qui bricolait toujours dans son atelier tout au fond. Les deux grands gamins virent sa bécane étincelante à l’entrée du garage, avec les clés dessus. Le vieux schnock avait dû les oublier en faisant gronder le moteur tout à l’heure. La mauvaise idée leur traversa la tête, tels des insouciants, ils décidèrent avec la plus grande discrétion possible, “d’emprunter” pendant quelques minutes sa bécane. Ils se disaient qu’il n’aurait même pas eu le temps de s’en rendre compte, car ce serait l’affaire d’un p’tit tour.
Tsuneo aux commandes et son ami bien sur ses assises, ils avaient attendu d’être sur le petit chemin entouré des champs pour allumer le moteur. Ainsi, le risque était minime. Le véhicule titubant, ils roulaient avec précaution sur le petit chemin peu fréquenté. Mais l’adrénaline n’étant pas assez présente, la pédale de l’accélérateur se baissa davantage. Imprudents, au bout du chemin, la route s’ouvrit sur une voie plus peuplée par les automobilistes. Pris par la furie des voitures sur la voie rapide, Tsuneo et son ami se mirent à paniquer. Le compteur kilométrique augmentait à vue d'œil à cause du pied lourd d’angoisse et de peur de l’adolescent. Son ami lui hurla de sortir par l’embranchement, afin de quitter cette folie, et c’est qu’il fit, mais un peu trop vite. Il perdit le contrôle du véhicule, notamment en raison du sol encore trempé et il se sentit chuter. “PUTAIN ! TSU…” La moto s’écrasa contre la rambarde, tandis que Tsuneo et son ami roulaient en boule sur plusieurs mètres au cours de la chute.
Plusieurs minutes plus tard, la sirène des pompiers résonnait au loin pour venir les chercher. Tsuneo, sous les quelques secondes de conscience qui lui restaient, pensait à quel point le garagiste allait les défoncer pour avoir bousillé sa moto. Sauf que Tsuneo, à ce moment-là, il avait bien pire à se soucier, mais il ne le savait pas encore.

✦ O6 ✦ Le chant des oiseaux était de plus en plus fort et la lumière du jour éblouit les sensibles pupilles du jeune homme. Il sentait une odeur de poisson, émanant de son père qui se tenait debout près de son lit. “T’es réveillé.” Et sans plus attendre, il mit son sac sur son dos légèrement voûté pour reprendre la mer. Un infirmier et un docteur vinrent voir l’adolescent fatigué pour lui expliquer l’histoire après son accident.
À savoir que Tsuneo est resté dans le coma plus de sept mois. La moto était trop pétée pour encore rouler, alors le tas de ferrailles fut envoyé à la déchetterie. Et son meilleur ami décéda à la suite de ses blessures.
Horrifié par l’histoire, le garçon se vida de toutes ses tripes. Il avait perdu son seul ami, son ami d’enfance, à cause d’une connerie d’adolescent. Il était trop con, ils étaient trop imprudents… Pour quelques secondes d'adrénaline, il a perdu à vie son meilleur ami.

Tsuneo resta encore quelque temps à l'hôpital pour apprendre à bien marcher de nouveau. Il devait reprendre des forces et attendre que toutes ses blessures guérissent au moins à quatre-vingt-dix pourcents. Enfermé dans sa chambre, durant cette longue période,  le garçon plein de vie s’était assombri comme la vision de son monde qui se dessinait plus que des teintes de gris. 

✧ O7 ✧ Avec son séjour à l’hôpital, Tsuneo ne put continuer l’école. Il dû alors redoubler une année scolaire, ce qui est assez rare au Japon. Il préféra déménager chez sa tante à Ôsaka, enfin de se couper de sa ville natale et de tous les souvenirs qui s’en rattachaient à chaque coin de rue. Il ne put se faire des amis, préférant garder ses distances avec autrui. Le garçon développa comme un syndrome de l’imposteur, se pensant dangereux pour les autres. Peur de s’attacher à nouveau et de faire une erreur tel un idiot, il préféra se cramponner à la solitude et garder pour seule amie, la mer et ses vagues éternelles.

✦ O8 ✦ Vers quinze heures trente, après les cours, Tsuneo prenait le bus pour se rendre dans le centre d’Ôsaka. Dans le but d’être autonome dans ses dépenses, sans avoir à attendre le versement de son père (souvent en retard ou oublié), l’enfant mer s’était trouvé un job dès ses dix-huit ans atteint. Il avait été accepté assez facilement au Velvet Pearl à partir du moment où il faisait ses tâches comme laver les sols, frotter la crasse accumulée sur les tables et les vitres, servir au bar et ranger les chambres sans se mêler des affaires des autres. Le garçon silencieux cherchait à devenir indépendant et la seule manière de l’être, c’était de gagner de l’argent. Loin de ses anciennes habitudes proches de la mer, il glissait plus que sur sa planche de skate. Terminant en mars 2023 ses quelques derniers jours de lycée, il compte, lors des vacances de fin d’année, retourner sur ses terres natales pour retrouver sa plus grande amie de toujours : la mer.