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poupée
t'as débarqué seule sur un quai de gare
tu venais d'ici, de là-bas
et t'allais nulle part
poupée
t'avais de grands yeux bleus
mais cernés de noir
c'était peut-être la raison de ton départ
qui sait

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enfant accidentée ; enfance volée. lorsque la vie arrive par accident, alors qu'un fils est déjà là, déjà bien âgé et parfaitement éduqué. pays oppressif ne permettant qu'une seule naissance par foyer. les solutions ne sont pas bien nombreuses ; trop accrochée, trop avancée pour interrompre la grossesse, les parents insistent pour que l'amende soit payée. mais maman elle, préfère quitter le pays. retenue par ses géniteurs qui jamais ne voudront la suivre, elle parvient cependant à obtenir gain de cause en clamant qu'elle ne veut pas que son enfant vive en marge de la société. comme si naître femme dans ce pays était perçu comme une hérésie, surtout lorsque l'on arrive deuxième. les postes de salariés bien placés abandonnés, les grands-parents laissés derrière dans la maisonnée car inflexibles sur leur décision de ne pas quitter leur chère terre mère, la famille s'envole pour le japon alors même que maman n'a pas encore donné la vie. c'est donc bien sous le ciel japonais que mei ouvre les yeux pour la première fois. le pays qui l'a vue naître ne lui donnera pourtant pas sa nationalité, et elle restera toujours une étrangère. quelle ironie, lorsque c'est exactement ce que maman voulait éviter. enfant prématurée, fragile et petite, aux traits disgracieux trop différents des autres enfants. tous les jours papa lui rappelle que s'il trime pour retrouver un poste plus ou moins égal à celui qu'il avait autrefois, c'est bien de sa faute. il lui rappelle que s'il ne voit plus ses parents, c'est de sa faute ; que si son frère aîné a des mauvaises notes, car trop compliqué de s'adapter à l'école japnaise, c'est de sa faute. tous les échecs de sa famille, c'est de sa faute. et elle grandit mei, autant qu'elle le peut ; pas tellement d'ailleurs, elle reste toute maigre et très petite, comme si elle avait peur de prendre trop de place.  

et les enfants à l'école ne sont pas bien mieux. tout ce que maman voulait absolument éviter se produit quand même. étrangère, profiteuse de la société, enfant petite et laide, cachée sous ses grosses lunettes sans lesquelles elle ne voit pas grand chose, aux dents difformes réhaussées de ferraille. toujours toute seule, trop discrète, trop intimidée pour oser s'entourer ; proie de prédilection des harceleurs qui en font la risée de toute l'école. argent de poche dérobé, injures et coups accumulés, moqueries incessantes, situations humiliantes, et les rires des autres ne font qu'accentuer le cocktail d'aigreur, le sentiment profond d'injustice. toujours elle se demandera ce qu'elle a fait pour mériter tout ça. il semblerait qu'elle n'ai fait que naitre, vivre, exister. et c'est bien ça qui est douloureux ; on la force à regretter d'être née.

lentement l'aigreur et la rancœur s'installent. lentement l'esprit se forge, la carapace s'endurcit. bientôt elle ne fera plus que survivre, mais s'accroche à des idées et des projets pour se donner une dernière raison d'exister. pour éviter de se foutre en l'air, elle patiente ce moment où elle pourra enfin les faire souffrir comme ils l'ont fait souffrir. quand elle se rendra si irrésistible qu'elle pourra leur marcher dessus. c'est ce qu'elle planifie au fil des années, lentement, secrètement. dans ses jeunes années où les yeux sont encore plein d'espoirs plus hauts que ce que le vrai monde permet, elle commence à s'intéresser à la magie blanche, se projette sorcière païenne capable de se métamorphoser ; mais en toute franchise, à part quelques remèdes de grand-mère contre le rhume à base de plante, elle n'a jamais rien accompli de bien magique. cette passion pourtant la suivra toute sa vie, tout comme tout ce qui touche à l'occulte, ce dans quoi elle parvient à s'évader. planifiant quelques vengeances douloureuses pour ses bourreaux lorsqu'elle s'intéresse quelque mois au vaudou ou aux possessions, sans que jamais pourtant elle ne fasse rien à leur encontre. peut-être a-t-elle trop peur d'être une nouvelle fois la déception de papa. elle préfère vivre et planifier en secret, pour le pas risquer d'encore plus le courroucer. 

c'est lorsqu'elle entre au lycée qu'elle parvient à commencer à échafauder son plan. trouvant quelques boulots ci et là, elle réussit à mettre de l'argent de côté. quelques économies dont jamais ses bourreaux - qui continuent de s'en prendre à elle - n'aient connaissance, pour ne pas risquer qu'ils les lui dérobent. elle continue de vivre le plus discrètement possible, endure ses journées de cours et ses soirs à la maison dans un total enfermement de ses émotions. s'accroche à son espoir, ses petites économies qui lui permettront, elle l'espère, de changer de vie. elle fait de son mieux en classe, reste dans la moyenne pour ne pas être ni première ni dernière, juste ce qu'il faut pour avoir son diplôme ; de toute façon papa ne voudra jamais lui payer d'université, et son argent durement économisé, elle le garde pour autre chose. et surtout, elle veut fuir à jamais les bancs de l'école, ne veut plus jamais se retrouver dans un groupe de personnes qui potentiellement pourraient la dénigrer et la blesser encore davantage. et finalement lorsque la majorité est atteinte, dans un énième anniversaire non célébrée, maman vient la voir dans sa petite chambre avec cette enveloppe ; de l'argent qu'elle a elle aussi économisé, toutes ces années, pour enfin pouvoir tenir sa promesse. lui offrir cette vie qu'elle voulait tant lui donner, celle qu'elle a cherché à lui offrir en traversant la mer. elle lui demande pardon aussi, ce soir-là ; explique qu'elle voulait sincèrement lui offrir une vie meilleure que celle qui l'aurait attendue en chine. elle s'excuse du comportement de papa, s'excuse de ne pas avoir su faire d'elle une belle enfant, une enfant épanouie et heureuse. et elle lui souhaite du bonheur, de mener la vie qu'elle mérite, avant de l'enlacer et de la laisser s'en aller.

toutes ses économies, ainsi que celles de maman, sont passées dans les rendez-vous et les opérations. après des semaines d'hospitalisation, elle en ressort en nouvelle personne, plus déterminée que jamais à briller. elle qui a vécu cachée, qui a passé toute sa vie à être discrète et à ne pas se faire remarquer, décide d'enfin se libérer. visage magnifié, cheveux décolorés, elle laisse enfin s'exprimer sa personnalité forgée par toutes ces années. un changement radicale, de l'enfant discrète et cachée est née une femme tape à l'œil qui frise avec l'indécence. elle qui n'a jamais été remarquée fait tout pour être vue désormais. elle déménage à osaka dès sa sortie d'hôpital, et parvient à trouver ce poste dans le bar à ongles où elle travaille toujours. véritable talent et imagination débordante pour toujours trouver de nouveaux designs, elle est la plus jolie et la plus remarquée, la plus félicitée, la plus demandée. meilleure employée chaque mois, elle tente de mettre de l'argent de côté de nouveau pour ouvrir son propre institut ; mais cette nouvelle vie lui plait tant qu'elle ne parvient pas toujours à garder ses sous et les dépense en tout un tas de futilité. elle est heureuse aujourd'hui mei ; fait de son mieux pour honorer la promesse faite à maman. de trouver son bonheur, d'avoir une belle vie. la vie qu'elle mérite.