- Tout d’abord, sa mère mourra.

- Pourquoi devrait-elle mourir ?

- Il faut bien que l’histoire commence quelque part.

- Quel âge aura-t-il ?

- Quatorze ans.

« Pourquoi ?! Papa ! Papa, pourquoi ?! » hurla-t-il en relevant des pupilles noyées vers l’homme qui le regardait dans l’obscurité, les yeux fous. Luisant encore sur ses mains, le sang chaud de celle qui s’était déjà éteinte dans les bras de l’adolescent. Dans sa poigne fermée, l’arme utilisée de la main du coupable se mit à trembler, convulsant avec l’expression du père de famille virant au cauchemar. Katashi le vit sourire, se maintenant au plat de travail de la cuisine en passant une main dans ses cheveux. Il lui dit qu’elle allait recommencer, qu’elle allait de nouveau faire voir le paradis à un autre homme. Il rit en disant qu’elle n’en avait pas le droit, qu’elle était la sienne uniquement. Je suis le seul à pouvoir avoir ce plaisir, tu m’entends ? Le seul ! « Tu es fou… » Le jeune homme avait le t-shirt taché de carmin, les joues couvertes de larmes, tenant désespérément la dernière parcelle de sa mère, devenant froide. Non, je ne le suis pas, Katashi.


- Que se passe-t-il ensuite ?

- Son père l’abandonne, la police les découvre, lui et sa mère. Il termine dans un orphelinat.

- Il voit une psychologue pour tendances violentes et fait plusieurs fugues.

- Peut-être qu’il termine par travailler pour un groupe de voyous ?

- Il reçoit quelques billets pour faire des coups bas dans les bas quartiers, pour donner des infos et faire le guet.


« Vous me voulez quoi ? » demanda-t-il, les mains dans les poches de son blouson abîmé, une fausse cigarette dans la bouche. L’homme devait lui porte des chaussures propres et bien lisses, un pantalon repassé, une chemise qui jurait avec ses dents décalées et légèrement jaunes. Derrière ses lunettes de soleil noir, l’adolescent constata qu’il plissa le yeux. Tu connais bien le coin, non ? Des gamins d’ici. Katashi hocha mollement la tête, ne bougeant pas, les pieds enfoncés dans le sol de bitume. Tu pourrais nous rendre un petit service ? « J’gagne quoi en échange ? » Le rire l’homme ne l'amusait pas. Ici, il fallait toujours donner en échange de quelque chose. Soit tu prends tout et tu en payes les conséquences, soit tu es réglementaire. Dis-moi gamin, tu devrais pas être en cours à cette heure ? On t’a jamais appris à ne pas poser de question à tes aînés ? « Faudrait avoir des parents pour ça. » répliqua-t-il.


- Le yakuza lui tend la main.

- Il la prend.

- Que devient-il ensuite ?

- Il s’éduque, apprend à se battre, à compter les billets, à tendre l’oreille.

- Il ne doit pas être très bon avec la hiérarchie, pas vrai ?

- Il s’y est habitué.

« Bah alors, puceau ! Tu sais pas te servir de tes poings ? » sourit-il en s’essuyant le visage, une trace rouge s’échappant sur sa lèvre supérieure. Autour d’eux, des sifflements fusés, exacerbés par les autres jeunes hommes qui voulaient se défouler un peu. La scène était médiocre : deux garçons, s’en prenant l’un à l’autre, sous la chaleur de l’été, torses à découvert et poussière dans la sueur. Katashi leva ses défenses, les jambes arquées. Il ne savait même plus pourquoi ils se battaient. Une confusion, un mot de travers, un regard qui n’aurait pas dû et l’étincelle devient brasier dans cette cours d’hommes. C’est toi qui parle, ‘spèce de pédé ? Le coup partit plus vite qu’il ne l’aurait imaginé. Il le frappa au visage, avant de se saisir de son cou, le retournant sur le dos. Son adversaire, le souffle coupé, n’eut pas le temps de se défendre lorsqu’il lui appliqua une clé de bras l’immobilisant complètement. « Quoi ? Tu dis plus rien là, hein ? » Assez ! La voix tonitruante coupa toute victoire. Les garçons se relevèrent, se mirent en ligne, tel un seul individu entraîné à répondre à chaque ordre. Sasaki, Gotō, suivez-moi.

- Ils prirent une remontrance.

-Ils avaient quel âge ?

- Katashi avait dix-neuf ans.

- Il a pris part à sa première activité à vingt-deux ans.

- Et il a retrouvé son père

« Putain… » grogna-t-il en échappant de justesse à la chute, glissant sur une plaque humide, avant de tourner dans la ruelle, voyant les silouhettes ingrates s’échapper tels des rats sur le béton sale et solitaire d’Osaka. Ce genre d’impasse connaissait plus de pourriture que le fond des poubelles du quartier de la baie. Poussé dans l’arène aux lions avec une indication de ce qu’il devait faire, il lui fallait identifier les fouteurs de troubles qui venaient vendre des pilules aux abords du Red Instincts. Une bonne mission, pour un bon petit jeunot. Seulement, alors qu’il coinçait un homme dans un recoin, la menace du clan flottante dans l’air, son nom roula sur la langue de l’autre. Mais, t’es le fils Gotō. L’armure brisée, il n’était pourtant le fils de personne. Son regard se durcit. « Tu connais mon père ? » Bien sûr. Tu veux savoir où il est ? Laisse-moi filer, mon garçon. La balance des responsabilités le fait céder. Katashi vient de prendre une décision qui impactera la suite de l’avancement.


- Sa fameuse vengeance qui va rythmer le reste de sa vie.

- Exactement. Imagine être tellement enivré avec ton propre objectif que tu ne vois plus rien d’autre à part lui.

- Quelle vie futile. Mais pourquoi le serpent ?

- Peut-être qu’il espère pouvoir se reconstruire après avoir achevé son père. Qui sait ?

- Tu penses qu’il fera un bon méchant ?

- Oui.